Sophie Le Coeur
répond à nos questions à l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida
Chercheure à l’Ined et au Ceped, Sophie Le Cœur est responsable d’un projet sur le sida en Asie du Sud-Est et plus particulièrement en Thaïlande (entretien réalisé en novembre 2013).
Pourquoi s’intéresser au sida en Thaïlande ?
La Thaïlande a été le premier pays d’Asie sévèrement touché par l’épidémie du sida à la fin des années 1980. Son ampleur était considérable, avec plus d’un million de personnes infectées depuis le début de l’épidémie, et ses conséquences démographiques ont été majeures, avec plus de 500 000 décès (surtout d’adultes jeunes) sur une population d’un peu plus de 60 millions d’habitants. En plus des programmes de prévention destinés à l’ensemble de la population, le programme gouvernemental de lutte contre le sida a considéré la recherche -clinique, épidémiologique, mais aussi en sciences sociales- comme un des piliers de la lutte contre l’épidémie, ainsi que le traitement des patients et la lutte contre la discrimination. Grâce à ce programme et l’application des résultats de la recherche, la Thaïlande a été un des rares pays à avoir inversé la tendance épidémique dès le milieu des années 90. Le pays peut donc être considéré comme un modèle pour sa lutte contre l’épidémie.
L’Ined a été impliqué avec l’IRD dans des recherches pour améliorer les stratégies de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Les résultats de cette recherche ont été immédiatement appliqués en Thaïlande permettant de réduire considérablement le nombre d’enfants nés avec le VIH. Ces résultats ont aussi été à la base des recommandations de l’OMS pour les pays à ressources limitées. L’Ined participe également à des programmes d’optimisation des traitements chez les adultes et les enfants.
Enfin, en collaboration avec l’IRD, l’Ined a initié un projet de recherche pour évaluer les conditions de vie des adolescents nés avec le VIH en Thaïlande, financé par Sidaction. Leur adolescence est particulièrement douloureuse du fait de leur séropositivité : comment aborder la sexualité ? Comment acquérir l’assurance nécessaire pour entrer dans la vie adulte alors qu’ils sont ou ont souvent été stigmatisés ? Comment surmonter les séquelles de la maladie ? Les adolescents arrêtent parfois de prendre leur traitement et mettent ainsi leur vie en danger, comme le montre le rebond de mortalité observé à cette période.
Où en est la situation du sida dans le monde et en France ?
Dans son bilan pour 2012, l’ONUSIDA estime le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde à 35,3 millions dont 25 millions en Afrique et un peu moins de 5 millions en Asie. Dans cette même année, il y aurait eu 2,3 millions de nouvelles infections (soit 33% de moins qu’en 2001) et 1,6 million de décès.
En France, d’après les données de l’Institut de veille sanitaire (InVS), environ 150 000 personnes vivaient avec le VIH en 2012. Sur les 6 100 personnes qui avaient découvert leur séropositivité cette même année, 40% étaient des hommes ayant eu des relations sexuelles avec des hommes. L’Ile-de-France, la Côte d’Azur et la Guyane étaient les régions les plus touchées.
Quelles sont les nouvelles avancées de la recherche dans le domaine du sida ?
En réduisant de façon spectaculaire la morbidité et la mortalité liées au VIH/sida, les traitements antirétroviraux transforment l’infection à VIH en une maladie chronique. Ces dernières années ont vu une forte augmentation du nombre de personnes infectées bénéficiant de ces traitements (près de 10 millions de personnes dans le monde en 2012).
Deux avancées majeures ont été réalisées ces dernières années.
Primo, le traitement précoce permet aux personnes infectées de vivre mieux et plus longtemps, réduit aussi fortement la transmission, mettant un frein à l’expansion de l’épidémie. L’OMS préconise donc une mise sous traitement plus précoce au cours de l’infection. Dans cet esprit, une nouvelle stratégie a été mise en place dans plusieurs pays à forte prévalence du VIH où un traitement antirétroviral simple à vie est proposé à toutes les femmes enceintes dépistées séropositives. En plus de prévenir les transmissions aux enfants, cette stratégie réduirait également les transmissions aux conjoints séronégatifs et à terme limiterait l’épidémie.
Secundo, une perspective de « guérison » de l’infection. Un petit nombre de personnes traitées très rapidement après leur contamination, et dont le traitement a été interrompu, se portent bien sans trace du virus dans le sang. Cette perspective de « guérison », encore exceptionnelle, fait naître de grands espoirs alors que, jusqu’à présent, ce n’est qu’au prix d’un traitement à vie que les personnes infectées pouvaient accéder à une vie quasi normale tout en faisant face à de nouveaux défis comme celui d’un vieillissement précoce encore mal expliqué.