Pratique de l’amour : l’épreuve du temps
Sur l’amour, on rencontre deux discours opposés, un discours idéaliste et enchanté, qui le voit comme une affaire de sentiments désintéressées et de don de soi sans calcul, et un discours cynique et désenchanté, qui l’assimile à une simple stratégie de captation de biens matériels et de sexualité. Dans Pratique de l’amour. Le plaisir et l’inquiétude, Michel Bozon adopte une autre focale, en traitant l’amour comme une pratique, inscrite dans une temporalité, qui introduit de l’intensité dans nos vies. Il aborde ainsi successivement les temps de l’amour naissant, de la stabilisation conjugale et du désamour.
Ce sont les débuts que l’on considère souvent être le seul véritable amour. C’est une période de dépense de soi intense, et de circulation réciproque de propos, d’objets et de gestes. Cependant à un moment donné on n’a plus rien de nouveau à remettre à son partenaire. La relation doit alors se redéfinir radicalement ou cesser. N’y aurait-il plus d’amour lorsque la relation amoureuse se stabilise en relation conjugale ? Pour évoquer les manifestations affectives dans un couple, il y a deux écueils à éviter. Considérer que la vie commune équivaut systématiquement à de l’amour est une erreur. Mais déclarer comme le font les magazines que l’installation en couple tue l’amour et que l’élan initial se brise inévitablement sur les habitudes conjugales et la routine n’est pas plus juste.
Il est vrai que la stabilisation en couple consiste en la création d’une sphère commune, s’appuyant sur un environnement stable peuplé d’objets acquis en commun et sur l’élaboration d’habitudes communes. Dans ce cadre, les comportements du partenaire deviennent fortement prévisibles. La vie conjugale apparaît alors comme caractérisée par une succession de moments faibles et de moments forts. Il y a de longs moments de quant-à-soi ou de coopération conjugale relativement indifférents. Les moments forts sont plus rares, intermittents, en partie imprévisibles : ces manifestations affectives prennent la forme d’épisodes de compréhension enchantée (on a l’impression de se comprendre sans mots), d’entente tacite ou de transmission de pensée fulgurante, de moments de retrouvailles, ou bien d’activités « en amoureux » qui reviennent à célébrer et à tenter de faire revivre de façon volontariste les débuts amoureux.
Prenons la sexualité dans le couple. On pense souvent que celle-ci serait menacée par la répétition et que d’ailleurs ce serait une des causes du désamour. Mais on peut souligner à l’inverse que la vie sexuelle conjugale constitue un cadre rassurant : elle n’est pas destinée à créer de l’inattendu, ni une connaissance nouvelle du partenaire, elle fonctionne comme un rituel d’entretien du couple, relativement banal. Ce qui la caractérise est d’être un temps créateur d’intimité partagée, qui permet aux partenaires de s’abstraire de leur environnement quotidien et conduit parfois à des échanges d’où la tension a été évacuée. C’est une composante devenue nécessaire de la vie de couple, même si ce n’en est pas forcément le moment central.
Source : Michel Bozon, 2016, Pratique de l’amour, Editions Payot & Rivages, Paris
Contact : Michel Bozon
Mise en ligne : avril 2016