Valérie Golaz
Valérie Golaz, directrice de recherche à l’Ined, étudie les interactions entre population et environnement dans une perspective spatio-temporelle et démographique.
(Entretien réalisé en avril 2024)
L’étude des interactions population et environnement soulève la question de l’échelle géographique adéquate à laquelle travailler. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Les liens entre population et environnement sont complexes, ce sont des domaines liés par des relations directes et indirectes, à différents niveaux, qui se déclinent sur des temps plus ou moins longs. Les débats actuels portent sur ces différents niveaux d’observation, d’analyse, d’action en les confondant parfois. Ainsi, les changements environnementaux globaux comme le changement climatique sont suivis via des indicateurs internationaux. Ils se manifestent cependant localement, par des événements ponctuels, affectant les populations présentes, et sont gérés par des politiques publiques définies au niveau régional ou national. Autre exemple, la pollution de l’air peut être un phénomène localisé (une fuite industrielle par exemple), ou liée à certaines activités pratiquées à travers le monde, dans des conditions et des espaces particuliers (par exemple, le long des axes routiers ou autour de certaines cultures). Mais les nappes de polluants se déplacent aussi dans l’atmosphère ou les océans, touchant des régions ou des pays non ou peu émetteurs, échappant aux régulations nationales et internationales…
Ainsi, aborder ces questions planétaires par des données globales, planétaires elles aussi, ne suffit pas. Une mise en relation de données locales ou même nationales ne permet pas non plus d’analyser ces phénomènes de manière complète. Il est nécessaire pour aller plus loin dans les analyses de localiser et de contextualiser l’information, qu’elle concerne la population ou l’environnement, toute en la considérant sur des espaces plus larges. La démographie, avec ses données individuelles sur la population (recensements de populations, enquêtes - depuis les enquêtes harmonisées internationales jusqu’aux enquêtes locales -, données de systèmes de suivi démographiques, données administratives), porte là un potentiel important.
Y a-t-il parfois des contradictions ou des résultats différents selon les données ou l’échelle ?
L’un des écueils de l’analyse est que selon l’échelle spatiale et temporelle adoptée pour essayer de mesurer ces interactions, on peut observer des résultats contradictoires, et c’est normal. Typiquement, des tendances affirmées sur le temps long comprennent des périodes courtes de la tendance inverse. De la même manière, un indicateur d’apparence moyen sur un pays peut localement prendre des valeurs extrêmes. C’est le cas par exemple de la croissance démographique : la croissance à l’échelle d’un pays n’est pas la croissance vécue sur l’ensemble du territoire proximal où l’on vit. Localement, la population de certaines zones croit plus vite que les populations d’autres zones (par exemple la croissance urbaine est très forte dans de nombreuses mégapoles du Sud), voire décroit même dans certains contextes. Plus les unités considérées sont grandes, plus l’hétérogénéité du territoire et celle de la population sont atténuées.
A l’inverse, une information spatiale trop localisée est tout aussi peu informative. Ainsi l’air respiré par un individu n’est pas seulement celui de sa résidence principale, mais aussi celui de son lieu de travail ou des autres lieux vécus.
Quel est le juste milieu ? Cela dépend bien sûr du phénomène étudié, de la question posée, mais aussi des données disponibles et de l’échelle à laquelle elles sont définies et mises à disposition, que ce soit pour la population ou pour l’environnement. C’est là que des compromis doivent parfois être faits.
Quelles données utilisez-vous pour analyser les interactions entre population et environnement ?
En ce qui concerne l’information démographique, à l’heure même où les possibilités techniques de géolocalisation permettraient des analyses spatiales très fines, sa diffusion aux chercheur.e.s est en pratique parfois restreinte par les producteurs de données pour préserver l’anonymat des répondants. Dans de nombreux pays du Sud par exemple, les données individuelles de recensement national sont accessibles au niveau 3 du découpage administratif (sur le modèle de IPUMS-International), ce qui correspond au département dans le cas français, ou via une géolocalisation des lieux d’enquête aléatoirement repositionnés au sein d’un disque de 2 à 10 km autour du centre des zones enquêtées (modèle des Enquêtes démographiques et de santé).
Dans le domaine de l’environnement, de nombreuses bases de données internationales existent aujourd’hui (mesures locales, données de stations d’observation, données satellitaires. Depuis 2015, avec le développement des produits des satellites Sentinel du Centre national d’études spatiales, il est possible d’avoir certaines données environnementales fines à une fréquence très rapide (utilisation des sols, qualité de l’air, …). D’autres produits de l’Agence spatiale européenne ou de la Nasa permettent de remonter plus loin dans le temps, avec un découpage spatio-temporel plus précis. Pour d’autres indicateurs environnementaux (comme des analyses physico-chimiques des sols, des eaux ou de l’air plus spécifiques), des mesures locales sont encore nécessaires. De nombreuses bases de données internationales produisent aujourd’hui des indicateurs environnementaux carroyés, pour des zones allant jusqu’à une précision de 1 km de côté. Il est possible en agrégeant ces données de calculer les indicateurs correspondant au niveau du découpage administratif souhaité, ou pour toute surface d’intérêt autour de zones d’habitation par exemple.
L’une des grandes difficultés de l’analyse quantitative est de coupler de manière pertinente ces données sur l’environnement et celles sur la population. Cependant, l’appariement des données physiques avec les données démographiques est contraint par ces dernières, dont l’utilisation est régie par des règles éthiques plus strictes, ce qui protège les enquêtés mais apporte une limite à la portée de l’analyse. L’échelle spatiale à laquelle une mesure environnementale fait sens, est souvent plus fine que l’échelle spatiale à laquelle les données démographiques sont mises à disposition. Plus que jamais la prudence est de mise, dans l’interprétation des résultats obtenus.
Ces réflexions m’amènent à trois conclusions. Tout d’abord toutes les données démographiques ne se prêtent pas à une mise en relation avec des données environnementales. Ensuite, il est important dès à présent de penser les projets de collecte de nouvelles données à l’aune de possibles analyses secondaires de leur lien avec l’environnement. Enfin, le travail de terrain s’impose toujours, en complément de l’analyse de ces données secondaires de plus en plus abondantes.