Wilfried Rault et Mathieu Trachman
Directeurs de l’ouvrage Minorités de genre et de sexualité, paru aux Editions de l’Ined, ont répondu à nos questions.
(Entretien réalisé en décembre 2023)
Que recouvrent les termes de minorités de genre et de sexualité ?
Nous avons choisi de parler de minorités de genre et de sexualité plutôt que de LGBT : aujourd’hui courant, cet acronyme regroupe les lesbiennes, gays, personnes bisexuelles et trans, mais aussi intersexes, asexuelles… C’est plutôt un outil militant, un terme parapluie qui rassemble des populations très hétérogènes du point de vue de leur parcours, conditions d’existence et revendications politiques. C’est évidemment totalement légitime, mais cela ne doit pas écarter les réflexions sur les principes de catégorisation et de regroupement qui ne sont pas les mêmes selon que l’objectif est de faire masse, ou de décrire précisément des modes de vie par exemple. En parlant de minorités, nous mettons l’accent sur deux caractéristiques de ces populations : leur faible nombre au regard de la population générale mais surtout leurs différences avec des normes majoritaires qui surexposent ces populations à des stigmatisations, des discriminations voire des violences. C’est donc à la fois une question de nombre et de statut social.
Comment les minorités de genre et de sexualité sont-elles identifiées dans les enquêtes ?
Pour identifier des minorités de genre et de sexualité dans une enquête statistique, il faut que celles-ci disposent d’indicateurs pour les saisir, ce qui est loin d’être toujours le cas. Ce ne sont pas les mêmes indicateurs selon les minorités. Des questions permettant de repérer les personnes dont l’identification de genre n’est pas binaire sont progressivement insérées dans les questionnaires. C’est le cas dans le recensement canadien de 2022, où pour la première fois il a été demandé aux personnes recensées « quel est votre genre : masculin/féminin/autre : précisez ».
De même, des questions permettent de rendre compte des transitions de genre. Le recensement anglais et gallois de 2022 demandait ainsi : « le genre auquel vous vous identifiez correspond-il à votre sexe de naissance ? : Oui/ Non, indiquez votre identité de genre ».
En ce qui concerne les minorités sexuelles, les indicateurs ont été élaborés de plus longue date. On en distingue classiquement trois : l’identification (se dire « gay », « lesbienne », « bisexuel·le », « pansexuel·le » par exemple), l’attirance (envers des personnes de genre similaire ou/et distinct), les pratiques sexuelles. Comme le montrent plusieurs chapitres de l’ouvrage, ces trois indicateurs ne renvoient pas aux mêmes types d’expériences de la sexualité et aux mêmes modes de vie. Ils sont également en constante transformation, du fait de l’apparition de nouvelles catégories. Par exemple, l’identification de soi comme « pansexuel·le » est relativement récente, et il n’est pas évident de saisir si cela recouvre des attirances et des pratiques singulières, distinctes de l’identification comme bisexuel·le, ou si nous avons besoin d’autres indicateurs pour en saisir les spécificités.
Les minorités de genre et de sexualité ne sont donc pas toujours prises en compte dans les enquêtes ?
Non. Cela dépend du thème de l’enquête : on trouve généralement les indicateurs pour les identifier dans les enquêtes sur la sexualité, les violences, dans une moindre mesure sur la santé et la famille, mais moins fréquemment dans des enquêtes orientées vers d’autres thématiques. Leur présence est importante car c’est une forme de reconnaissance de modes et d’expériences de vie minoritaires. Mais cela ne garantit pas toujours l’obtention d’effectifs suffisants pour mettre en œuvre des traitements statistiques.
Il existe d’autres dispositifs pour étudier les minorités de genre et de sexualité ou plus spécifiquement certaines de leurs composantes, en particulier des enquêtes dites « communautaires », qui leur sont directement destinées. Si celles-ci abandonnent en général tout objectif de représentativité, elles présentent l’avantage d’être justement pensées pour les minorités de genre et de sexualité. Cela permet d’adapter les questionnements qui les touchent de façon spécifique (concernant par exemple leur (in)visibilité, l’expérience de discriminations, certaines cultures sexuelles qui leur sont propres) : les enquêtes en population générale ne sont pas neutres, elles privilégient implicitement le point de vue majoritaire et occultent une bonne part des expériences minoritaires.
Quels sont les enjeux actuels des recherches sur les minorités de genre et de sexualité ?
Ces populations connaissent actuellement des transformations démographiques : les femmes qui s’identifient comme bisexuelles sont de plus en plus nombreuses ; de plus en plus de personnes s’engagent dans un parcours de transition de genre ; de nouvelles identifications apparaissent, comme « pansexuel·le » ou « non-binaires ». L’inclusion, par une meilleure intégration de ces populations dans les dispositifs d’enquête existants et l’élaboration d’indicateurs plus fiables, en particulier au niveau de la statistique publique, est un enjeu essentiel, mais ce n’est pas le seul. Il est important de notre point de vue de saisir comment ces minorités évoluent : ainsi, alors que la bisexualité était une catégorie largement discréditée, y compris au sein des minorités sexuelles, c’est une manière de s’identifier plus investie par les jeunes générations. Ce qu’il s’agit alors de saisir, ce ne sont pas nécessairement des groupes fixes qui attendraient d’être mis en lumière par les chercheur·es, mais des devenirs minoritaires, qui touchent une bonne partie de la population en élargissant son espace de possibles sexuels et genrés. Les manières de penser et de saisir les rapports entre minorités et majorités est donc un enjeu en soi. Deux enquêtes récentes disposent d’informations cruciales pour aller plus loin en ce sens : Contexte de la sexualité en France (Inserm, 2023), enquête en population générale sur les comportements sexuels en France; et Envie, sur les trajectoires sexuelles et affectives des jeunes de 18-29 ans (Ined, 2023). Leurs résultats permettront d’avoir une meilleure connaissance des minorités, de leurs poids et de leur place dans la population.
Source : Wilfried Rault et Mathieu Trachman, 2023, Minorités de genre et de sexualité. Aubervilliers : Ined Éditions.