Pascale Dietrich-Ragon
Nous avons interviewé Pascale Dietrich-Ragon, chargée de recherche, sur les étudiants des catégories populaires face à la décohabitation familiale.
(Entretien réalisé en août 2022)
Pour quels motifs les étudiants issus des catégories populaires cherchent-ils un logement autonome pour suivre leurs études ?
J’ai travaillé sur une frange particulière des étudiants des catégories populaires : ceux des banlieues parisiennes, fréquemment issus de l’immigration, qui souhaitaient obtenir un logement à Paris pour poursuivre leurs études. L’argument le plus fréquemment mis en avant pour justifier la nécessité de la décohabitation est de diminuer des temps de transport très élevés, situation qui a d’importants retentissements sur leurs études et leur vie sociale. En raison de l’éloignement, ces jeunes se sentent à la marge, car ils sont mis dans l’impossibilité de jouir pleinement de la vie qu’est censée impliquer le statut d’étudiant. De surcroît, ceux qui vivent dans des quartiers disqualifiés aspirent à les mettre à distance afin de favoriser leur réussite sociale. Aux yeux de ces jeunes, il est nécessaire de s’ancrer dans le lieu valorisé que représente la capitale pour mettre toutes les chances de leurs côtés. Ils sont peu à peu amenés à penser le rapprochement physique du lieu d’études comme un ressort de leur réussite universitaire et de leur intégration au monde étudiant.
A quels obstacles sont-ils confrontés au cours de leur recherche de logement ?
Dans le contexte d’un marché immobilier très sélectif, ils se heurtent à divers obstacles pour trouver un logement. D’une part, le marché locatif privé leur ferme largement ses portes en raison du peu de ressources économiques de leurs parents et parfois de l’absence de garant. De surcroît, ils tendent à s’auto-exclure de ce secteur où ils pensent ne pas avoir leur place. Tous leurs espoirs se reportent donc sur le marché locatif social. Mais, là aussi, l’attente aux guichets et l’accompagnement qui leur est proposé les renvoient à leur « place », c’est-à-dire à une position dominée dans l’espace social. L’obtention d’un logement à Paris est vécue comme un parcours du combattant.
Une fois le logement trouvé, quelles sont les difficultés rencontrées ?
Certains ont dû accepter des solutions insatisfaisantes et pâtissent de mauvaises conditions de logement. Mais la difficulté la plus répandue réside dans les problèmes de paiement du loyer, qui ont des répercussions en chaîne sur la vie des étudiants. Les interviewés décrivent tous une situation où ils sont tracassés par les problèmes financiers. La nécessité de payer le loyer les contraint fréquemment à consacrer un temps croissant aux « petits boulots ». Souvent, les difficultés à payer reproduisent les tiraillements auxquels le déménagement était censé mettre un terme. Il faut intensifier le temps consacré au travail salarié, solliciter des proches déjà aux prises avec les difficultés financières, avoir recours dans les cas extrêmes aux services sociaux. Un cercle vicieux, dans lequel le logement est central, se met donc en place et éjecte ces jeunes des études, les poussant précocement vers le marché du travail. Au bout du compte, les problèmes de logement rencontrés au moment de la décohabitation pour suivre des études supérieures renforcent le sentiment d’insécurité sociale, déjà fort chez les jeunes des catégories populaires, et contribuent à la prise de conscience d’une position dominée dans la société.