Laurent Toulemon
Laurent Toulemon, directeur de recherche à l’Ined, nous parle de l’évolution récente de la fécondité en France, en comparant avec d’autres pays de l’OCDE.
Retranscription partielle de l’audition de Laurent Toulemon, devant la Commission des Affaires sociales : Conséquences des évolutions démographiques sur le système de protection sociale, 17 mai 2023.
La baisse récente de la fécondité en France doit-elle inquiéter ?
[8’50’’15] Le nombre de naissances évolue peu depuis une cinquantaine d’années, c’est-à-dire depuis la fin du baby-boom, avec une alternance de périodes de hausse et de baisse. La baisse de la fécondité s’est accentuée de façon marquée depuis cinq ans, même si, avec la crise du Covid-19, il y a eu, dans beaucoup de pays, une interruption des tendances. Depuis une cinquantaine d’années, le nombre de naissances en France est cependant à peu près constant, puis qu’il évolue entre 735 000 et 835 000. Le niveau actuel de la fécondité, 1,80 enfant par femme en 2022 est plutôt bas mais il se situe dans la fourchette de ce qu’on a observé ces 50 dernières années : entre 1,68 et 2,03 enfants par femme (respectivement en 1994 et 2010).
[8’52’’40] Aujourd’hui en France, le niveau de la fécondité reste assez élevé dans les comparaisons internationales, avec une dynamique de long terme positive puisque, à l’horizon 2070, les projections démographiques de l’Insee montrent certes une baisse de la population, mais modérée : de 67,4 millions en 2020, la population culmine à 69,3 millions en 2044 avant de redescendre à 68,1 millions en 2070, d’après le scénario central. Dans beaucoup de pays en Europe, les projections conduisent à des conséquences démographiques beaucoup plus importantes.
[8’56’’00] Même si depuis le début de l’année 2023, on constate une baisse de la fécondité de l’ordre de 7% par rapport aux mêmes mois de 2022, la fécondité en France n’est pas si basse et sa baisse pas si marquée, avec un niveau possible de l’ordre de 1,7 enfant par femme en 2023, bien au-dessus de celui des autres pays européens, et cette baisse pourrait ne pas être durable.
Quel est l’impact des crises économiques sur la fécondité en France ?
[8’51’’32] La crise économique de 2008 a entrainé une baisse importante des naissances dans beaucoup de pays de l’OCDE. Les pays où la fécondité était élevée auparavant ont vu leur fécondité diminuer à partir de 2010, mais la France a connu une baisse retardée et modérée.
[8’53’’50] Au début 2021, on a observé dans beaucoup de pays une baisse importante du nombre de naissances 9 mois après le premier confinement. Après cette baisse importante, on a observé une hausse des naissances en 2021, dans les mois qui ont suivi, qui correspond soit à un rattrapage, soit à un effet cocooning, passé le traumatisme, pour les gens dont la situation économique ne s’était pas trop détériorée où à l’inverse ceux qui se sont retrouvés sans emploi. En 2022, dans un certain nombre de pays comme l’Allemagne, le Japon ou encore la Suède, il y a eu une baisse très importante et brutale du nombre des naissances.
[8’55’’20] Les démographes n’arrivent pas à mettre cette baisse en lien avec des évolutions socioéconomiques. Par contre, dans une récente publication des démographes suédois et allemands l’interprètent comme étant en relation avec la politique de vaccination. Dans ces pays, il était indiqué qu’il était préférable d’être déjà vacciné avant d’être enceinte. La baisse de la fécondité pourrait être liée à des comportements de prudence pour entamer une grossesse, en attendant les rappels de vaccination. En France, il n’y a pas eu d’information spécifique aussi marquée sur les risques liés à la vaccination pendant la grossesse, et l’on n’a pas vu de baisse des conceptions liées aux campagnes de vaccination ou aux rappels. Finalement la baisse de la fécondité en 2022 est moins marquée que dans ces pays.
Les politiques de soutien à l’activité professionnelle des femmes ont-elles des effets favorables sur la fécondité ?
[8’57’’25] Concernant les politiques sociales et familiales, les effets sont difficiles à mesurer. Depuis 2014, il y a eu des changements dans les politiques d’allocations familiales qui ont touché les familles aux revenus les plus élevés. Mais la fécondité a baissé dans tous les milieux, pas davantage pour les familles les plus favorisées pour qui une baisse du niveau des allocations ne les fait pas renoncer à avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent. Par contre il peut y avoir eu un effet de halo : des personnes non concernées par ces mesures, pourraient craindre qu’elles seront touchées à l’avenir par d’autres mesures. Ces craintes sur le long terme sont toutefois très difficiles à mesurer. L’explication la plus solide des différences de fécondité entre les pays est l’existence d’une politique familiale stable et qui permet aux couples d’avoir deux salaires, et notamment aux mères de se remettre au travail rapidement après la naissance d’un enfant, avec des perspectives de carrière pas trop dégradées. C’est cette situation qui prévaut en France.
En savoir plus :
Human Fertility database. Short-term fertility fluctuations
Didier Breton, Nicolas Belliot, Magali Barbieri et al., 2022, L’évolution démographique récente de la France. En région comme au niveau national, des comportements démographiques encore marqués par la Covid-19, Population (édition française) 77: 535-614.
Les naissances par mois en 2021, 2022 et 2023, Insee
Bujard, Martin, Andersson, Gunnar (2022), “Fertility declines near the end of the COVID-19 pandemic: Evidence of the 2022 birth declines in Germany and Sweden”. BiB Working Paper 6/2022.