Pascale Dietrich-Ragon
chargée de recherche à l’ined, répond à nos questions sur les personnes privées de logement issues de l’immigration en France.
(Entretien réalisé en mai 2017)
Quels sont les constats qui ont motivé cette étude sur les personnes privées de logement issues de l’immigration en France ?
J’ai choisi de m’intéresser à ce sujet car la part d’étrangers parmi la population sans-domicile est passée de 38% en 2001 à 53% en 2012. Je suis donc partie des données de l’enquête Sans-domicile de 2012 pour analyser les parcours résidentiels de ces personnes.
En quoi la situation des sans-domicile issus de l’immigration diffère-t-elle de celle de la population majoritaire ?
Tout d’abord, les profils sociodémographiques sont très différents. La population privée de logement ayant migré compte plus de femmes, est plus jeune et vit beaucoup plus en famille avec des enfants. Les parcours sont également peu comparables. Les enquêtés de la population « majoritaire » (dont eux-mêmes et les deux parents sont nés en France ou dans les DOM-TOM) ont largement connu des trajectoires de « déclassement résidentiel », c’est-à-dire qu’ils ont perdu leur logement, alors que c’est beaucoup moins le cas des migrants qui n’ont souvent jamais eu de logement à eux en France. Pour les premiers, la question des ruptures biographiques conduisant à la perte du logement est donc essentielle alors que, chez les seconds, le problème se pose davantage en termes d’accession à un premier toit sur le territoire français. Cette impossibilité de faire sa place sur le marché immobilier est en partie liée à des problèmes d’irrégularité sur le territoire. Par ailleurs, l’illettrisme ne facilite parfois pas les démarches administratives. Beaucoup de migrants sont dès lors exposés à des situations de dénuement extrêmes, d’autant plus qu’ils se trouvent parfois isolés dans la société française. Malgré ces difficultés, ils sont moins marginalisés que les enquêtés de la population majoritaire : ils sont mieux insérés sur le marché de l’emploi et sont en meilleure santé.
Il faut relever que, parmi la population migrante, différentes trajectoires mènent à la privation de logement personnel. Pour certains, cette situation est liée au moment particulier de l’arrivée en France. La précarité résidentielle fait alors suite à de fortes difficultés présentes dès la période anté-migratoire et est liée à une fréquente situation irrégulière sur le territoire. Pour d’autres, en particulier dans des contextes urbains marqués par une pénurie de logements abordables, l’absence de logement dure depuis des années, ces personnes se trouvant enfermées dans le système de l’hébergement institutionnel. Enfin, un autre cas concerne les migrants qui ont connu une relative insertion résidentielle à un moment de leur vie, puis une rupture dans leur trajectoire, souvent professionnelle ou familiale.
Une prise en charge spécifique est-elle mise en œuvre pour la population migrante ?
Mon travail souligne que la précarité résidentielle frappe avec une force particulière les migrants et les descendants d’immigrés. Or, en matière d’hébergement institutionnel, ces derniers ne sont pas logés à la même enseigne que les personnes de la population majoritaire. Les hommes migrants présentent plus de risques d’être laissés à la rue et les femmes migrantes tendent à être reléguées dans les dispositifs d’urgence, moins favorables à l’insertion. En outre, parmi les migrants, les femmes avec enfants sont favorisées, de même que les plus insérées sur le marché du travail et les plus éduquées. À l’inverse, les migrants les plus précaires se voient proposer des solutions elles-mêmes précaires qui amenuisent leurs possibilités d’insertion dans la société française. Il n’y a donc pas de prise en charge uniforme.