Olivia Samuel, Aurélien Dasré et l’équipe DyPE

Paru aux éditions de l’Ined, l’ouvrage Enfance et famille au Mali porte sur des populations bwa qui vivent au Mali, dans une zone majoritairement rurale, à la frontière du Burkina Faso. 

(Entretien réalisé en novembre 2024)

Durant 30 ans, des enquêtes ont été conduites auprès de populations bwa au Mali. Sous quelles formes se sont-elles déroulées ? S’agissait-il d’enquêtes longitudinales ?

Les enquêtes SLAM (Suivi longitudinal au Mali) résultent des travaux réalisés par Véronique Hertrich à la fin des années 1980 lors de sa thèse. Elle a mis en place un dispositif très complet d’enregistrements démographiques dans 8 puis 7 villages bwa au Mali, aidée de personnes ressources et d’interprètes locaux. Au fil du temps, de nombreuses personnes ont participé à la collecte des données dans le cadre de stages, de thèses ou de contrats de recherche.

Sans détailler l’intégralité du dispositif d’enquête, on peut mentionner les deux enquêtes principales : un recensement des unités familiales et des habitant·es, avec une mise à jour périodique (l’enquête renouvelée), et une enquête biographique réalisée dans deux villages avec un questionnaire très détaillé sur les parcours des individus (matrimonial, génésique, résidentiel, religieux). À cela se sont greffées de nombreuses autres opérations de collecte, notamment un recueil généalogique des lignages, des enquêtes sur les conditions économiques des familles, une enquête qualitative sur le passage à l’âge adulte, etc.

Après l’enquête initiale en 1988 (2 800 habitant·es au total), la collecte a été renouvelée tous les 5 ans, avec une actualisation des données déjà recueillies et de nouvelles données enregistrées, en 1994, 1999, 2004 et 2009 (4 300 habitant·es). Il s’agit donc d’un dispositif longitudinal de suivi prospectif.

Il faut souligner une caractéristique remarquable de cette enquête : grâce à la coopération que Véronique Hertrich a su mettre en place avec l’Institut de statistiques du Mali, la base de données s’est enrichie, dès le départ, des données du recensement national pour les villages enquêtés. Cela a notamment permis d’effectuer un travail méthodologique très important sur la qualité des données par croisement de recueils indépendants.

L’enquête aurait dû se poursuivre après 2009, une nouvelle collecte avait été programmée pour 2014. Les troubles politiques dans le Nord du Mali ont empêché, à ce moment-là, d’aller sur le terrain, et l’aggravation de la situation dans les années qui ont suivi, a marqué un coup d’arrêt à cette belle enquête.

L’environnement familial et domestique influence-t-il les comportements à l’égard des enfants en termes de scolarisation ou de survie ?

Une des ambitions du projet de recherche « DyPE » (pour Dynamique de la Parentalité et de l’Enfance, financé par l’ANR et qui s’appuie sur le dispositif SLAM),  dont l’ouvrage Enfance et Famille au Mali est l’aboutissement, était de documenter très précisément les configurations familiales dans lesquelles vivent les enfants, d’en saisir les évolutions à la fois du point de vue de la morphologie des structures familiales et du point de vue des personnes qui les entourent (père, mère, frères et sœurs, oncles, tantes, cousins et cousines, etc.). Ce que nous avons nommé l’environnement familial des enfants. Le projet DyPE a permis de montrer à quel point la plupart des enfants grandissant dans ces villages vivent dans des groupes familiaux composés de nombreuses personnes (autour de 10 en moyenne), assez mobiles (notamment avec de nombreux départs et arrivées dans un cycle de 5 ans), et où les parents biologiques et l’adelphie ne constituent qu’une part relative de l’entourage de l’enfant. 

À partir de ce constat, nous avons cherché à déterminer comment l’environnement familial de l’enfant (famille plus ou moins nombreuse, avec plusieurs noyaux familiaux, etc.) et sa place dans la famille (fils du chef de famille, enfant confié, etc.) induisent des variations dans la survie des enfants et dans leur scolarisation. L’hypothèse étant que certaines situation familiales (familles très nombreuses ou inversement, familles polygames, enfant confié) pouvaient être des facteurs défavorables, comme d’autres travaux l’ont montré. Or notre principale conclusion est que, dans les villages bwa enquêtés, les inégalités de survie et de scolarisation sont, d’une part, relativement réduites et, d’autre part, très peu reliées à l’environnement familial des enfants. Nous expliquons cela par une organisation sociale et communautaire fortement attachée à une norme égalitaire et à l’évitement de pratiques distinctives, ce qui limite l’adoption de comportements différenciés et inégaux entre les enfants. 

La fécondité au Mali est aujourd’hui l’une des plus élevées d’Afrique. Qu’apporte cet ouvrage à la compréhension des mutations démographiques en cours ou à venir ?

Le Mali est au début de la seconde phase de sa transition démographique. La mortalité y a déjà fortement diminué, mais la fécondité reste encore à un niveau élevé (5,5 enfants par femme). Chez les Bwa, la fécondité n’avait d’ailleurs pas encore commencé à baisser à la fin des années 2000. Il en résulte une croissance démographique très forte avec un doublement de la population tous les 20 ans. 

Dans ce contexte, cet ouvrage permet de documenter comment les structures familiales s’adaptent face à cette très forte croissance démographique. 

Nous y montrons notamment que l’augmentation de la migration, mais aussi une intensification des scissions des grandes familles en structures de taille plus restreinte ont permis une relative stabilité des structures démographiques des familles. À titre d’exemple, dans les unités familiales, le nombre d’enfants par adulte est resté relativement stable malgré un contexte démographique qui aurait dû conduire à sa très forte augmentation.  Si cette stabilité du « taux d’encadrement » des enfants peut être positive pour ces derniers, on peut également penser qu’en limitant les contraintes exercées par la pression démographique, cette adaptation des structures familiales est susceptible de constituer un frein à la baisse de la fécondité dans le contexte étudié.