Marie-Eve Joël et Jean-Marie Robine
nous parlent du GDR Longévité et Vieillissements
L’économiste Marie-Eve Joël, professeur à l’université Paris-Dauphine, et l’épidémiologiste Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm et chercheur associé à l’Ined, dirigent le Groupement de recherche Longévité et Vieillissements. A l’occasion du lancement de son site internet, ils présentent le GDR et son action.
(Entretien réalisé en mai 2015)
Le Groupement de recherche (GDR) Longévité et Vieillissements a été fondé en janvier 2014, dans quel but ?
Jean-Marie Robine : Ce Groupement de recherche (GDR) a été créé à l’initiative du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et d’organismes de recherche avec le CNRS, l’Ined, l’Inserm, l’université Paris-Dauphine et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Son objectif premier est de donner de la visibilité aux équipes qui travaillent sur le vieillissement dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS).
En France, près de 400 chercheur-e-s en SHS étudient le vieillissement, d’après un recensement de la CNAV. Mais ces équipes sont peu identifiées, alors même que le vieillissement de la population est devenu une priorité de la recherche en Europe, au niveau communautaire (programme Horizon 2020) comme intergouvernemental (Joint programming initiatives).
Marie-Eve Joël : Les équipes françaises, trop dispersées, ne sont plus en mesure de prendre la tête des grands projets européens. Ces projets, désormais conçus pour répondre à de grands « défis », appellent une approche pluridisciplinaire, qui reste encore trop rare dans les sciences humaines en France : les chercheur-e-s s’intéressant au vieillissement se connaissent peu et n’ont pas l’habitude de travailler ensemble.
En quoi consiste l’action du GDR ?
MEJ : Le GDR joue un rôle de facilitateur pour mettre les chercheur-e-s en relation, favoriser le partage des connaissances et informer sur les projets européens. C’est une structure de coordination, qui fonctionne essentiellement grâce aux contributions matérielles des équipes fondatrices. Nous avons mis en place un site internet hébergé par l’Ined, une newsletter « Recherche sur le vieillissement », initiée par la CNAV, un annuaire… L’ambition est de créer un vrai portail sur le vieillissement en France.
Le GDR propose aussi des demi-journées thématiques et méthodologiques, au nombre de six cette année. Chacun apporte ses compétences : à Dauphine, par exemple, nous avons organisé une journée sur SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), une grande enquête européenne (la dernière vague porte sur 60 000 personnes dans 20 pays) qui aborde les dimensions économiques, sociales et sanitaires du vieillissement en Europe.
JMR : Comme le pluriel de son nom l’indique, le GDR porte à la fois sur le vieillissement structurel de la population, qui intéresse notamment les économistes, et le vieillissement individuel. Dans un premier temps, il a réuni la douzaine d’équipes fondatrices, soit quelque 150 chercheur-e-s dans quatre disciplines : démographie, épidémiologie, économie et sociologie. Nous nous ouvrons désormais à l’ensemble des laboratoires dans ces disciplines mais aussi d’autres comme l’anthropologie, la géographie, la psychologie, le droit, etc…
Quels sont les nouveaux axes de la recherche sur le - ou les - vieillissement ?
MEJ : La retraite a été très étudiée pour commencer. Ce fut ensuite la santé des personnes âgées et des personnes en perte d’autonomie. Un volet important concerne l’économie des maladies chroniques. De nombreuses questions se posent : jusqu’où médicaliser ? Faut-il une prise en charge individuelle ou plus collective ? Qu’en est-il de la situation des aidants des personnes âgées ?
Nous commençons à prendre conscience des inégalités face au vieillissement, qui restent à explorer. Au début, on parlait de la dépendance de « la » personne âgée, comme si toutes les personnes âgées connaissaient le même type de vieillissement. En réalité, seul un petit nombre des personnes âgées passent par cette "case" de la dépendance. Les parcours de vie, comme de soins, sont très divers et varient aussi selon les territoires.
Le vieillissement affecte également le capital des familles, l’aide entre les générations… Il faut pouvoir décrire ces nouveaux âges de la vie et sortir des idées schématiques ou caricaturales, entre la grand-mère épuisée qui s’occupe de sa vieille mère et de ses petits enfants et les seniors aisés qui font du tourisme. Une grosse fraction de la population va vivre au moins 15 années en bonne santé après la retraite, quelle place va-t-elle prendre dans le corps social ? Au-delà des images d’Epinal, des champs de recherche considérables s’ouvrent à nous.
JMR : Nous avons assisté à une véritable révolution de la longévité. L’ensemble des adultes vit beaucoup plus longtemps qu’à l’époque où notre société moderne s’est organisée. Tout est bouleversé.
En outre, les populations n’ont jamais été aussi hétérogènes qu’aujourd’hui. Non seulement elles sont dispersées sur un intervalle d’âges beaucoup plus grand, mais les changements de la société n’ont jamais été aussi rapides. A vingt ans d’écart, nous devenons presque des étrangers les uns pour les autres, avec des histoires, des modèles culturels, voire des morales, différents. Aujourd’hui, l’enjeu est peut-être de saisir cette hétérogénéité des populations, de comprendre ce qui la caractérise, pour pouvoir changer notre façon d’appréhender les sujets.