Niveau d’instruction et religiosité en France et en Grande-Bretagne : quelles répercussions sur la fécondité ?
Dans un article paru dans Population (2020, N°1), Nitzan Peri-Rotem propose une analyse des interactions individuelles entre deux déterminants importants de la fécondité : l’instruction et la religiosité dans des sociétés contemporaines. Ce focus en présente un bref aperçu.
Pendant la deuxième moitié du siècle, la proportion de personnes affiliées à une religion et la fréquentation des services religieux ont sensiblement diminué partout en Europe. Le niveau d’instruction a quant à lui continué de s’élever. Ces deux phénomènes impliquent généralement une diminution de la fécondité. De longues études peuvent en effet décaler l’arrivée du premier enfant et/ou réduire le nombre d’enfant désiré. En outre, le recul de la religiosité s’accompagne de celui de la fécondité.
Cependant la poursuite d’études supérieures et la religiosité ne sont pas systématiquement antinomiques. Ainsi, dans certains pays, le développement de l’instruction a été plus marqué chez les personnes affiliées à une religion. C’est le cas de la Grande-Bretagne où 46% des femmes se déclarant protestantes et pratiquantes ont atteint un niveau d’études élevé, contre seulement 33% de celles sans religion. Ce n’est cependant pas le cas en France où 20% des catholiques sont fortement instruites, contre 26% des non croyantes.
Lorsque haut niveau d’études et religiosité se combinent, quels effets produisent-ils alors sur la fécondité ? Le premier prédomine-t-il sur le second ou est-ce l’inverse ? Autrement dit, le sentiment religieux modère-t-il l’effet du diplôme de sorte que, à niveau d’étude comparable, la fécondité des femmes sans religion serait alors plus faible que celle des croyantes ? Ces relations croisées probables sont schématisées ci-dessous.
L’étude conduite par Nitzan Peri-Rotem mobilise des données issues de deux enquêtes, l’une conduite en France en 2005, l’autre Grande-Bretagne en 2008 afin de comparer dans cette perspective la descendance finale (nombre d’enfants pour des femmes ayant fini leur période reproductive). La religion est mesurée par la pratique et l’identification à la religion catholique en France, au protestantisme et au catholicisme en Grande-Bretagne.
Trois résultats peuvent être dégagés de cette étude.
Dans les deux pays, les femmes sans appartenance religieuse ont moins d’enfants que les femmes croyantes, pratiquantes ou non. Les femmes ne déclarant aucune appartenance religieuse ont une descendance finale plus réduite (1,8 enfant en moyenne en Grande-Bretagne et 1,9 en France dans les générations considérées) que les catholiques pratiquantes (2,5 enfants en moyenne pour les Britanniques et 2,4 pour les Françaises). Deux nuances sont à signaler : d’une part les croyantes non pratiquantes ont une fécondité intermédiaire : supérieure à celle des femmes sans religion mais toujours inférieure aux pratiquantes, d’autre part les protestantes ont en Grande-Bretagne moins d’enfants que les catholiques.
L’examen toutes choses égales par ailleurs de l’interaction entre religion et instruction montre que la fécondité des femmes croyantes ne varie pas linéairement selon leur niveau d’instruction : les moins instruites ont la descendance finale la plus nombreuse, puis cet indicateur diminue pour les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire mais il augmente chez les diplômées de l’enseignement supérieur. La fécondité des croyantes suit donc une courbe ayant un profil en U dans les deux pays. La relation décroissante de la fécondité avec le niveau d’instruction est donc modérée par le facteur religieux. Ceci peut s’expliquer par des éléments sociologiques. D’une part, la vie familiale et les enfants sont fortement valorisés au sein des communautés religieuses ; d’autre part, les fidèles peuvent reçoivent davantage de soutien de leurs proches lorsqu’elles souhaitent agrandir leur famille. Les coûts directs et indirects des enfants seraient donc moins élevés pour elles qu’ils ne sont vécus par les moins pratiquants ou non croyants.
Nombre moyen d’enfants, par groupe religieux et niveau d’instruction
Toutefois il existe des différences dans le lien entre religiosité et niveau d’instruction en Grande-Bretagne et en France, la religion ayant moins d’impact en France. En Grande-Bretagne, il existe un fort gradient social dans la probabilité d’avoir un premier enfant pour les femmes sans religion alors qu’en France se déclarer sans religion est associé à des comportements de fécondité semblables quel que soit le niveau d’études. Ceci peut s’expliquer par la plus grande pression à avoir au moins un enfant et à un système social de prise en charge de la petite enfance plus favorable qui diminue le coût d’opportunité chez les femmes investissant davantage dans leur carrière professionnelle.
Source : Nitzan Peri-Rotem, 2020, Écarts de fécondité en fonction du niveau d’instruction : le rôle de la religion en Grande-Bretagne et en France, Population 2020-1.
Autre publication de l’Ined sur le même thème : Régnier-Loilier A., Prioux F., 2008, La pratique religieuse influence-t-elle les comportements familiaux ?, Population et sociétés, 447.
Mise en ligne : juillet 2020