Surmortalité due à la Covid-19 en Seine-Saint-Denis : l’invisibilité des minorités dans les chiffres
Le département de la Seine-Saint-Denis a connu des taux particulièrement élevés de surmortalité liée à la Covid-19 par rapport au reste de l’Hexagone. Solène Brun, post-doctorante à l’Institut Convergences Migrations, et Patrick Simon, directeur de recherche à l’Ined, s’appuient sur les chiffres disponibles au moment de leurs analyses permettant d’expliquer cette situation. L’Insee a publié depuis des chiffres de mortalité par pays d’origine qui montrent une surexposition particulièrement marquée pour les personnes nées au Maghreb et en Afrique sub-saharienne. Si la pauvreté est un facteur explicatif évident, les discriminations ethno-raciales semblent également avoir un impact sur l’exposition au virus.
Une surmortalité en Seine-Saint-Denis en mars et avril 2020
Selon les données publiées par l’Insee à partir des décès enregistrés à l’état civil, la Seine-Saint-Denis enregistre le plus fort taux de surmortalité en Île-de-France, sur la période du 1er mars au 19 avril. Elle est ainsi de 130 % environ, contre 74 % à Paris et 122 % dans les Hauts-de-Seine. Ces taux de surmortalité prennent en compte le lieu du décès et non le lieu de résidence des personnes décédées. Or, entre 2018 et 2020, plus d’un quart (27 %) des personnes décédées qui résidaient en Seine-Saint-Denis sont mortes en dehors du département. Entre le 1er mars et le 19 avril 2020, cette proportion s’élève à 24 %, dont la moitié étant décédée à Paris. En prenant en compte les taux de mortalité en fonction du lieu de résidence, la surmortalité passe à 134 %, contre 114 % pour les Hauts-de-Seine, et 99 % pour Paris. Des chiffres bien significativement supérieurs aux autres départements de la région.
Des conditions de vie plus précaires pouvant favoriser la transmission du virus
La forte exposition au coronavirus de la population de Seine-Saint-Denis tient à plusieurs facteurs. Avec 6 802 habitants au km² (plus de 64 fois la densité moyenne en France), il est le troisième département le plus densément peuplé, derrière Paris et les Hauts-de-Seine. Les conditions de logement sont aussi un facteur de transmission, avec des taux de sur-occupation les plus élevés d’Île-de-France (20,6 % des logements contre 12,7 % de moyenne régionale). Les formes de cohabitation multigénérationnelles sont également plus fréquentes que la moyenne, ce qui favorise la transmission du virus aux membres âgés de la famille. Le département accueille également le plus grand nombre de Foyers de Travailleurs Migrants de France (35 sites).
Des inégalités de santé dans la population d’immigrés et descendants d’immigrés
La Seine-Saint-Denis est le premier département de France en termes d’immigration (hors Mayotte). En 2016, la population immigrée représentait 30 % des résidents du département, contre 9 % en France en moyenne. En outre, 28 % des adultes de 18 à 50 ans et 50 % des moins de 18 ans sont des descendants d’immigrés, contre respectivement 18 % et 33 % en Île-de-France. Les inégalités de santé de ces populations commencent à être mieux étudiées, mais l’étendue des connaissances reste relativement limitée. À âge identique, l’état de santé déclaré des immigrés est globalement plus mauvais que celui des Français de naissance, ce qui apparaît étroitement lié aux conditions de vie précaires auxquelles ils font plus souvent face, mais aussi aux expériences de discriminations et de racisme, qui sont un facteur explicatif des inégalités de santé. Une étude récente (2019, SSM- Population Health) a mis en évidence que les hommes descendants d’immigrés maghrébins ont une mortalité supérieure à la population majoritaire et aux descendants d’immigrés d’Europe du Sud à milieu social et niveau d’éducation comparables. Par ailleurs, des études ont montré que certains facteurs de comorbidité associés à la Covid-19, comme le diabète par exemple (2011,InVS), étaient étroitement liés aux conditions socio-économiques, mais aussi au pays d’origine.
Des emplois subalternes souvent plus exposés au virus
Les immigrés sont largement surreprésentés parmi les ouvriers et les employés du département (respectivement 57 % et 39 %, par rapport à une moyenne nationale de 20 % et 27 % en 2016), occupant donc les professions potentiellement les plus exposées au virus – celles dites de la « première ligne ». On ne dispose pas de statistiques détaillées par profession et par origine au niveau départemental, mais on sait qu’en France les immigrés représentent 35 % des employés de maison, 25 % des agents de sécurité et 14% des agents d’entretien et des employés des services.
D’autre part, c’est aussi dans ce département que les transports en commun sont le plus utilisés pour se rendre au travail (53 %, contre 43 % en moyenne en Île-de-France), ce qui est également un important facteur de risque face à l’épidémie.
Des inégalités dans l’accès aux soins et la prise en charge par le système de santé
Les indicateurs sur les équipements de santé en Seine-Saint Denis – compilés par l’Observatoire Régional de la Santé – pointent des déficits pour toutes les structures concernées. Le département présente la plus faible densité de médecins libéraux, aussi bien généralistes que spécialistes. Le taux d’équipement hospitalier est également le plus faible de la région pour tous les types d’établissements (2 lits en hospitalisation complète pour 1 000 hab., contre 3,3 en Île-de-France et 7,7 à Paris). Si les indicateurs de santé de la population sont aussi dégradés par rapport à la moyenne régionale, en particulier pour les facteurs de comorbidité associés à la Covid- 19 (diabète, asthme, maladies cardio-vasculaires, affections du système respiratoire et tuberculose), l’offre de soins limitée du département et le moindre recours aux soins des personnes précaires en général et des immigrés en particulier sont très susceptibles de produire une aggravation particulière de la crise sanitaire et de ses effets.
Des données plus complètes pour une meilleure mesure du lien à la migration des personnes décédées
Les auteurs plaident pour une mise à disposition de données plus complètes, qui permettraient de saisir avec davantage de finesse les effets des discriminations ethno-raciales sur l’exposition au virus en France. Les statistiques ethniques aux États-Unis et en Grande-Bretagne montrent sans ambiguïté une surreprésentation de certaines minorités ethno-raciales parmi les victimes de la Covid-19. Des chercheurs britanniques ont récemment mis en évidence que les minorités noires et sud-asiatiques ont, toutes choses égales par ailleurs, plus de risques de décéder des suites de la Covid-19. En France, les données de santé publiées n’identifient que rarement les origines des patients ou des personnes décédées. Le déficit de statistiques concerne notamment la situation des descendants d’immigrés. Ces données permettraient une meilleure compréhension de l’épidémie et de ses effets, ainsi que des inégalités ethno-raciales de santé de manière générale.
Sources : "L’invisibilité des minorités dans les chiffres du Coronavirus : le détour par la Seine-Saint-Denis", Dossier « Inégalités ethno-raciales et pandémie de coronavirus », De facto
Contact : Solène Brun et Patrick Simon (Ined)
Mise en ligne : juillet 2020