Andrea Verhulst

Andrea Verhulst, chargé de recherche à l’Ined, mène des recherches sur la mortalité des enfants de moins de 5 ans dans le monde, et la surmortalité à la fin de la période fœtale et néonatale en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest.

(Entretien réalisé en mai 2024)

Avez-vous observé des tendances ou des différences significatives entre les taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans à travers les différentes régions étudiées ?

Oui, malgré la baisse généralisée de la mortalité des enfants de moins de 5 ans dans le monde, on observe encore de très grands contrastes entre régions. La meilleure source pour s’en convaincre est le rapport publié chaque année par le groupe interagences des Nations Unies pour l’estimation de la mortalité des enfants (UN IGME). Le dernier rapport faisait état pour 2022 de 4,9 millions de décès avant 5 ans dans le monde dont 2,7 millions en Afrique sub-saharienne (soit 55% du total) contre 30 000 en Europe (0,6%). En termes de risque de décès, le contraste est de 71 décès avant 5 ans pour mille naissances vivantes en Afrique sub-saharienne contre 4 en Europe. Le risque de décéder est donc 18 fois plus élevé pour un enfant né en Afrique sub-saharienne. Ensuite, on observe la mortalité la plus élevée en Asie centrale et du Sud avec 34 décès pour mille naissances pour ces deux régions conjointement, ce qui représente 1,3 million de décès en 2022.

Depuis l’an 2000, la mortalité des moins de 5 ans a baissé de plus de moitié en Afrique sub-saharienne. C’est un progrès qu’il faut souligner. Toutefois, les niveaux de mortalité actuels sont encore similaires à ceux que l’on observait en Europe durant l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, un des objectifs des Nations Unies pour le développement durable vise à réduire la mortalité des moins de 5 ans à 25 décès pour 1000 naissances dans tous les pays d’ici à 2030. Malgré les progrès indéniables, cet objectif ne sera pas atteint dans la région sub-saharienne. 

Quels sont les défis et les difficultés que vous rencontrez pour recueillir ces données, et comment surmontez-vous ces problématiques dans vos recherches ?

Dans les pays où la mortalité est élevée, les données sont souvent déficientes. La difficulté tient d’abord au fait que certains pays ne disposent pas du tout de système d’enregistrement des naissances et des décès nécessaires à l’estimation et au suivi de la mortalité des enfants. Ensuite, lorsqu’un tel système existe dans les pays à bas et moyen revenu, bien souvent, l’enregistrement de ces évènements démographiques est incomplet.

Dans ces contextes-là, le défi est d’arriver à tout de même estimer la mortalité avec suffisamment de précision, et ce avec des sources de données et des méthodes alternatives. C’est là un des objectifs principaux de mes recherches. Il s’agit d’évaluer et de croiser des données imparfaites et parcellaires issues de différentes sources, par exemple d’enquêtes, de recensements ou de systèmes de suivi local tels que les observatoires des populations. Pour combler le manque d’information, les démographes mettent à profit certaines régularités que l’on observe dans les populations humaines. Par exemple, la distribution de la mortalité entre 0 et 5 ans est relativement régulière. On utilise souvent cette régularité pour estimer la mortalité infantile, c’est-à-dire la mortalité avant 1 an, à partir de la mortalité des moins de 5 ans qui est un indicateur plus facile à obtenir directement. 

Par ailleurs, on utilise de plus en plus de méthodes statistiques très avancées, notamment celles dites bayésiennes. Elles visent avant tout à améliorer la mesure de l’incertitude statistique de nos résultats. Ces méthodes requièrent des profils spécialisés. Par exemple, dans ce domaine, j’ai la chance de collaborer depuis plusieurs années avec Julio Romero Prieto de la London School of Hygiene & Tropical Medicine.

En quoi les données sur la mortalité des enfants de moins de 5 ans sont un élément crucial pour les pays où ce taux est le plus élevé (par exemple, pour orienter les politiques de santé publique …) ?

Ces données sont en effet essentielles dans les pays où la mortalité est la plus élevée, mais aussi dans ceux où elle est faible. Dans tous les cas, le niveau de la mortalité des enfants de moins de 5 ans est un indicateur de santé publique. À lui seul, cet indicateur synthétise un grand nombre de variables telles que les conditions sanitaires, la qualité des soins de santé, la situation de la nutrition, le niveau de vie et plus généralement les conditions sociales. C’est à ce titre qu’il occupe une place importante parmi les indicateurs de développement et qu’il aide les pays à se situer et à évaluer les résultats de leurs politiques de santé publique.  

En France, la moitié des enfants de moins de 5 ans a baissé de 60 à 4 décès pour 1000 naissances entre 1950 et 2010. Cependant, lors de la dernière décennie, on a assisté à une stagnation et même à une légère remontée de cet indicateur. En France comme ailleurs, un tel état de fait ne permet pas encore d’orienter une politique de santé mais il permet d’attirer l’attention sur un problème potentiel, ce qui est crucial. Dans un deuxième temps, il faut trouver une explication avec des données supplémentaires. 

Nikita Kupska, qui commence sa thèse sur ce sujet à l’Ined, a déjà exploré plusieurs hypothèses.  Cette hausse pourrait être due au nombre croissant de maternités à des âges tardifs qui sont plus à risque ainsi qu’à une détérioration de l’état de santé des femmes enceintes. Mais d’un autre côté, elle pourrait aussi être due à un progrès de la médecine qui fait naître de plus en plus d’enfants fragiles. Ces derniers, plus à risque de décéder après la naissance, augmenteraient mécaniquement la mortalité des enfants nés vivants.