Anne Solaz
Comment s’explique la baisse de la fécondité en France ? La situation économique, la peur de l’avenir, le climat ou encore les modes d’accueil de la petite enfance ont un impact sur la décision de devenir parent ou non, de même qu’agrandir sa famille.
(Entretien réalisé en novembre 2024)
Quelles sont, à votre avis, les raisons de la baisse de la fécondité constatée en France depuis une dizaine d’années et cela malgré une politique familiale généreuse ?
La fécondité baisse depuis maintenant plus de 10 ans en France. Les démographes s’interrogent sur les raisons. Il semble que le désir d’enfant lui-même est affecté car exposé à des contextes et des contraintes qui peuvent faire renoncer à devenir parent ou agrandir sa famille : la situation économique, la peur de l’avenir, le climat, le discours négatif sur le système éducatif et maintenant récemment la qualité de l’accueil en crèche privée ... Il y a sans doute de quoi faire hésiter les jeunes couples. Les normes quant à la parentalité comme un passage de vie obligé, changent également. Pour les jeunes générations, il semble possible de s’épanouir sans avoir d’enfant.
La baisse de la fécondité est une tendance de fond et un changement de cap de la politique familiale ne serait pas forcément suffisant pour l’enrayer. Si on regarde les changements des dernières décennies de la politique familiale en France, on constate une redirection des moyens vers les familles les plus modestes : une politique familiale moins universelle mais plus sociale. Or la baisse de la fécondité concerne tous les parents quels que soient leurs revenus, et pas seulement les parents les plus aisés, les plus touchés par les changements de politique familiale. Cette baisse de la fécondité n’est d’ailleurs pas propre à la France, elle s’observe dans quasi tous les pays européens y compris ceux d’Europe du nord qui consacrent un important budget à leurs familles comme la France.
La réforme du congé parental en 2015 a-t-elle fonctionné comme espéré ?
Je ne sais pas si cette réforme avait pour objectif d’agir sur la fécondité. En tout cas ce n’était pas annoncé comme tel. Elle visait plutôt à équilibrer la charge parentale entre les mères et les pères, en leurs réservant une partie du congé parental (1). Mais dans les faits, les pères ont très rarement utilisé ce congé parental et une partie des mères aurait renoncé à prendre
le congé raccourci par la réforme. La réforme a accéléré le retour des mères au travail ou au chômage, et n’a donc pas inciter à l’agrandissement de la famille... Mais la moindre interruption des mères suite à la naissance, un peu forcée par le changement, peut être vue positivement quand l’on sait les conséquences négatives des interruptions sur la carrière sur le niveau de pensions de retraites, ou en cas de rupture conjugale.
Voyez-vous un lien entre les modes d’accueil de la petite enfance et la fécondité ?
Nos travaux ont montré l’importance d’avoir une solution pérenne d’accueil pour les jeunes enfants. Certains parents ont un parcours continu dans une même structure : ils obtiennent une place en crèche dès les premiers mois de leur enfant, qu’ils sont garantis de conserver jusqu’à son entrée à l’école maternelle, ce qui leur permet d’avoir une vision à long terme très rassurante. On observe que ces parents-là vont avoir un second enfant un peu plus vite que les autres, qui ont recours à une assistante maternelle ou des modes d’accueil différents jusqu’aux trois ans de l’enfant.
On voit donc qu’il est important de chercher à garantir une stabilité de tous ces modes d’accueil : si cela n’a pas forcément d’effet sur le niveau de fécondité, on constate que cela accélère un peu les projets ! Les parents qui jonglent entre différents modes d’accueil, les grands parents, les baby-sitters, prennent plus de temps avant d’agrandir la famille. Car il est plus difficile pour eux d’envisager un autre enfant avec toute la charge mentale et financière que cela représente...
Vous déclarez qu’: « au sein des familles qui ont recours à un mode d’accueil formel, l’enfant suivant arrive plus rapidement (...) lorsque le ou les premiers enfants sont accueillis en crèche plutôt que par une assistante maternelle ».
Comment êtes-vous arrivée à cette conclusion ?
Nous avons utilisé les données de l’enquête Modes de garde réalisée par la Drees et avons comparé les modes de garde utilisés durant les trois premières années de l’enfant qui font ressortir des trajectoires différentes d’accueil. Puis nous avons mis en relation ces trajectoires avec la probabilité d’avoir un autre enfant. Et effectivement les enfants gardés continument en crèche collective auront un petit frère ou petite sœur plus tôt que ceux gardés par une assistante maternelle.
D’une part, la place en crèche pour ce dernier est souvent donnée d’office quand il y a un ainé déjà accueilli en crèche, ce qui peut inciter les parents à « accélérer ». D’autre part, même si nous n’avons pu mesurer la qualité ou l’appréciation des parents sur les modes d’accueil, les choses peuvent être un peu plus incertaines avec une assistante maternelle : ses dates de vacances, son départ à la retraite, les arrêts maladie... Les parents peuvent être moins satisfaits d’une personne tandis que dans une crèche, comme toute une équipe de puéricultrices travaille, il y a une sorte de garantie collective de l’équipe encadrante. Mais les assistantes maternelles offrent un mode d’accueil qui semble être tout de même assez stable : en général les enfants y restent jusqu’à leur entrée à l’école. D’ailleurs les différences entre crèche et assistante maternelle sont uniquement observées dans le calendrier de la naissance ultérieure, mais les chances d’avoir un autre enfant sont, elles, similaires.
Comment les politiques publiques peuvent-elles agir aujourd’hui pour inciter le désir d’enfant et la fécondité ?
Les politiques ont beaucoup agi sur les modes d’accueil, sur la garantie de l’emploi des mères... Peut-être pourrait-on davantage agir sur la société en elle-même. Réfléchir à la place de la famille et de l’enfant : sont-ils les bienvenus partout ? Quid des lieux publics ? Les lieux de sociabilité semblent être plus cloisonnés. Certains lieux sont réservés aux familles tandis que dans d’autres elles sont moins bienvenues. C’est le cas des trains. Réfléchir à l’accueil des enfants et des familles de manière générale pourrait être une manière de soutenir la fécondité.
La baisse du désir d’enfant est sans doute liée à la moindre norme sociale à avoir des enfants. On peut considérer comme positif qu’aujourd’hui les femmes et hommes puissent désormais se sentir libres d’avoir ou non des enfants. Mais en revanche, si c’est un choix contraint, l’Etat, via sa politique, a le devoir de les aider en assouplissant ces contraintes.
(1) La réforme de 2015 a consisté pour les familles donnant naissance à leur deuxième enfant ou plus à inciter à un meilleur partage du congé entre les deux parents. Cela a conduit à réduire la durée d’indemnisation de 36 à 24 mois maximum pour l’un des parents.