Variations territoriales de la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées : à domicile et en établissement en France dans un contexte de politique décentralisée
Il existe des modèles de prise en charge de la perte d’autonomie très différents d’un territoire à l’autre. A l’échelle européenne, les pays du Sud ont une solidarité familiale plus forte que les pays du Nord (Peyrache et Ogg, 2017) ; à l’échelle infranationale, en France, le recours à l’institution est plus important dans la région Bretagne et Pays-de-la-Loire (Trabut et Gaymu, 2016). Ces différences de mode de prise en charge peuvent trouver leurs origines dans des besoins, des ressources, une offre de prise en charge de la perte d’autonomie, voire des préférences hétérogènes sur le territoire.
Hétérogénéité départementale de l’offre en quantité et en coût payé par les personnes âgées dépendantes (leur reste-à-charge)
En France, depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004, le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, dont la politique gérontologique fait partie. Cette décentralisation se justifie par la meilleure connaissance qu’ont les acteurs locaux concernant les besoins de prise en charge de leurs administrés. Néanmoins, les moyens financiers, humains et matériels que possèdent les départements pour répondre aux besoins, de même que les priorités en termes de politique sociale, ne sont pas identiques d’un département à l’autre.
Il en résulte des réponses institutionnelles diversifiées qui ne sont pas toujours entièrement liées aux besoins des personnes âgées. Cette latitude donnée aux départements a un impact, d’une part, sur l’offre de prise en charge en quantité : nombre de services d’aide à domicile, nombre de places en établissement d’hébergement (Ramos-Gorand, 2015). D’autre part, elle fait varier les coûts d’un endroit à l’autre : tarification des services d’aide à domicile (Hégé et al., 2014 ; Hégé, 2018), de l’hébergement en établissement (Nirello, 2015). Enfin, elle détermine la participation financière des collectivités aux coûts supportés par les personnes: nombre d’allocations accordées et montants des allocations accordées aux personnes âgées (Billaud et al., 2013).
En mobilisant des données de tarification, de financement et de densité de l’aide professionnelle à domicile et en établissement, il apparaît que l’offre à domicile est la plus élevée dans les départements situés dans le Nord et le Pas-de-Calais, la Seine-Maritime et l’Eure, les départements du pourtour méditerranéen et la plupart des départements du Sud-ouest ainsi que la Réunion et la Guadeloupe. Dans les départements du Centre-Val-de-Loire ou des Pays-de-la-Loire, l’offre en établissements est dense. Au contraire, ceux de l’Est, d’Ile-de-France, la Haute-Corse, la Martinique et la Guyane présentent une offre relativement réduite que ce soit à domicile ou en établissement.
En parallèle, on constate que le reste-à-charge (RAC) est plus élevé dans les régions Alpines et en Ile-de-France. A l’inverse, dans le Nord et le Pas-de-Calais ainsi que sur le pourtour méditerranéen et dans le Centre, le RAC à domicile serait en moyenne plus faible. En établissement, il est plus élevé dans les départements ou régions d’outre-mer (DROM), sur le pourtour méditerranéen et en Ile-de-France et est plus faible en Bretagne, Centre-Val-de-Loire ou dans le Pays-de-la-Loire.
Un recours à la prise en charge à domicile ou en établissement très contraint par l’offre
Ces disparités d’offre peuvent se justifier par des besoins, des ressources, voire des préférences des individus ou des acteurs publics différentes entre les territoires. Il existe de fortes inégalités de besoins de prise en charge entre les départements français : la proportion de personnes en perte d’autonomie est plus faible dans les régions Ile-de-France et Bretagne. A l’inverse, le Nord, le Centre de la France et les DROM sont plus marqués par la dépendance (Larbi et Roy, 2019).
Grâce à une modélisation multiniveau (Bringe et Golaz, 2017), sont mis en commun les besoins, les ressources et l’offre de prise en charge pour expliquer les différences de recours à une prise en charge en établissement ou à domicile. L’analyse montre de larges inégalités territoriales de la probabilité de vivre en établissement (voir carte, modèle 2). Elles s’amoindrissent lorsqu’on tient compte de l’accessibilité géographique à l’offre formelle (modèle 5). A l’inverse, elles augmentent lorsqu’on tient compte de l’accessibilité financière : le RAC (modèle 6). L’offre formelle que ce soit en coût ou en quantité semble donc contraindre les choix des personnes âgées.
Contact : Amélie Carrère
Mise en ligne : avril 2020