Olivia Samuel et Anne Paillet
chercheures associées à l’Ined, répondent à nos questions au sujet des soins apportés aux nourrissons par les parents.
(Entretien réalisé en juillet 2017)
De quelle manière cette étude a-t-elle été conduite ? Dans quel cadre s’inscrit-elle ?
La recherche a été initiée à l’occasion du lancement du projet Elfe en 2005. Nous avions proposé de travailler sur la construction des identités sexuées dans l’enfance, au travers de la production et de la transmission des normes et des pratiques en matière de santé, au sein des familles. Au fil du temps, les contours du projet ont évolué et se sont élargis. En attendant de disposer des données Elfe, nous avons réalisé une enquête qualitative, au cours de laquelle nous avons interrogé pendant trois ans, à partir de la grossesse, des pères et des mères accueillant leur deuxième enfant. Parallèlement, nous avons étendu notre objet pour traiter plus globalement la question du corps, aussi bien du point de vue de l’hygiène et de la santé que de l’apparence et des rapports aux corps. Une première étape nous est apparue fondamentale : étudier pourquoi et comment très tôt, dès la grossesse et les premiers mois suivant la naissance, les parents « sexuent » leur futur enfant, puis leur jeune enfant.
Notre approche consiste en outre à situer socialement les pratiques et discours parentaux de sexuation du fœtus et de l’enfant, ainsi que l’activité de soins des mères et des pères : dans tous les milieux sociaux, les enfants sont pris extrêmement tôt dans des contextes de socialisation qui différencient les attentes autour des filles et des garçons, les éducations, même si les modes et degrés de différenciation varient.
Entre autres angles d’étude, vous vous intéressez aux soins donnés aux nourrissons. Quelles répartitions des soins sont observées entre hommes et femmes?
Nous avons examiné comment les parents prennent en charge les soins quotidiens au nourrisson, vers deux mois ; des soins auxquels tous les parents sont confrontés et, qu’à cet âge-là, ils sont peu nombreux à déléguer à des tiers : nourrir, changer les couches, donner les bains, couper les ongles, soigner les irritations des fesses, moucher, coucher. Au-delà de la mesure de la répartition entre les mères et les pères (au sein des familles composées de la sorte), nous avons analysé les rapports que les mères et les pères entretiennent à l’égard de ces soins (déclarent-ils aimer les faire, les effectuer seulement par obligation ou bien préférer les éviter ?). Il apparaît que ni la division du travail de soin entre les deux parents ni les rapports subjectifs déclarés pour ces soins ne semblent dépendre du sexe du nourrisson. Les données longitudinales de l’enquête Elfe nous permettront de voir si, au fur et à mesure que les enfants grandissent, des différenciations entre filles et garçons se mettent en place. En revanche, les niveaux de participation ainsi que les rapports aux soins sont très différents entre les pères et les mères. Nos résultats rejoignent les conclusions de nombreux travaux sur l’inégal partage du travail domestique et parental : sans surprise, les mères sont les principales productrices des soins au nourrisson. Toutefois, selon les tâches, le partage est plus ou moins inégal. Il est particulièrement dissymétrique pour des soins comme le change des couches ou les bains ; il l’est, mais un peu moins, pour les mises au coucher, ou pour les biberons (pour les nourrissons non allaités exclusivement). En outre, si la structure/hiérarchisation des goûts est assez proche entre hommes et femmes (nourrir ou donner les bains est plus apprécié que moucher ou couper les ongles), une différence significative ressort : les femmes ne s’affranchissent pas, ou peu, des soins qu’elles n’aiment pas faire et les effectuent tout de même, alors que les hommes les délèguent davantage (aux femmes), particulièrement dans les milieux populaires, mais aussi dans les milieux supérieurs.
Ces répartitions des soins se distinguent-elles de celles observées quand l’enfant est plus grand ?
Pour l’instant, l’enquête Elfe nous permet seulement de comparer la situation aux deux mois de l’enfant et celle à ses un an. Globalement, il y a assez peu de changement. Nous aurons bientôt les données recueillies aux vagues suivantes de l’enquête Elfe, et nous pourrons avoir plus de recul pour examiner comment la répartition et les rapports aux soins évoluent avec l’avancement en âge de l’enfant. C’est tout l’intérêt d’un suivi longitudinal tel que celui permis par l’enquête Elfe.
Cette recherche est actuellement réalisée par Olivia Samuel, Anne Paillet (laboratoire Printemps, chercheures associées Ined), Yoann Demoli, Christine Hamelin, Agnès Pélage, Catherine Rollet† (laboratoire Printemps), Carole Brugeilles, Céline Clément et Rose Prigent (GTM-Cresppa).