Jacques Véron
nous parle du groupe d’experts « Population Dynamics and the Post-2015 Development Agenda»
Démographe, directeur de recherche à l’Ined, Jacques Véron a été directeur des relations internationales et directeur adjoint de l’Institut. Il mène des recherches sur le thème de la population et du développement durable, en particulier en Inde, ainsi que sur l’histoire et l’épistémologie de la science de la population.
(Entretien réalisé en décembre 2012)
Vous avez participé au groupe d’experts « Population Dynamics and the Post-2015 Development Agenda» organisé par le FNUAP à New York, les 19 et 20 novembre derniers. Quel était l’objectif de cette réunion ?
Comme vous le savez, la conférence internationale sur la population et le développement qui s’était tenue au Caire de 1994 avait établi un « programme d’action » sur vingt ans, par conséquent jusqu’en 2014. Par ailleurs les « objectifs du millénaire » (OMD) ont été définis pour l’horizon 2015. Il est aujourd’hui essentiel de remobiliser la communauté internationale sur les grandes questions de développement au-delà de cette échéance de 2015. On sait bien que les objectifs du millénaire, définis d’une manière quantitative, ne seront pas atteints, mais ce n’est pas une raison pour renoncer à lutter contre la faim et l’extrême pauvreté.
Vous aviez participé, du côté français, aux préparatifs et négociations de la Conférence du Caire de 1994. Avec le recul, quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Le Caire fut à mon sens un grand moment à au moins deux égards. D’une part, les diverses dimensions de la problématique population-développement y ont été abordées, en dépit d’une forte polarisation sur les questions relevant de la santé de la reproduction ou sur les modèles familiaux et sur ce que l’on pouvait entendre par « diversité » des modèles. D’autre part, en dépit d’un appel à un boycott, la plupart des pays du monde ont été représentés à la Conférence du Caire. Par contre, elle a fait naître des espoirs déçus par la suite. Au fur et à mesure du temps, on percevait une réticence plus forte de certains pays riches à faire du développement une priorité. Si bien qu’aujourd’hui la communauté internationale ne se préoccupe pas suffisamment de ces questions majeures que sont, par exemple, l’éradication de la faim ou de l’extrême pauvreté.
Une nouvelle mobilisation, à une échelle internationale, vous semble donc indispensable ?
Oui, car ne pas parler des questions essentielles revient à les considérer comme secondaires. Que près d’un milliard de personnes vivent aujourd’hui dans des bidonvilles, quand on sait tout ce que cela signifie en termes de santé, de famille, de scolarisation, d’environnement, etc., la communauté internationale doit-elle s’en accommoder ?
N’oublions cependant pas que le développement est un concept largement normatif. Si la référence au développement durable s’est imposée, l’établissement de priorités et les arbitrages peuvent être difficiles et source de profonds désaccord. Par ailleurs, promouvoir le développement n’est pas une chose aisée, même avec les meilleures intentions du monde.
En tant que démographes, nous n’avons pas à dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Par contre, nous devons montrer l’importance de la dynamique de la population quand il est question de développement et d’environnement. Et nous devons montrer que cette dynamique est complexe et ne saurait se réduire à quelques relations simples plus ou moins déterministes.
L’objectif du groupe d’experts était de remettre la variable « population » (sous l’angle de la fécondité, de la mortalité, du vieillissement, de l’urbanisation, des migrations internationales, etc) au centre des questions de développement. Cette réunion inaugure en réalité une série de consultations des différents acteurs concernés par ces questions.