Doris Bonnet, Fabrice Cahen et Virginie Rozée
Doris Bonnet, directrice de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Fabrice Cahen et Virginie Rozée, chercheurs à l’Ined, ont répondu à nos questions sur l’ouvrage Procréation et imaginaires collectifs.
(Entretien réalisé en décembre 2021)
A quels imaginaires collectifs le titre de cet ouvrage fait-il référence ?
Ce livre réunit des contributions qui ont pour point commun d’étudier comment les acteur·rices sociaux.les projettent sur la question de la « PMA », et plus largement sur la dissociation entre sexualité et reproduction, des représentations tirées d’un fonds commun mythologique, théologique ou fictionnel. De tels imaginaires collectifs et culturels se retrouvent dans toutes les sociétés où se développent de « nouvelles » techniques reproductives.
Quelles représentations de la reproduction artificielle la littérature, le cinéma ou la fiction télévisuelle véhiculent-ils ?
Les dimensions traitées et le ton adopté sont relativement variables (le film québécois « Starbuck » n’est pas comparable à Blade runner…). Notre ouvrage est centré sur un registre prédominant, celui de la science-fiction, de l’anticipation et par extension de tous les imaginaires « dystopiques » (d’un monde futur peu souhaitable). Un registre prédomine cependant, celui de la science-fiction, de l’anticipation et par extension de tous les imaginaires « dysoptiques ». Il renvoie souvent aux mêmes récits fondateurs, et en particulier, dans le monde occidental, au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, paru en 1932. Il est frappant de constater à quel point certaines métaphores suggérant l’idée d’une « industrialisation » (le « laboratoire », l’ « usine », le « magasin »…), qui sont parfois utilisées par les professionnels de santé eux-mêmes, pèsent dans les débats contemporains autour de la PMA et de toutes les formes d’engendrement non conventionnelles.
Quelle place ces imaginaires collectifs occupent-ils dans les sociétés contemporaines ?
Ces imaginaires collectifs tiennent une place centrale, qui devient problématique lorsque ces imaginaires se substituent aux débats rationnels. Le lien supposé entre évolution des techniques reproductives et basculement civilisationnel est peu documenté et rarement interrogé. Si l’anticipation et la dystopie ont des vertus réflexives évidentes, elles ne doivent pas occulter ce que nous apprennent les études empiriques – notamment en sciences humaines et sociales. Ces dernières montrent en particulier combien on est encore loin d’une reproduction entièrement technicisée et d’une technicisation entièrement efficace. Notre ouvrage invite donc à relativiser cette idée de « toute puissance » de la technologie, en montrant que ces représentations sont en fait bien souvent des expressions de l’anxiété.