Patrick Simon
Patrick Simon, directeur de recherche, a répondu à nos questions au sujet de la diversité religieuse en France, des transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines.
(Entretien réalisé en juin 2023)
L’affiliation à une religion en particulier et la place qu’elle occupe dans l’identité individuelle semblent deux choses différentes. Pourquoi ?
Nous mesurons l’affiliation religieuse par deux questions : Avez-vous une religion, et si oui laquelle ? La notion de religion n’est pas exactement identique à celle de spiritualité, dans le sens où elle renvoie principalement (mais pas uniquement) à l’appartenance à un culte. Ici nous identifions les principaux cultes tels que le christianisme (avec les églises catholiques, protestantes, chrétiennes orthodoxes et autres chrétiens), le judaïsme, l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme et les autres religions sont regroupées. Mais s’affilier ne préjuge pas de la place qu’occupe la religion dans la vie ou le degré de religiosité des personnes. On observe que les personnes se disant catholiques par exemple ont un rapport assez distendu à la religion : 27% disent qu’elle a assez ou beaucoup d’importance dans leur vie. C’est le cas de 76% des personnes se disant musulmanes. Une autre façon de parler de la religiosité est de s’intéresser à la dimension religieuse de l’identité personnelle. Devant choisir jusqu’à 4 dimensions pour décrire leur identité, les enquêtés ont rarement mentionné la religion : c’est le cas de 8% des catholiques, de 30% des musulmans et de 52% des juifs. Affiliation religieuse et identité ne coïncident pas nécessairement.
Quelles sont les dynamiques de transmission intergénérationnelle entre les différentes religions ?
Le rôle de la socialisation familiale religieuse est déterminant dans le rapport à la religion : les personnes élevées dans une famille où la religion était présente ont plus de probabilité d’avoir une affiliation religieuse. Cependant, les taux de transmission varient entre les grandes religions, ce qui explique que la sécularisation (c’est-à-dire l’abandon de la religion) progresse d’une génération à l’autre. Si 93% des personnes ayant grandi dans une famille d’athées ou agnostiques se disent sans religion, le taux de transmission est plus faible pour les catholiques (67%) que pour les musulmans (91%).
Alors que le port du voile par les femmes musulmanes fait parfois débat, l’enquête TeO pose des questions à ce sujet. Qu’apprend-on ?
L’enquête enregistre le port de signes signalant la religion, dont le voile (porté essentiellement par les femmes musulmanes). La pratique concerne 26% des femmes musulmanes âgées de 18 à 49 ans, et elle a augmenté sensiblement depuis la précédente enquête en 2008-2009 où 18% des femmes musulmanes déclaraient porter un voile. L’augmentation concerne tous les âges et les générations, mais la pratique est toujours plus fréquente chez les femmes musulmanes immigrées (36%) que pour les femmes musulmanes descendantes d’immigrés (17%). Pour les descendants d’immigrés, le port du voile est adopté davantage par les plus jeunes (20% à 25-34 ans, contre 17% à 35-44 ans), suggérant que c’est une pratique qui fluctue au cours de la vie. Enfin, on observe une participation extrêmement plus limitée au marché du travail des femmes portant le voile : 27% d’entre elles sont en emploi contre 55% des femmes musulmanes ne portant pas le voile. Les différences s’expliquent en partie par un taux de chômage plus élevé, mais surtout par un très fort retrait du marché du travail, pour des raisons qui tiennent tout autant à des modèles familiaux qu’à une exclusion du travail renforcée par le contexte de laïcité plus coercitive qui s’est affirmé depuis 20 ans.
Source : Lucas Drouhot, Patrick Simon et Vincent Tiberj, 2023, La diversité religieuse en France : transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines, Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (Éd.), Immigrés et descendants d’immigrés en France. Insee Références. Édition 2023, Montrouge : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), p. 39-47.