Sandra Brée, Marie Bergström et Christophe Giraud
Interview de Sandra Brée, historienne et démographe au CNRS, Marie Bergström, chargée de recherche à l’Ined, et Christophe Giraud, sociologue et chercheur, sur la notion de couple au sein de la société et le phénomène de « Living apart together ».
(Entretien réalisé en janvier 2024)
Aujourd’hui en France, la proportion de femmes et d’hommes solo (sans relation de couple, cohabitante ou non) est-elle plus élevée qu’elle ne l’était au début du XXe siècle) ?
Réponse de Sandra Brée et de Marie Bergström
La réponse à cette question est difficile car la définition du célibat et la manière de compter les « célibataires » a évolué en s’affranchissant de l’état matrimonial légal. Les enquêtes par questionnaire permettent d’éclairer la conjugalité de façon plus subjective, en ne prenant plus l’état civil comme seule référence statistique pour appréhender les comportements nuptiaux.
Cinq définitions statistiques coexistent désormais dans la littérature : le célibat comme "jamais marié", "pas (encore) marié", "ne résidant pas en couple", "vivant seul", ou "ne se considérant pas en couple". La dernière approche, la plus récente, repose sur une définition déclarative qui épouse ce que les individus, eux-mêmes, considèrent comme « être en couple ». Heuristique à ce titre, elle englobe toutefois un large éventail de situations et remet donc en question l’homogénéité de la catégorie.
Mesurer le nombre de célibataires et leur évolution dépend donc de la définition utilisée. L’évolution historique dépend également de la période de référence. Le célibat (au sens de l’état matrimonial) a augmenté depuis le milieu du XXe siècle mais des séries historiques plus longues révèlent davantage de variations et remettent en question l’idée d’une augmentation du célibat (au sens de hors couple) et la spécificité de l’époque contemporaine.
Depuis quand la notion de relation Living apart together est-elle employée et comment cette forme de relation a-t-elle évolué au fil du temps ?
Réponse de Christophe Giraud
La notion de relation « Living apart together » (ou LAT relationship) est utilisée pour la première fois par un démographe néerlandais Cees J. Straver en 1978 dans un article « Les nouveaux célibataires : ensemble séparés ». Il est formé en référence à un film néerlandais diffusé en 1973, Franck & Eva, Living apart together. Il servait à décrire des relations intimes stables mais sans logement commun. La notion a été opérationnalisée d’abord avec plusieurs questions dans les enquêtes FFS (Family and Fertility Survey) qui ont été administrées dans le cours des années 1990, essentiellement dans de nombreux pays européens, puis dans les enquêtes GGS (Generation and Gender Survey) lors de la décennie suivante.
Au début des années 2000, les relations non-cohabitantes sont surtout pensées comme des relations codées subjectivement comme couple. Les travaux des années 2000 et 2010 ont montré l’hétérogénéité de ces relations. Chez les jeunes adultes, elles sont un prélude à une vie de couple cohabitante, parfois un mariage. Mais chez les adultes divorcés ou chez les adultes âgés, elles sont souvent des compromis très stables et pensés sur le long terme.
Sources : Marie Bergström et Sandra Brée, 2023, Not a single meaning: Definition and evolution of singlehood in France and the United States, Journal of Family Theory & Review, 15: 465-484
Christophe Giraud, « Les relations LAT ou living apart together : 40 ans de recherches sociodémographiques », Population, 2023/1