Audrey Lenoël
post-doctorante à l’Ined, nous parle du projet TEMPER (Temporary versus Permanent migration).
(Entretien réalisé en mai 2018)
En quoi consiste le projet TEMPER ?
Le projet européen TEMPER, dont l’acronyme signifie « Migrations Temporaires vs Permanentes », est un projet européen financé par le 7ème Programme Cadre de l’Union Européenne et coordonné par le Consejo Superior de Investigaciones Cientificas (CSIC) espagnol. Ce projet s’intéresse à la migration circulaire, une forme de gestion des migrations impliquant des va-et-vient de migrants entre deux pays. Les institutions européennes ont aujourd’hui tendance à promouvoir ce type de migrations qu’elles considèrent comme une bonne alternative aux migrations permanentes et temporaires, sans que cette préférence ne soit cependant étayée par une compréhension fine des raisons pour lesquelles certains migrants circulent ou choisissent spontanément de rentrer. L’objectif du projet TEMPER est d’apporter une connaissance empirique des différentes formes de circulation des migrants. L’Ined est engagé dans différents volets du projet : la constitution d’une base de données codifiée sur les politiques migratoires (la base « Impol »), la réalisation en France d’entretiens auprès de migrants saisonniers dans l’agriculture, la coordination d’une enquête internet auprès d’étudiants et d’enseignants chercheurs vivant en France, en Espagne et en Grande-Bretagne (enquête AIMS, coordonnée par Lama Kabbanji et Sorana Toma), et la réalisation d’une enquête au Sénégal sur les causes et les effets des migrations de retour (des enquêtes identiques étant également menées en Argentine, Roumanie, Ukraine et Sénégal).
Comment s’est déroulée l’enquête au Sénégal dont s’occupait votre équipe ?
Conduite en face-à-face avec support tablettes par des enquêteurs de l’institut de sondage sénégalais Omedia, en étroite collaboration avec l’institut IPSOS, l’enquête réelle sur la migration de retour s’est déroulée d’octobre 2017 à janvier 2018, après une enquête pilote réalisée en mai 2017. Au Sénégal, à la différence des autres pays objets de cette étude, seuls des hommes ont été interrogés en raison de la large prédominance masculine dans les flux migratoires sénégalais vers l’Europe. À l’instar des autres pays, notre objectif était d’administrer le questionnaire à 500 migrants de retour (250 de France et 250 d’Espagne dans notre cas) et 500 non-migrants (définis comme des individus n’ayant jamais quitté le Sénégal pour plus de trois mois), ces derniers étant appariés aux non-migrants sur la base de l’âge (à deux ans près) et du lieu de résidence (habitant le même quartier) pour constituer un groupe de contrôle satisfaisant. Afin de refléter une diversité d’expériences et de contextes de retour, nous avons réalisé la moitié de notre échantillon dans la région de Dakar et l’autre moitié dans d’autres régions de forte émigration (Thiès, Louga et Diourbel), dont certaines rurales. Nous avons pu nous appuyer sur les données du recensement sénégalais de 2013 pour effectuer une sélection raisonnée de nos points d’échantillonnage.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Les migrants de retour sont une population rare, et en l’absence de base de sondage permettant de les identifier, le principal défi fut de les trouver. Si les prises de contacts auprès de personnes-ressources sur le terrain ont facilité le recrutement, c’est surtout grâce au porte-à-porte que nous y sommes parvenus. Les enquêteurs ont également eu à faire face à la méfiance de certains enquêtés et parfois à leur lassitude, lorsque ceux-ci avaient déjà été sollicités pour d’autres enquêtes ou entretiens. Lors des entretiens, des sujets tels que les conjointes, enfants ou les investissements étaient parfois difficiles à aborder, notamment en raison de la réticence de certains enquêteurs à poser ces questions. L’accent mis sur la formation initiale des superviseurs et enquêteurs, ainsi que le suivi continu sur le terrain, ont cependant permis de surmonter les réticences.
La passation des questionnaires sur tablette nous a permis d’obtenir la base de données peu après la fin du terrain, et de commencer rapidement les analyses. De premiers résultats seront disponibles dès l’été, et d’autres analyses plus approfondies suivront.