Wilfried Rault
chercheur à l’Ined, répond à nos questions au sujet des mobilités sociales et géographiques des gays et lesbiennes.
(Entretien réalisé en mai 2017)
Comment cette étude a-t-elle été conduite ? En quoi est-elle inédite ?
Cette étude se base sur les données recueillies lors de la dernière édition d’une grande enquête nationale sur la famille. Depuis les années 1950, l’enquête « Famille » est menée par l’Insee, adossée au recensement, permettant ainsi de toucher un échantillon très important et représentatif de la population française. Visant initialement à étudier la fécondité des femmes, les thèmes et le champ de cette enquête se sont peu à peu étendus : les hommes ont été interrogés pour la première fois en 1999. Pour la version de 2011 nommée « Famille et logements », l’enjeu de l’enquête a consisté à mieux prendre en compte la diversité des situations familiales. Des questions sur le pacs, la multi-résidence et – c’est ce qui nous intéresse ici - la possibilité de déclarer un conjoint ou une conjointe de même sexe ont été introduites dans le questionnaire. Grâce à cette information nouvelle, il a été possible d’étudier les mobilités sociales et géographiques des gays et lesbiennes vivant en couple.
Cette question avait déjà fait l’objet de travaux dès les années 1980 - période marquée par l’apparition du sida. Michael Pollak, pionnier dans ce domaine, avait procédé à une série d’entretiens et entrepris différentes recherches mais les outils d’analyse – des enquêtes reposant sur des échantillons de volontaires – limitaient la portée des résultats et elles ne portaient que sur les hommes.
Qu’en ressort-il ?
Les femmes et hommes en couple avec une personne de même sexe ont connu des mobilités sociales plus fortes que celles formant un couple de sexe différent. À origines sociales similaires, gays et lesbiennes sont en moyenne plus diplômés. Ceci pourrait provenir d’un effet de déclaration (on déclare d’autant plus facilement une situation de couple atypique que l’on dispose d’un certain capital culturel) mais aussi d’un investissement stratégique dans les études que l’on retrouve chez d’autres groupes minoritaires.
Quant aux mobilités géographiques, elles sont plus prégnantes pour les gays et lesbiennes : ils et elles vivent généralement à une plus grande distance de leur lieu de naissance et de leurs parents et plus souvent en région parisienne (avec une tendance particulièrement nette pour les hommes). Toutefois, lorsque les femmes en couples de même sexe ont des enfants, elles sont en moyenne géographiquement plus proches de leurs parents.
En définitive, il est intéressant de noter que les parcours de vie semblent différemment modelés suivant l’orientation sexuelle. De ce point de vue, l’homosexualité n’apparaÎt pas seulement comme un comportement sexuel, mais comme un élément susceptible de structurer des trajectoires individuelles.
Quelle(s) étai(en)t la(les) limite(s) de cette enquête ?
La question de l’orientation sexuelle n’étant pas posée dans le questionnaire, celle-ci est uniquement déduite via l’indication du sexe du conjoint ou de la conjointe. Les mobilités sociales et géographiques des gays et lesbiennes en situation de célibat ne sont donc pas prises en compte. Une autre limite tient à l’absence d’éléments permettant de reconstruire les trajectoires dans leur intégralité. Le recueil d’informations biographiques pourrait constituer un prolongement de cette enquête. Il reste encore beaucoup d’améliorations à apporter aux outils existants pour développer les approches quantitatives des homosexualités et rattraper le retard dans ce domaine.