Sophie Pennec
nous parle du projet de recherche sur les orphelins en France
Sophie Pennec est démographe à l’Ined. Coresponsable de l’enquête sur la fin de vie en France (2010), elle mène aujourd’hui un projet de recherche sur les orphelins, en partenariat avec la fondation d’entreprise OCIRP.
(entretien réalisé en avril 2015)
Pourquoi lancer un projet de recherche sur les orphelins en France ?
Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, confrontés à la disparition de nos parents à l’âge adulte. Dans les pays développés, cet événement survient de plus en plus tard : avec l’allongement de l’espérance de vie, les enfants approchent souvent de la retraite à la mort des parents. Il est de plus en plus rare de perdre son père ou sa mère durant son enfance ou son adolescence.
En France, les jeunes orphelins constituent donc une population peu nombreuse, qui n’apparaît pas distinctement dans les statistiques. Les études s’intéressant aux familles, par exemple, regroupent dans la même catégorie les familles devenues monoparentales à la suite du décès de l’un des parents ou de leur séparation. Ce que vivent les orphelins est pourtant a priori bien différent de ce que peuvent connaître les enfants de parents divorcés ou séparés.
Avec ce projet de recherche sociodémographique, mené en partenariat avec la fondation d’entreprise OCIRP - Au coeur de la famille (Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance), nous espérons sortir de l’ « invisibilité » ces orphelins, ignorés des statistiques et aussi souvent oubliés des politiques publiques. Car leur situation demeure sans doute très singulière, d’autant plus peut-être qu’elle est désormais rare et méconnue.
Quels sont les principaux axes de ce projet ?
Cécile Flammant, qui prépare une thèse sur le sujet, Laurent Toulemon et moi-même tenterons d’abord de déterminer combien d’enfants et de jeunes adultes orphelins vivent aujourd’hui en France et combien de familles sont concernées.
Dans les derniers travaux démographiques sur le sujet, que j’avais réalisés avec Alain Monnier, nous avions estimé à environ 500 000 le nombre d’orphelins de moins de 21 ans en France en 1999. La majorité d’entre eux étaient orphelins de père. Seul un sur vingt avait connu la mort de ses deux parents. Il faut en effet rappeler que les orphelins peuvent avoir vécu la disparition d’un parent (on parle alors d’orphelins « simples ») et pas nécessairement des deux (orphelins « doubles »).
Pour mieux connaître les orphelins, nous essaierons de préciser leurs caractéristiques sociodémographiques et leurs conditions de vie : où habitent-ils, à quel milieu social appartiennent-ils, dans quel type de famille (recomposée, monoparentale…) vivent-ils, ont-ils des demi-frères ou demi-sœurs... Nous analyserons le risque d’orphelinage ou de veuvage en fonction du milieu social et son évolution au fil du temps et nous nous pencherons également sur le cas des familles dont les parents ne sont pas mariés.
Enfin, nous regarderons quelles conséquences la disparition prématurée de leurs parents a pu avoir -ou non- sur le parcours des orphelins, notamment lors de leur passage à l’âge adulte. Nous nous demanderons s’ils ont fait des études, s’ils ont quitté le domicile familial plus tôt ou plus tard que les autres, à quel moment ils ont commencé à vivre en couple, etc.
Comment allez-vous travailler ?
Ce projet doit durer quatre ans, au cours desquels nous allons mobiliser un large spectre de données : à la fois des données administratives, des données de gestion des organismes d’assurance et/ou de sécurité sociale et aussi, bien évidemment, les données des enquêtes statistiques (Insee notamment, l’Institut national de la statistique et des études économiques ayant rajouté dans ses enquêtes des questions sur la survie des parents). L’une des difficultés est qu’il s’agit d’une population dont les échantillons sont de taille réduite dans les enquêtes. En exploitant un grand nombre d’enquêtes, nous espérons travailler sur des données plus robustes.
Nous allons également réaliser des simulations, à partir des taux de fécondité et de mortalité pour les différentes catégories socioprofessionnelles, afin de valider notre estimation du nombre d’orphelins à partir des enquêtes et décomposer les évolutions de l’orphelinage au cours des dernières décennies: effet de l’augmentation de l’espérance de vie, effet du recul de l’âge à la maternité, différentiels sociaux et évolution de ces différentiels.