Migrations climatiques : un avenir annoncé ?
Selon un discours fréquent, des migrations de plus en plus nombreuses résulteront dans l’avenir des transformations environnementales induites par le changement climatique.
Notre planète connait à l’heure actuelle des changements progressifs de température et de pluviométrie, dont l’une des conséquences est la montée du niveau des océans, ainsi que des événements extrêmes de plus en plus fréquents et aux retombées de plus en plus lourdes. Un nombre croissant de personnes sont contraints de quitter leur lieu d’habitation, mais déplacement ne signifie pas toujours migration.
Une vulnérabilité globale croissante
La population exposée aux risques climatiques est en augmentation régulière, du fait de la croissance globale de la population mondiale et du fait de la montée des risques climatiques. L’élévation annoncée du niveau de la mer met en difficulté une large part des plus grandes agglomérations du monde, qui sont situées en bord de mer et dont la population est en croissance rapide, ainsi que les deltas des grands fleuves des pays à revenus faibles ou intermédiaires, deltas qui sont eux aussi des lieux de fortes densités de population. De plus, les irrégularités du climat comme ses transformations progressives affectent particulièrement les populations vivant d’activités largement dépendantes des conditions météorologiques telles que l’agriculture ou l’élevage.
Cette exposition croissante au risque va de pair avec une vulnérabilité croissante, liée à la persistance d’inégalités économiques, de conditions de vie et particulièrement de logement et de santé. Sans épargne ni système assurantiel, privé ou public, certaines populations ont beaucoup de mal à faire face aux aléas du climat comme aux autres aléas de la vie.
Certains événements extrêmes comme les inondations ou les cyclones entrainent des pertes humaines et matérielles importantes, comme on a pu le voir au Mozambique avec le cyclone Idai et les inondations qui ont suivi son passage en 2019 ou en Louisiane lors du passage de l’ouragan Katrina en 2005.
Des déplacements massifs mais des migrations limitées
Lorsque survient une inondation, les habitants doivent se déplacer, mais ils trouvent souvent refuge dans le voisinage et reviennent chez eux dès qu’ils le jugent possible. Quand un cyclone est annoncé dans le golfe du Bengale, les populations se réfugient dans des abris construits à cet effet puis retournent dans leurs maisons aussitôt que le danger est écarté. L’annonce en 2013 du cyclone Phailin, dans l’état indien d’Odisha, s’accompagna du déplacement de plus de 500 000 personnes : il n’y eut pas à proprement parler de migrations, c’est-à-dire de mouvements de populations durables et d’une certaine distance. A Búzi, au Mozambique, les déplacés du cyclone Idai ont été réinstallés à moins de 20 km de la ville. Après quelques mois beaucoup sont rentrés à Búzi, les autres restés – en particulier des jeunes et des femmes en quête d’autonomie. L’ouragan Katrina qui a touché la Nouvelle Orléans en septembre 2005 a entrainé 1,2 millions de déplacés, qui se sont principalement réfugiés ailleurs en Louisiane ou dans les Etats voisins. Certains habitants – les plus aisés, ceux avec un réseau social qui le leur permettait - avaient pu anticiper la catastrophe et partir d’eux-mêmes. Plus de la moitié des déplacés étaient revenus fin 2006. Près de la moitié des autres y aspiraient mais n’avaient pas les moyens d’y rentrer. Le niveau de vie des habitants, l’importance des dégâts subis et les conditions des dédommagements ont été déterminants pour les retours. En France, lorsque des inondations touchent une ville par exemple, des lieux d’hébergement temporaires sont mis à disposition, avant que les habitants puissent retourner chez eux
Un épisode prolongé de sécheresse tel qu’en connait régulièrement la Corne de l’Afrique a un effet assez différent sur la mobilité : le changement environnemental est moins brutal mais il induit des déplacements de plus longue distance, voire l’abandon de l’élevage pour une vie urbaine, pour de nombreuses familles qui ont perdu leurs ressources.
Ces exemples montrent des migrations variables, touchant différentes catégories de population, allant des plus aisés aux plus démunis, et un retour important vers les lieux d’origine pour ceux qui peuvent espérer y poursuivre leurs activités et n’ont pas vraiment les moyens de partir dans de bonnes conditions.
Des stratégies pour rester
La migration est généralement une solution d’anticipation pour les plus aisés, de dernier recours pour les autres et les stratégies mises en place pour rester ne cessent de se renouveler.
Au Bangladesh en 2012 des habitants du delta du Brahmapoutre ont certes pu fuir la menace de montée des eaux en se rendant à Dhaka ou en migrant en Inde mais d’autres se contentent de se déplacer à proximité de leur lieu d’origine et s’installent sur des terres qui ont nouvellement émergé.
Des années de sècheresse peuvent rendre les conditions de vie sur place de plus en plus difficiles, en particulier dans l’agriculture, mais sans provoquer de nombreux départs. Les agriculteurs et éleveurs peuvent tenter de s’adapter en diversifiant leur production et leurs activités. Les membres d’une famille confrontée à un événement extrême peuvent souvent rester sur place parce qu’un des leurs a auparavant migré vers une région différente ou la ville, et peut leur venir en aide. Parfois les événements climatiques favorisent les départs mais des travaux ont également souligné l’effet inverse : en cas de difficultés économiques temporaires, comme typiquement en cas de mauvaise récolte, les familles n’ont pas forcément les moyens de partir ou d’envoyer l’un des leurs en migration et elles préfèrent repousser le départ.
Dans les pays moins avancés, les habitants de zones exposées à des risques liés au changement climatique sont tentés de les réduire par un habitat plus approprié, en construisant par exemple des maisons en ciment sur des terrains remblayés pour faire face aux cyclones et aux inondations. Dans les pays qui le sont plus, on observe d’autres formes d’adaptation telles que l’élévation de digues plus hautes pour se protéger d’éventuels tsunamis, munies dans certains cas de capteurs pour en vérifier l’état ou l’instauration de zones tampons où le trop plein d’eau peut se déverser sans causer de dégâts en cas de violentes tempêtes. L’Etat peut jouer un rôle majeur dans l’appui à ces démarches et ces infrastructures, comme nous l’avons vu avec l’exemple des abris dans le golfe du Bengale, et comme cela a été le cas de longue date aux Pays Bas avec la construction de digues et leur renforcement.
Les déplacements forcés qui suivent une catastrophe sont en grande partie de courte distance et temporaires. Le nombre de déplacements temporaires peut donc exploser sans qu’il en aille de même pour celui des migrations. Des solutions existent pour faire face à une partie des transformations environnementales induites par le changement climatique, que ce soit les aléas climatiques ou les transformations plus progressives de l’environnement. Mais leur mise en œuvre implique une prise de conscience, des solutions régionales concertées et surtout des moyens. Cela ne réduit donc en rien le défi que lance à de nombreuses populations le changement climatique, en particulier dans les pays du Sud.
Contact : Jacques Véron, Valérie Golaz
Mise en ligne : décembre 2016
Mise à jour : mai 2024
Autres contributions des auteurs :
Véron J. 2020, « Migrations et changement climatique. Un phénomène aux dimensions incertaines », in Le grand basculement ? Ramses 2021. Ifri. Dunod. p. 78-83.
Véron J., Golaz V. Les migrations environnementales sont-elles mesurables ? Population & Sociétés, n° 522, 2015, p. 4
Emission Science en direct, L’esprit sorcier, sur « Les conséquences des changements climatiques et environnementaux sur les déplacements des populations », avec Valérie Golaz, Uacitissa Mandamule et Léo Lipovac, 2022
Pour en savoir plus :
Hunter, L. M. 2005, “Migration and Environmental Hazards”, Population and Environment. Vol. 26, No. 4: 273-302
Bremner J.et Hunter L. M. 2014, “Migration and the Environment,” Population Bulletin 69, No. 1