Isabelle Séguy
Isabelle Séguy, chargée de recherche à l’Ined, étudie les comportements socio-démographiques sous un angle historique et à partir de données archéologiques.
(Entretien réalisé en avril 2024)
Pourquoi est-il important, dans le cadre de vos travaux, de pouvoir accéder à des données paléodémographiques de populations postcoloniales ?
Les populations archéologiques du Mexique, préhispaniques et postcoloniales, présentent des particularités dont il faut tenir compte. Les formes du peuplement font coexister sur un même territoire de groupes ethnico-culturels fortement différenciés ; groupes nomades et cités puissantes se cotoyent, parfois violemment ; la conquête espagnole et les bouleversements qu’elle a entrainés ont marqué les cultures et les individus ; les pratiques funéraires diffèrent notablement de celles qui ont cours en Europe aux mêmes époques : tous ces éléments nécessitent d’adapter les analyses paléodémographiques, développées pour des contextes européens.
Accéder aux collections ostéo-archéologiques mésoaméricaines permet de nouveaux questionnements ; par exemple, peut-on observer sur les squelettes des populations post-coloniales les impacts de la colonisation et d’une acculturation forcée ? Si oui, ces marqueurs biologiques et démographiques pourraient être recherchés sur les squelettes de populations françaises (et européennes) de l’Antiquité et du haut Moyen Age, elles aussi soumises à des brassages culturels de grande ampleur.
Il faut souligner que cet accord de partenariat avec l’INAH dépasse la seule question de l’accès aux données paléodémographiques. Il s’agit aussi d’une collaboration scientifique éthique, équitable et respectueuse du patrimoine et des chercheur.es mexicains. Des collaborations d’égal à égal avec les pays émergents ne sont pas si courantes en sciences humaines et sociales ; le plus souvent, ces pays sont uniquement fournisseurs de données.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Institut national d’anthropologie et d’histoire mexicain ?
L’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) a pour mission de mener des recherches scientifiques en anthropologie sociale, en archéologie, en anthropologie physique et en histoire. Il est aussi en charge de la protection, la conservation et la restauration du patrimoine, et assure la promotion et la diffusion des recherches et des travaux réalisés.
Cet institut est le plus ancien et le plus important d’Amérique latine pour les recherches anthropologiques ; il offre à chaque habitant du pays un accès gratuit à à son histoire. C’est par ailleurs la seule institution d’Amérique latine à disposer d’une thématique de recherche dédiée à la paléodémographie et à la démographie anthropologique. Au sein de l’INAH, la Direction de l’Anthropologie Physique (DAF) , avec laquelle l’Ined vient de signer un accord de collaboration, est chargée de toutes les études de bioanthropologie et de paléodémographie sur l’ensemble du territoire national.
Comment est né ce partenariat avec l’Ined ?
C’est une histoire ancienne, qui remonte au colloque de l’UIESP 2001 et à l’organisation par JP Bocquet-Appel d’une session Paléodémographie, première occasion d’échanges avec des collègues mexicaines. Celles-ci se sont déclarées intéressées par les méthodes rigoureuses portées par les paléodémographes français et désireuses de construire un dialogue et des échanges académiques.
J’ai accueilli Géraldine Granados, au Cepam (UMR 7264, Université de Nice/CNRS) en 2015, dans le cadre d’une mobilité doctorale d’un an, financée par le Mexique (Conahcyt). Sa recherche doctorale portait sur la vulnérabilité des populations du passé, à travers l’exemple du site de Monte Alban. Bioanthropologue, elle avait également une solide formation en démographie.
Ce séjour académique a été l’occasion de longues discussions, car il fallait voir si les méthodes développées dans le Manuel de Paléodémographie pouvaient être adaptées aux données mésoaméricaines). Il a aussi permis de jeter les bases de notre collaboration.
Géraldine Granados coordonne le projet de recherches pluriannuel "Études paléodémographiques des sociétés préhispaniques, coloniales et modernes du Mexique", qui a été validé par les instances d’expertise de l’INAH et est doté d’un financement national.
A court terme, quelle recherche avez-vous programmé ?
Le projet pluriannuel "Études paléodémographiques des sociétés préhispaniques, coloniales et modernes du Mexique" comprend différents volets scientifiques.
L’un porte sur une population maya du 19e siècle, caractérisée par une forte prévalence des problèmes rénaux ; un autre porte sur le cimetière de l’Hôpital de San Juan de Dios qui regroupe les populations les plus vulnérables de Mexico (17e-18e siècles). Le troisième vise à évaluer l’impact de la colonisation sur les différentes populations dominées ; il sous-tend une demande de soutien européen dans le cadre des Actions Marie Sklodowska-Curie. En cas de succès, ce projet sera accueilli à l’Ined et encadré par moi-même.
Source : Isabelle Séguy, Luc Buchet, Manuel de Paléodémographie, Collection : Manuels et Textes fondamentaux Ined, 2011, 432 pages