Thomas Merly-Alpa
Thomas Merly-Alpa, chef du service des enquêtes et sondages, a répondu à nos questions sur la réalisation des enquêtes à l’Ined.
(Entretien réalisé en janvier 2022)
Quelles différences y a-t-il entre un sondage d’opinion et une enquête de l’Ined ?
Les sondages d’opinion reposent sur des questionnaires courts, avec peu de questions. Ils sont ainsi réalisés beaucoup plus rapidement que les enquêtes de l’Ined, qui abordent souvent plusieurs thématiques, à partir de questionnaires plus détaillés, issus des préoccupations scientifiques ; leurs concepteurs et conceptrices portent une attention particulière à leur qualité.
Les sondages d’opinion ont souvent recours à des méthodes telles que les quotas (ce qui permet de construire un échantillon représentatif en appelant un très grand nombre de personnes) qui ne permettent pas de calculer des intervalles de confiance (c’est-à-dire, un indicateur permettant de chiffrer la zone d’incertitude) et pour lesquels on suspecte davantage de biais, alors que dans les enquêtes de l’Ined, on tâche autant que possible d’avoir recours à des méthodes aléatoires, ayant plus de crédit.
Par ailleurs, les sondages d’opinion reposent de plus en plus sur ce que l’on appelle les « access panels », c’est-à-dire des personnes s’étant volontairement inscrites sur des sites Internet pour répondre à des enquêtes, ce qui peut conduire à des biais, ces personnes étant souvent plus politisées que la moyenne. À l’Ined, ce type de panel n’est presque jamais utilisé.
Qu’est-ce qu’une enquête-test et dans quels cas y a-t-on recours ?
Une enquête-test (nous préférons parler de test d’enquête), c’est la réalisation à petite échelle d’une enquête avant qu’elle ne commence vraiment, pour mieux la préparer. Par exemple, on peut vouloir vérifier que la formulation d’une question ne fait pas obstacle à sa compréhension par les personnes que l’on va aller interroger. On peut aussi vérifier que le protocole de collecte, c’est-à-dire la façon dont va s’organiser la collecte, fonctionne. Par exemple, lors du test de l’enquête sur les sortants de prison, il s’agissait de vérifier que nous avions bien accès aux parloirs pour réaliser l’enquête, que nous pouvions obtenir les listes de détenus à temps, que ceux-ci pouvaient circuler jusqu’au lieu d’enquête. Il est pertinent de réaliser des tests d’enquêtes dans tous les cas, et même souvent d’en réaliser plusieurs !
Quelles sont les différentes méthodes d’enquêtes ?
Il y a mille façons de faire une enquête. Si l’on associe souvent enquête et long questionnaire, il est aussi possible de faire des enquêtes par observation ou par entretien (par exemple, nous avons réalisé des entretiens individuels auprès de personnes ayant accompagné un proche en fin de vie à domicile à la Réunion). Dans le cadre des enquêtes par questionnaire, celui-ci peut être administré par un enquêteur professionnel, au téléphone ou directement chez l’enquêté. Il peut aussi s’agir d’un questionnaire plus court auquel on peut répondre directement sur Internet, sur son ordinateur ou sur son téléphone. De plus en plus, on combine ces différentes approches, en permettant aux personnes enquêtées de répondre de la façon qui leur convient le mieux : c’est ce que l’on appelle les enquêtes multimodes.
Le service des enquêtes de l’Ined suit les nouveaux développements et les innovations méthodologiques dans la réalisation d’enquêtes (nouvelles techniques d’enquêtes qualitatives, évaluation des modes de collecte sur les réponses…) et y contribue aussi en présentant ses méthodes et les conclusions de ses tests et enquêtes à la communauté scientifique.
Comment trouve-t-on les enquêtés ? Comment constitue-t-on un échantillon et comment choisit-on sa taille ?
Trouver les enquêtés est une étape importante de la réalisation d’une enquête. Dans la très grande majorité des cas, l’échantillon (c’est-à-dire la liste des enquêtés) est obtenu par tirage au sort ; ce caractère aléatoire garantit que les résultats obtenus seront de bonne qualité. Plus l’échantillon est grand, plus les résultats seront précis, mais évidemment, le coût augmente aussi. Il faut donc recourir à des méthodes de tirage des individus plus sophistiquées pour avoir les résultats les plus précis avec l’échantillon le plus réduit possible. Le service des enquêtes, et notamment les statisticien·ne·s qui y travaillent, développe une expertise du fichier « Fideli » de l’INSEE, qui repose sur les données des impôts (sur le revenu, la taxe d’habitation, etc.) et donne une bonne vision de l’ensemble de la population permettant ainsi d’en extraire un échantillon, dans le respect des règles de protection des données personnelles. Mais ce n’est pas la seule façon de constituer un échantillon : à l’Ined, on recourt parfois à des méthodes de type « boule de neige », notamment lorsque l’on s’intéresse à des populations « rares » ou difficiles à joindre. La méthode construit un échantillon en partant d’un petit groupe d’individus qui nous donnent les coordonnées des personnes qu’ils connaissent, faisant « grossir » la boule de neige dévalant la pente à chaque étape. C’est une méthode de cette famille qui a été utilisée pour l’enquête ChiPRe, en demandant aux individus enquêtés de nous fournir les coordonnées de leurs parents, amis ou collègues d’origine chinoise résidant en Île-de-France.
Comment fait-on pour garantir l’anonymat ?
La garantie de l’anonymat des enquêté·e·s est cruciale. Elle repose avant tout sur le sérieux de l’Ined et de ses chercheurs, qui réalisent des enquêtes depuis plus de 70 ans et ont besoin de garder cette relation de confiance avec l’ensemble des Français qui pourraient être mobilisés pour participer à nos enquêtes. Elle repose aussi sur un ensemble d’acteurs qui interviennent à différents niveaux, que ce soit la Déléguée à la protection des données de l’Ined, étroitement associée à chaque enquête, la Commission nationale Informatique et Libertés et le Comité du secret statistique, qui vérifient que tout est mis en œuvre pour garantir la sécurité des données, ou le DataLab de l’Ined, qui s’assure lors de la diffusion des résultats auprès de la communauté scientifique qu’aucun individu n’est ré-identifiable à partir de ses réponses.