Emanuela Struffolino
nous parle du rôle de l’emploi et de l’instruction sur la santé perçue des mères de famille monoparentale en Suisse
Emanuela Struffolino est post-doctorante dans l’unité de recherche "Démographie et inégalités" du WZB - Berlin Social Science Center. Elle a obtenu son doctorat en sociologie en 2014 à l’Université de Milano-Bicocca. Elle a reçu le prix jeune auteur-e de la revue Population.
(entretien réalisé en mars 2016)
Comment avez-vous décidé de travailler sur les mères seules ?
Les foyers monoparentaux constituent un sujet intéressant pour la sociologie de la famille et les inégalités sociales à bien des égards. Même si la part des hommes qui élèvent seuls un enfant ou plus âgés de moins de 18 ans progresse avec la généralisation des gardes partagées, les parents seuls restent principalement des femmes. Cependant, leur profil socioéconomique est devenu plus hétérogène dans les cohortes récentes. De fait, la tranche d’âge où les femmes connaissent une transition vers la monoparentalité est devenue plus large et la distribution des mères seules en fonction du niveau d’éducation est devenue plus variée. Ces changements peuvent être imputés à la progression des divorces et séparations qui vient s’ajouter aux naissances hors couple et au veuvage parmi les raisons expliquant la monoparentalité. Par conséquent, l’engagement des mères seules dans le monde du travail rémunéré est devenu plus varié avec les divers degrés d’attachement au marché du travail lié aux différents niveaux d’éducation. Les mères seules sont plus susceptibles d’être en mauvaise santé et plus susceptibles d’être sans emploi et pauvres, facteurs tous deux associés à une mauvaise santé. Cependant, le fardeau supplémentaire que constitue la réconciliation de la famille et du travail peut aussi créer des désavantages dans différents domaines de la vie pour les mères seules qui sont l’unique/premier pourvoyeur de ressources et responsable de la famille.
Est-ce que la Suisse – où vous avez mené votre étude – montre des caractéristiques spécifiques ?
La Suisse constitue un cas très intéressant, à cause de l’insuffisance des politiques de conciliation entre travail et famille et d’une fiscalité basée sur le mariage qui découragent la participation des femmes au marché du travail. Le niveau de dépenses publiques pour la petite enfance est minimal en Suisse, c’est même l’un des plus faibles des pays de l’OCDE, et cela impose aux parents de supporter plus de 80 % des coûts, y compris dans le système public, même si des différences existent entre les cantons. Les dispositifs d’aide aux plus démunis, qui sont relativement répandus, peuvent avoir deux conséquences sur la participation des femmes au marché du travail : ils agissent comme une protection face aux besoins économiques immédiats et urgents, ou ils découragent les mères seules à prendre un emploi sur un marché du travail qui leur est défavorable. En particulier, les mères seules ont de grandes difficultés à placer leurs enfants dans une structure d’accueil à plein temps pour effectuer un travail faiblement rémunéré, soit parce que ces structures manquent, soit parce que leur coût est trop élevé. Vivre des aides sociales peut apparaître alors comme une bonne stratégie, en particulier pour les mères seules les moins instruites, afin de faire face à court terme à de fortes contraintes temporelles et économiques. Cependant, la dépréciation du capital social et des compétences durant une longue période de chômage peut miner les futures perspectives d’emploi. Dans ce contexte, pour les mères seules, l’emploi peut être associé à une meilleure santé parce qu’il atténue les difficultés économiques liées au fait d’être le seul pourvoyeur de ressources du foyer. Cependant, le travail peut représenter un facteur de stress supplémentaire étant donné que les mères seules assument la majeure partie ou la totalité des soins aux enfants.
Quel lien peut-on faire entre santé et emploi ou absence d’emploi pour les mères seules en Suisse ?
Nous montrons que dans le contexte suisse, les mères seules, en particulier celles qui ne travaillent pas, ont une moins bonne santé que les mères qui vivent avec un partenaire. Cette association s’explique partiellement par le fait que les mères seules ont tendance à avoir des revenus moindres. Nos résultats suggèrent qu’en Suisse, tandis que les mères les plus fragiles qui élèvent seules leurs enfants bénéficient d’aides du système de protection sociale, celles qui n’en bénéficient pas et qui ont un faible pouvoir de négociation sur le marché du travail par rapport aux mères plus instruites (signalé par une participation à temps partiel et un niveau de qualification relativement faible) représentent un groupe potentiellement vulnérable souffrant de désavantages particuliers en termes de santé. Les futures recherches devraient explorer dans quelle mesure ces effets sont liés aux ressources institutionnelles, financières, sociales et temporelles à la disposition des parents seuls pour remplir leur double rôle, ainsi qu’aux perspectives incertaines sur le marché du travail.