Cris Beauchemin et Mathieu Ichou
chercheurs à l’Ined, répondent à nos questions sur l’ouvrage "Au-delà de la crise des migrants : décentrer le regard" qu’ils ont co-dirigé.
(Entretien réalisé en décembre 2016)
Quel est l’objectif de cette publication ?
À travers cet ouvrage, nous avons souhaité dépasser les idées reçues au sujet des migrations, dont la plus répandue est la suivante : les flux de réfugiés, et, plus globalement, les flux migratoires sont unilatéraux, permanents, allant des pays pauvres aux pays riches. Dans les faits, les trajectoires des migrants sont beaucoup plus variées.
Les statistiques démontrent par exemple que la prévalence de l’émigration est relativement faible en Afrique et que les migrants africains restent en majorité sur leur continent, avec des spécificités selon les régions. De même, la plupart des migrations internationales à destination de l’Europe sont intra-européennes.
Nous avons d’ailleurs choisi le terme de « migrant » pour composer notre titre, afin d’induire la notion de mouvement, quand le terme d’« immigré » pourrait sous-entendre l’idée d’une installation permanente inévitable.
Par ailleurs, toute immigration vers un pays étant à la fois une émigration d’une société de départ, employer le mot « migrant » permet de mieux englober les multiples caractéristiques de ce phénomène.
Y a-t-il un ou des profils de migrants ?
Une vision misérabiliste des migrants est souvent véhiculée. Or, bien qu’il ne soit en aucun cas question de nier la précarité matérielle, les conditions de vie très difficiles qui viennent bouleverser les trajectoires biographiques de nombreux migrants, ces représentations ne reflètent que partiellement la réalité, dont on ne prend alors plus en compte qu’une facette : le migrant, uniquement considéré comme immigré et non comme émigré. De manière générale et tout en conservant à l’esprit que la population immigrée ne forme pas un tout homogène, les individus qui émigrent en France présentent un capital économique et culturel plus élevé que ceux qui demeurent dans leur pays d’origine. Ils sont en moyenne plus éduqués. En d’autres termes, les migrants sont un groupe sélectionné.
La perception des migrants a-t-elle changé?
La perception des flux migratoires est affaire de points de vue. Selon l’angle adopté, la perspective est modifiée. Procéder à un décentrement historique permet de se rendre compte que la France a connu plusieurs épisodes d’arrivées massives de populations au cours du XXe siècle et que les conditions d’accueil sont fonction plus de la « volonté d’accueillir » (politiques mises en place et perceptions de l’opinion publique) que d’une question de « capacité à accueillir ». L’histoire montre que la notion de « capacité d’accueil » est bien davantage un procédé rhétorique utilisé pour légitimer des politiques migratoires restrictives qu’une réalité incontestable.