Se laver hors de chez soi. Une enquête sur les bains-douches municipaux parisiens.
À Paris, 16 établissements de bains-douches municipaux et quelque 500 cabines à disposition gratuitement
Les établissements de bains-douches municipaux parisiens enquêtés en 2017 offrent un cas intéressant de service public permettant à ceux qui ne peuvent se laver à domicile d’avoir accès à l’eau chaude dans des conditions d’intimité préservée.
Si l’origine de ces établissements est contemporaine de la naissance du logement social, et constitue une aventure européenne liée aux nouvelles conceptions de l’hygiène, de la propreté et du confort, les développements ultérieurs varient fortement dans le temps et dans l’espace. Des formes nouvelles apparaissent, liant l’offre de douches à d’autres activités (culturelles, sociales, artistiques), des établissements changent de destination, apparaissent, disparaissent, tandis que le droit à l’eau entre dans la loi.
Plus d’un millier d’usagers interrogés
C’est dans un tel contexte, et suite à deux années d’observation participante avec des étudiants de Licence de sociologie, que le projet d’une enquête par questionnaire auprès des usagers des bains-douches municipaux de Paris a pris forme. Enquêter dans les bains-douches municipaux de Paris suppose de s’adapter à une diversité de populations peu commune. Le questionnaire est d’ailleurs proposé dans 7 langues (anglais, arabe, bulgare, farsi, polonais, roumain, et français). Cette enquête, mise au point en collaboration étroite avec le Service des méthodes statistiques (SMS) et le service des enquêtes et des sondages (SES) de l’Ined, vise à mieux connaître les usages et les usagers des bains-douches. Elle s’appuie sur des méthodologies rodées, inspirées des enquêtes auprès des utilisateurs des services d’aide aux personnes sans domicile, tout en bénéficiant de l’apport d’une soixantaine d’entretiens semi-directifs menés en 2014 et 2015.
Après le test du questionnaire et le test du protocole, mis au point avec le SES de l’Ined, l’enquête proprement dite s’est déroulée du 15 janvier au 15 février 2017. Tous les établissements ont été enquêtés cinq fois, par tranches de 3 heures, par un binôme d’enquêteurs. Nous avons recueilli 1084 questionnaires.
Un usager sur quatre vit à la rue
Les données permettent d’établir un portrait général de la population qui fréquente les bains-douches : de nombreuses personnes nées à l’étranger (59%), peu de femmes (9%). Si la part des habitués est importante (45% des usagers fréquentent les bains-douches depuis au moins 5 ans), celle des nouveaux venus est aussi non négligeable (22% fréquentent les bains-douches depuis moins d’un an). Beaucoup de personnes sont logées ou hébergées (58%), tandis que la part de celles qui vivent à la rue est seulement de 24%. Toutefois, logées ou non, la plupart (67%) n’ont pas de douche sur leur lieu d’habitation ordinaire. Une part importante des enquêtés ne vivent pas seuls (environ 43%), et près de la moitié des usagers a au moins un enfant. La part des usagers ayant bénéficié d’une scolarisation secondaire ou supérieure atteint 70%. Le mode d’enquête (questionnaire auto-administré) n’est pas étranger à ce score, qui en tout état de cause invite à dépasser l’idée d’une population massivement peu éduquée et peu diplômée. La plupart des usagers ont travaillé par le passé, mais environ 4 sur 5 sont sans emploi au moment de l’enquête. Cependant, la frontière entre travail et non travail, ou encore entre emploi et non emploi, est relativement poreuse. L’enquête a en effet révélé qu’il est rare que les ressources des usagers proviennent seulement du travail : ceux qui perçoivent des revenus d’un travail ont quasiment tous perçu le RSA au moins une fois dans l’année, et 37% vivent uniquement des allocations. Enfin, et malgré la précarité généralisée dans la population des enquêtés, la moitié des usagers des bains-douches ne fréquentent aucun service gratuit, ce qui dénote une pauvreté de nature particulière
Les bains-douches, havre d’hospitalité
Les résultats confirment que les bains-douches sont des lieux accueillants pourvoyeurs de care : ils sont plébiscités par les usagers, qui expriment d’ailleurs souvent leur reconnaissance de pouvoir disposer d’eau chaude et d’un espace intime très généralement vécu comme sûr, propre et accueillant. De même, les enquêtés témoignent qu’ils y sont bien traités : sauf exception, le respect et le sens de l’hospitalité semblent régner dans ces lieux. Cependant, si l’on peut vérifier des manifestations de solidarité entre usagers, la règle est plutôt « l’inattention civile », caractéristique des espaces publics et condition de leur bon fonctionnement. La violence sociale ressentie par les usagers se traduit davantage par une stigmatisation que par des épisodes de violence effective : très peu d’usagers rapportent de tels épisodes.
Cette enquête a bénéficié du soutien de l’Université de Paris VIII-Saint-Denis, des Laboratoires iPOPs, CHR-LAVUE (Université de Paris 8 Saint-Denis) et Passages (CNRS), de la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées, du cabinet de Dominique Versini à la mairie de Paris, et du PUCA, Plan Urbanisme Construction et Architecture, ministère de l’écologie et du logement. Elle n’aurait pu se faire sans l’accueil en délégation à l’Ined dont Claire Lévy-Vroelant a bénéficié de septembre 2015 à février 2017.
Cette enquête quantitative, qui décrit l’état présent dans un contexte urbain spécifique, révèle la nécessité d’une approche de plus grande envergure en termes de cas étudiés et de méthodologies mobilisées. D’autres investigations seront en effet nécessaires afin de comprendre les réponses apportées par les bains-douches aux mutations en cours à Paris, mais aussi dans d’autres villes de France et d’Europe : transformation de l’Etat-Providence, émergence de nouvelles formes de vulnérabilités telles que la précarité hydrique, montée en puissance du droit à l’eau, multiplication des initiatives privées et publiques de mutualisation des biens communs, etc.
Notre équipe de recherche tient également un Carnet Hypothèses qui rend compte de l’avancée de nos travaux.
Contact : Claire Lévy-Vroelant et Lucie Bony
Mise en ligne : octobre 2019