Michel Guillot

Après un an de conflit, l’espérance de vie dans la bande de Gaza a pratiquement été divisée par deux. Michel Guillot, directeur de recherche à l’Ined, explique la méthodologie utilisée pour arriver à cette conclusion.

(Entretien réalisé en février 2025)

De combien l’espérance de vie des habitants de la bande de Gaza a-t-elle diminué durant les 12 premiers mois des attaques israéliennes ? Qui sont les principales victimes en termes de sexe et d’âge ?

Nous estimons que l’espérance de vie à la naissance dans la bande de Gaza a été pratiquement divisée par deux depuis le début de la guerre. L’espérance de vie a baissé d’un niveau de 75.5 ans avant la guerre à un niveau estimé à 40.5 ans pendant les 12 premiers mois de la guerre, soit une baisse d’environ 35 ans (-46%). Nous pensons que nos estimations sous-évaluent les véritables pertes d’espérance de vie sur ce territoire, car elles ne prennent pas en compte les effets indirects de la guerre sur la mortalité. Elles ne prennent pas non plus en compte la vraisemblable sous-estimation du nombre de victimes. Les pertes d’espérance de vie ont été plus importantes chez les hommes (-38 ans) mais restent cependant très fortes chez les femmes (-30 ans).

Les hommes âgés de 15 à 64 ans représentent environ 46% des victimes. Cela signifie que la majorité des victimes (54%) sont des femmes, des enfants ou des personnes âgées. Concernant les enfants de moins de 15 ans spécifiquement, ils représentent à eux seuls environ 27% des victimes. Les femmes, quant à elles, représentent 36% des victimes.

L’observation des décès en temps réel et dans un contexte de désorganisation des infrastructures administratives et sanitaires soulève des difficultés. Comment avez-vous procédé ?

Le ministère de la santé de Gaza a comptabilisé les victimes dans des conditions difficiles. Le ministère a néanmoins réussi à publier des listes nominatives de victimes, indiquant pour chaque victime ses nom, sexe, date de naissance ainsi que son numéro de carte d’identité. La liste la plus récente à laquelle nous avons eu accès datait du 30 août 2024. Dans notre étude, nous avons vérifié si les individus inclus dans cette liste de victimes étaient également présents dans le registre de population de l’UNRWA, qui couvre les personnes ayant le statut de réfugié, soit environ 66% de la population de Gaza. A l’issue de ce travail, nous avons conclu que cette liste ne montrait pas de signes de « gonflement » de la part du Ministère de la Santé. Il semble plutôt que le nombre de victimes y soit sous-estimé, comme l’a montré une autre étude publiée par The Lancet.

Plus qu’un exercice comptable, en quoi cette quantification de la surmortalité contribue à la qualification des faits et à la reconnaissance des responsabilités politiques ?

Cette question sort du champ de la démographie et du périmètre de notre étude. Il ressort cependant de nos résultats que les chutes d’espérance de vie n’ont pas seulement concerné les hommes. Les femmes ont également vu leur espérance de vie chuter d’environ 30 ans. En outre, la proportion d’enfants de moins de 15 ans représente environ 27% des victimes. Cela explique pourquoi les baisses d’espérance de vie ont été à la fois si fortes et si générales, concernant l’ensemble de la population de Gaza. Ce bilan n’est que provisoire, car il ne prend pas en compte les effets indirects de la guerre. Nous nous attendons à voir des chutes d’espérance de vie encore plus fortes une fois que des informations concernant les décès indirects seront disponibles et prises en compte.

Source : Michel Guillot, Mohammed Draidi, Valeria Cetorelli, José H C Monteiro Da Silva, Ismail Lubbad, Life expectancy losses in the Gaza Strip during the period October, 2023, to September, 2024, The Lancet [en ligne]. 23 janvier 2025. DOI 10.1016/S0140-6736(24)02810-1