Valentina Mazzucato
nous aide à mieux connaître le phénomène des familles transnationales
Valentina Mazzucato, Professeure en Globalisation et Développement à l’Université de Maastricht, nous aide à mieux connaître le phénomène des « familles transnationales » au sein des familles africaines ayant connu la migration internationale. Elle a dirigé le work package (axe de recherche) sur Migration et Familles au sein du projet européen MAFE (Migration entre l’Afrique et l’Europe) et a co-écrit la note de synthèse sur « Familles immigrées : vivre ensemble ou à travers les frontières nationales ? » (entretien réalisé en juin 2013).
Pourquoi les chercheurs parlent-ils de familles transnationales ?
La migration internationale a rarement été étudiée du point de vue de la famille. L’étude des familles migrantes se fait généralement du point de vue du pays de destination et se concentre sur les membres de la famille qui y vivent ensemble. Pourtant, les législations de plus en plus restrictives encadrant la migration et le regroupement familial dans les pays européens engendrent des familles séparées où certains membres migrent et d’autres restent dans le pays d’origine. Pour certaines familles, cela peut être un choix. Ces familles qui vivent séparément mais fonctionnent toujours comme une unité familiale sont appelées les «familles transnationales».
Le projet MAFE a collecté des données provenant à la fois des pays de destination et des pays d’origine pour trois populations migrantes, en provenance du Ghana, de la RD Congo et du Sénégal.
The MAFE project collected data from destination and origin countries on three migrant populations, from Ghana, the DR Congo and Senegal.
Les familles transnationales sont-elles généralisées chez les migrants ?
Cela dépend. Les trois quarts des migrants interrogés dans le projet MAFE font partie d’une famille nucléaire, ce qui signifie qu’ils ont un conjoint et / ou des enfants. Pour deux sur cinq de ces migrants, la migration a abouti à la création d’une structure familiale transnationale. La proportion de familles transnationales est particulièrement forte pour les migrants sénégalais, moins pour les migrants congolais et ghanéens. Nous notons également que, dans toutes les destinations, les migrants des familles transnationales séjournent généralement en Europe depuis moins longtemps que ceux qui appartiennent à des familles unies ou réunifiées. Ils sont aussi plus susceptibles d’être sans papiers.
Les situations de séjours irréguliers rendent moins probable pour les migrants la réunification avec leur famille dans leur pays d’origine. Cela est dû à une combinaison de facteurs : les familles ne pouvant se réunir si un migrant est sans papiers, et le statut de sans-papiers étant associé à une plus faible probabilité de retour.
Pourtant, il existe des différences intéressantes entre les pays de destination. Par exemple, les migrants congolais et ghanéens ont plus souvent tendance à être dans des formations familiales transnationales en Belgique et aux Pays-Bas que leurs homologues au Royaume-Uni. Leurs caractéristiques individuelles expliquent en partie ces différences, tout comme les politiques des pays d’accueil. En outre, nous avons constaté des différences entre les sexes. Parmi les migrants sénégalais en Europe, les hommes étaient plus susceptibles d’avoir des familles transnationales que les femmes.
Les migrants africains essayent-ils de réunir leur famille en Europe ?
La réunification en Europe est loin d’être universelle. De tous les migrants avec des familles, seulement un quart des ghanéens et un tiers des migrants congolais ont réuni leur famille au moment de l’enquête. La réunification est encore moins répandue parmi les familles sénégalaises.
L’enquête a permis d’observer plus souvent la réunification entre conjoints qu’entre parents et enfants et des taux de réunification différents selon le sexe du migrant. Il faut remarquer que les familles de migrants africains ne se réunifient pas toujours en Europe, un nombre important de tous les regroupements familiaux ayant lieu dans le pays d’origine.
Quel est l’impact de la migration sur les familles restées dans le pays d’origine?
Dans l’enquête MAFE, relativement peu de ménages ont contribué financièrement à la migration des membres de la famille, avec seulement un cinquième des ménages ghanéens, et un quart des ménages congolais et sénégalais. Les enfants des chefs de ménage sont les plus fréquemment pris en charge. Une forte proportion des ménages en Afrique a accès à des réseaux relationnels internationaux (par des contacts réguliers avec la famille étendue) et a reçu des fonds venant de l’étranger. Les envois de fonds vont à un large éventail de personnes, et pas seulement la famille nucléaire. Conjoints, enfants, frères et sœurs du chef de ménage sont les expéditeurs les plus fréquents, mais dans certains cas des parents plus lointains envoient également des fonds.
Les résultats montrent également que près de 40 à 60 % des ménages urbains africains sont en contact avec les migrants internationaux, beaucoup d’entre eux restant en contact via un téléphone mobile sur une base très fréquente. Cela témoigne d’une vie de famille transnationale active qui caractérise la réalité de la migration, et les politiques peuvent être plus efficaces si elles prennent ces réalités en compte.