Télétravail et santé mentale durant la crise sanitaire
Quelles sont les répercussions du télétravail sur la santé mentale et l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle ?
Si le télétravail a bien des atouts (gain de temps de transport, réduction de la fatigue et du stress, organisation facilitée des tâches domestiques et parentales…), il peut aussi avoir des conséquences négatives sur le bien-être, et en particulier sur la santé mentale (isolement social, horaires de travail rallongés le soir et le week-end, effacement de la frontière entre temps personnel et professionnel…).
A partir des données de l’enquête Epidémiologie et Conditions de vie liées au Covid-19 (EpiCov), conduite par l’INSERM et la DREES, deux chercheuses de l’Ined, Ariane Pailhé et Emilie Counil, et une chercheuse du CEET (Cnam), Elena Reboul, ont analysé comment le télétravail a pu affecter l’équilibre vie privée-vie professionnelle et la santé mentale en France durant la pandémie de Covid-19. Leur étude se place à l’été 2021, période durant laquelle les restrictions sanitaires se sont assouplies suite à la première campagne de vaccination et où les conditions de travail commençaient à se rapprocher des conditions usuelles.
Les données et la méthode
L’enquête EpiCov permet de retracer l’évolution de l’usage du télétravail au fil de la pandémie, depuis l’avant-crise jusqu’à l’été 2021, en passant par le premier confinement au printemps 2020 (première vague de l’enquête) et le deuxième confinement à l’automne 2020 (deuxième vague). A l’été 2021 (troisième vague), l’enquête a par ailleurs interrogé les actifs sur l’évolution de leur facilité à articuler vie personnelle et vie professionnelle depuis l’avant-crise, et mesuré la présence de syndrome dépressif ainsi que des troubles de l’anxiété.
L’étude met en regard ces trois indicateurs avec les modalités d’organisation du travail au cours de la pandémie pour plus de 40,000 personnes répondantes à l’enquête Epicov, âgées de 20 à 65 ans et en emploi avant le premier confinement.
Les salariés inégaux face au télétravail
Cinq grands types de trajectoires sont identifiés, dont trois modalités d’usage du télétravail :
- les « télétravailleurs de crise », qui ont expérimenté le télétravail lors du premier confinement et sont ensuite retournés sur site ;
- les « nouveaux télétravailleurs », pour lesquels le télétravail s’est au contraire installé dans la durée ;
- et les « anciens télétravailleurs », qui bénéficiaient déjà du télétravail avant la crise sanitaire, mais possiblement de manière plus parcellaire.
A l’été 2021 comme avant-crise, l’usage du télétravail est étroitement lié au niveau de qualification et au secteur d’activité. Les hauts diplômés, les cadres et professions intellectuelles supérieures, ainsi que les secteurs de l’information-communication, de la finance et des activités spécialisées, scientifiques et techniques sont sur-représentés. En revanche, avec la pandémie, le télétravail s’est développé chez les professions intermédiaires et les employés qualifiés ; il a aussi davantage progressé parmi les jeunes et les femmes.
Télétravail et bien-être
A l’été 2021, 10% de l’ensemble des salariés déclarent avoir plus de facilités à gérer à la fois leur vie professionnelle et leur vie personnelle qu’avant la pandémie, alors que 21 % déclarent avoir plus de difficultés. Mais les progrès sont surtout observés chez les télétravailleurs, et ce indépendamment de leur ancienneté : un peu plus de 25% déclarent une amélioration contre seuls 4 % des actifs restés sur site tout au long de la pandémie. Les gains au télétravail apparaissent également plus fréquents pour les femmes et les parents.
Par ailleurs, si les salariés passés par le chômage technique complet lors du premier confinement apparaissent plus enclins à la dépression et les « télétravailleurs de crise » à l’anxiété, la pratique installée du télétravail ne semble pas se répercuter sensiblement sur la santé mentale.
Le télétravail et les inégalités de genre
Si le télétravail a pu aider les femmes à gérer de front leur vie professionnelle et leurs responsabilités domestiques, il n’a toutefois pas conduit à rééquilibrer le rôle des hommes et des femmes dans les tâches domestiques et parentales, même si le télétravail a parfois permis aux pères d’être plus investis dans leur parentalité.
Dans le sillage de la pandémie, le télétravail s’est durablement installé dans le paysage professionnel français. Cette normalisation invite à étudier son vécu hors crise sanitaire, selon la diversité des conditions de travail des salariés (degré d’autonomie, maîtrise des outils informatiques, coopération) ou encore selon ses modalités de mise en œuvre, afin de mieux comprendre ses effets, souvent hétérogènes, sur le bien-être des travailleurs et travailleuses.
Source : Reboul, E., Pailhé, A., Counil, E., 2023, « Expérience et intensité du télétravail : quels liens avec le bien-être après une année de crise sanitaire ? », Population, 79, 528-558.
Contact : Emilie Counil, Ariane Pailhé
Mise en ligne : avril 2024