Une distribution inégalitaire des biens en faveur des hommes au sein des couples parentaux hétérosexuels
Les inégalités entre femmes et hommes ont tendance à augmenter au sein des couples, en particulier avec le développement de régimes matrimoniaux qui individualisent les patrimoines des conjoints. L’arrivée d’un enfant favorisant la mise en commun des revenus, les inégalités de patrimoine pourraient cependant être réduites au sein des couples parentaux. Angèle Jannot, doctorante à l’Ined, questionne l’influence des niveaux de revenus et de diplôme sur les inégalités de patrimoine au sein des couples parentaux. Les inégalités de patrimoine en faveur des hommes s’avèrent davantage marquées dans les couples parentaux les plus aisés. Toutefois dans les couples plus modestes, on observe également une distribution inégale des biens : les hommes sont plus souvent seul propriétaire de la résidence principale du couple, pourtant acquise durant une période de mise en commun des revenus. Pour la chercheure, on peut alors parler d’une appropriation masculine des biens du ménage.
Les hommes déclarent davantage de placements supérieurs à leur conjointe parmi les couples les plus aisés
À partir de l’enquête « Budget de famille » (INSEE, 2016) représentative au niveau national, on observe que les différences de placements (livrets d’épargne, valeurs mobilières, assurances vie, etc.) déclarés par les membres du couple parental sont d’autant plus fréquentes à mesure que l’on monte dans les classes sociales les plus aisées. Parmi les 20 % les plus pauvres, 35 % déclarent des placements égaux. Parmi les 20 % les plus riches, seulement 10 % déclarent des placements égaux. Par ailleurs, les hommes déclarent davantage des placements beaucoup plus élevés que leur conjointe à mesure que l’échelle des revenus augmente, alors même que les plus riches ont tendance à sous-estimer leur patrimoine.
Au sein des couples les plus aisés, les inégalités sont réduites lorsque les femmes ont un diplôme plus élevé que leur conjoint
L’analyse des relations entre différences de diplôme, de revenus et de placements entre conjoints, selon les ressources du ménage, met en évidence des corrélations. Au sein des ménages les plus aisés, lorsque les femmes ont un diplôme plus élevé que leur conjoint et une position favorable sur le marché du travail, elles tendent à déclarer des placements plus élevés que leur conjoint. Dans les couples où les femmes ont des placements supérieurs comme dans les couples où ce sont les hommes, on retrouve des différences de montant au moins deux fois supérieurs. Cependant, les montants déclarés sont bien inférieurs dans le premier cas. Les femmes déclarent plutôt des montants inférieurs à 50 000 euros alors que, dans le second cas, les hommes déclarent plutôt des montants supérieurs à 100 000 euros. La distribution de l’argent au sein du ménage est donc plus inégale dans les couples où les hommes ont des revenus et diplômes plus élevés. C’est par ailleurs les couples où les hommes ont des diplômes, des revenus et des placements bien supérieurs qui sont majoritaires, représentant 35,7 % des couples parentaux de l’enquête.
Au sein des couples plus modestes, d’autres formes de distribution inégale des biens du ménage apparaissent
Parmi les 20 % des couples les plus pauvres se trouvent essentiellement des couples parentaux ayant des placements égaux car ils sont très faibles voire nuls. Dans ces familles, le genre détermine encore qui choisit et impose le modèle de dépenses du ménage et qui doit s’y adapter. Les femmes réalisent seules les dépenses des biens immédiatement consommés. Au contraire, lorsque la dépense constitue un investissement économique, comme les dépenses liées au logement, les hommes sont davantage impliqués et parfois même décisionnaires et gestionnaires uniques. Cela peut leur permettre de revendiquer plus légitimement l’appartenance de ces biens. Cette répartition des postes de dépenses renforce des inégalités d’appropriation des biens domestiques, dont le degré dépend là encore des écarts de revenus et de diplômes entre conjoints. Dans les couples où les hommes ont des revenus et des diplômes plus élevés, ces derniers peuvent revendiquer détenir seul des biens pourtant acquis pendant une longue période de mise en commun des ressources. En particulier, ils peuvent revendiquer la propriété de leur résidence principale même si l’emprunt est encore en train d’être remboursé par le ménage et que les revenus sont mis en commun.
Les hommes revendiquent davantage l’appartenance de certains biens acquis pendant la période de mise en commun
L’analyse des inégalités de patrimoine au sein des couples parentaux, dans lesquels on pourrait s’attendre à une mise en commun liée au projet familial, souligne qu’il existe de fortes inégalités de patrimoine entre hommes et femmes. Ces inégalités se retrouvent dans l’ensemble de l’échelle sociale, même si cela s’exprime différemment. Ces résultats peuvent s’interpréter de deux façons non contradictoires. D’une part, dans les couples où il y a des écarts forts de revenus, les partenaires ne les mettent pas entièrement en commun, d’autant plus lorsque c’est l’homme qui a des revenus plus élevés. Les normes de genre, conduisant à une spécialisation des femmes dans le travail domestique non rémunéré et à une spécialisation des hommes dans le travail rémunéré accroissent les inégalités de richesse au sein du couple en l’absence d’une mise en commun des revenus. D’autre part, lorsque les revenus sont mis en commun et que l’on observe que les hommes revendiquent l’appartenance de certains biens acquis pendant la période de mise en commun, on peut parler d’appropriation des biens du ménage. Cela peut s’avérer particulièrement problématique dans les cas de séparation du couple, les femmes se retrouvant alors davantage en situation de fragilité économique.
DONNÉES UTILISÉES Cet article s’appuie sur les données de l’enquête « Budget de famille » de l’Insee (2016) qui recueille sur un échantillon représentatif de la population française les caractéristiques sociodémographiques, la consommation, les équipements, les dépenses et les ressources, et l’opinion sur la situation financière des ménages. Concernant les placements détenus, chaque membre du couple doit renseigner individuellement les montants qu’il détient. Les traitements qui ont été faits dans cet article portent sur une sous-population de l’enquête : les parents ayant au moins un enfant à charge, en couple de sexe différent. Trois variables ont été construites pour questionner l’interdépendance des écarts relatifs de revenus, de diplôme et de placements dans le couple. Les différences de revenus et de placements déclarés ont été échelonnées (75 % supérieur, 50 % supérieur, 10 % supérieur) et un revenu ou un placement supérieur ou inférieur à moins de 10 % ont été considérés comme égaux. L’analyse des correspondances multiples permet de mettre en relation les détentions relatives de revenus, de diplômes et de patrimoine dans le couple, selon sa place dans l’échelle des revenus. Les variables utilisées sont : différences de revenu, différences de diplôme, différences de montant des placements déclarés, quintiles de revenu du ménage, diplôme de l’homme, diplôme de la femme, revenus de l’homme, revenus de la femme, montant des placements déclarés par l’homme, montant des placements déclarés par la femme, PCS de l’homme, PCS de la femme, statut professionnel de l’homme, statut professionnel de la femme, âge de l’homme, âge de la femme, état matrimonial, nombre d’enfants et différence d’âge. Ces variables permettent de décrire et comparer les ménages ayant les caractéristiques les plus inégales à ceux ayant les plus égales. Ces traitements statistiques ont été articulés à une enquête de terrain auprès de dix familles ayant au moins un enfant vivant dans le ménage et faisant partie des classes populaires stables et des classes moyennes. Deux à trois entretiens ont été réalisés et deux à trois tableaux des dépenses et revenus hebdomadaires ont été complétés par chaque famille. |
Contact : Angèle Jannot
Mise en ligne : janvier 2022