Anne Solaz et Ariane Pailhé

nous parlent de la participation des hommes et des femmes au travail domestique

Ined- Colette Confortès

 

Ariane Pailhé et Anne Solaz sont chercheures à l’Ined ; elles étudient toutes deux les interrelations entre vie familiale et vie professionnelle et la division du travail au sein des couples. Ariane Pailhé s’intéresse aussi aux inégalités sur le marché du travail, selon le sexe et/ou l’origine ethnique, et Anne Solaz à la fécondité et aux conséquences économiques du divorce.

(Entretien réalisé en avril 2014).

Pourquoi étudier le temps passé aux tâches domestiques ?

Le partage du travail domestique est au cœur des inégalités entre hommes et femmes. En dépit de la participation accrue des femmes au marché du travail, elles consacrent toujours deux fois plus de temps que les hommes aux activités domestiques et parentales. Or avoir des contraintes domestiques fortes peut compromettre la recherche d’un emploi, affecter le temps de travail rémunéré, limiter la disponibilité et les promotions. Réciproquement, les horaires de travail souvent moins étendus pour les femmes que les hommes les rendent davantage responsables des tâches domestiques et les maintiennent dans ce rôle. Inégalités sur le marché du travail et inégalités dans le partage du travail domestique sont donc étroitement liées. Les hommes restent principalement engagés dans la sphère professionnelle tandis que les femmes restent responsables de la sphère privée. Ce déséquilibre peut nuire à leur bien-être : charge psychologique, sentiment de débordement et d’injustice.

Comment mesurer ce temps domestique?

Les enquêtes « Emploi du temps » permettent de mesurer le temps passé aux différentes activités. Concrètement, un échantillon de ménages est tiré au hasard et chaque personne indique sur un carnet toutes les activités réalisées un jour donné, par tranche de 10 minutes en France, en détaillant le type d’activité, par exemple « préparation du repas », « bricolage» ou « réception d’amis ». Le temps passé d’un individu au travail domestique est la somme de toutes les activités ménagères. Ces enquêtes permettent ainsi de calculer des moyennes journalières au niveau national pour les hommes, les femmes ou d’autres catégories de population. L’enquête est réalisée tout le long d’une année entière et porte sur tous les jours de la semaine afin de tenir compte des variations saisonnières et journalières. L’enquête la plus récente en France a été réalisée de septembre 2009 à septembre 2010. Ces enquêtes sont menées dans de très nombreux pays, avec une méthodologie très semblable, ce qui permet de réaliser des comparaisons internationales.

Quelles sont les évolutions observées sur le long terme ?

Au cours des 25 dernières années, on constate que les hommes se sont davantage impliqués dans l’éducation des enfants, tandis que leur participation dans les autres tâches domestiques est restée stable. Les femmes ont également consacré davantage de temps aux activités parentales mais sensiblement moins à l’entretien domestique. Elles délaissent ainsi progressivement leur rôle de ménagère pour celui de mère éducatrice. Les différences sexuées dans la nature des tâches effectuées se maintiennent : les femmes continuent à prendre davantage en charge les tâches répétitives et routinières, comme la cuisine, les lessives et le ménage quand les hommes continuent à réaliser plus de tâches occasionnelles pouvant être organisées en fonction des disponibilités comme le bricolage ou les courses.
Les évolutions du temps domestique tiennent surtout aux changements des comportements, reflétant un relâchement des exigences en matière d’entretien domestique. Faute de temps, les maisons sont donc probablement moins rangées et moins propres qu’il y a 25 ans ! La progression de l’activité féminine et les changements des structures familiales ont bien sûr également influencé ces évolutions, mais dans une moindre mesure. Si la spécialisation conjugale des tâches domestiques traditionnelle avec l’homme seul pourvoyeur de ressource a diminué, des résistances au partage plus égal des tâches domestiques restent notables, les femmes demeurant toujours les premières responsables de la bonne tenue de la maison et des membres de la famille. 
La prise en charge des enfants au sein des couples devient, quant à elle, plus équilibrée. Les pères n’assumant aucune tâche parentale se font plus rares. Cette diffusion témoigne d’un changement de normes quant à l’implication des pères auprès de leurs enfants, qui est aussi largement plus valorisée que par le passé.