L’effet de la masculinisation des naissances sur le marché matrimonial
La population du monde est devenue majoritairement masculine en 1955. La part des hommes augmente légèrement depuis principalement en raison des déséquilibres en Asie. Depuis les années 1990, on a observé un accroissement anormal de la proportion de naissances masculines dans plusieurs pays du monde.
Le Rapport de masculinité à la naissance (RMN) est de 110 garçons pour 100 filles en Inde et de 115 en Chine, alors que le niveau courant généralement observé est de 105. Même en cas d’un rapide retour à la normale du RMN, ces deux pays resteront majoritairement peuplés d’hommes jusqu’à la fin du siècle. Un des effets mécaniques du déficit contemporain de naissances féminines est la réduction du nombre de femmes adultes et donc aussi des naissances futures.
La masculinisation parmi les adultes entraîne un déséquilibre du marché matrimonial hétérosexuel (marriage squeeze) et des mécanismes de formation des familles. Par exemple pour la Chine le surplus d’hommes en âge de se marier augmentera annuellement d’environ 1,3 millions durant les vingt prochaines années impliquant un excédent total de 41 millions d’hommes de plus de 22 ans en 2041.
Autour de 2050, l’effectif d’hommes célibataires devrait dépasser de plus de 50 % celui des femmes en Chine et en Inde, ce qui donne une idée de l’ampleur de la saturation du marché matrimonial.
Quels enseignements démographiques peut-on tirer pour l’avenir ?
- Le déséquilibre du marché matrimonial sera beaucoup plus accentué que les seules comparaisons de structure par âge ne l’indiquent en raison de l’effet cumulatif des déséquilibres de sexe à la naissance sur le marché matrimonial. Les cohortes de futurs époux, qui se marient plus âgés, sont désormais plus grandes que celles de leurs épouses potentielles, car ils sont nés plusieurs années avant elles dans des cohortes plus fournies.
- Le marché matrimonial restera perturbé après le retour à la normale du RMN en raison du retard au mariage des cohortes précédentes (effet d’accumulation progressive sur le marché matrimonial d’hommes célibataires, à chaque période on doit tenir compte des nouveaux candidats au mariage, mais également les populations restées précédemment célibataires).
- Un accroissement de l’écart d’âge entre les époux atténuerait sensiblement le déséquilibre du marché matrimonial, mais une hausse du célibat féminin aurait un effet inverse.
- Les surplus d’hommes célibataires attendus en Chine et en Inde sont d’un volume tel qu’aucun correctif par la migration internationale de femmes ne semble plausible.
Ces développements semblent mener les pays à tradition patrilinéaire vers une situation totalement inédite. Une partie de la progéniture masculine tant souhaitée par les parents aujourd’hui pourrait être dans l’impossibilité de se marier dans le futur en raison de son surnombre, et par conséquent de perpétuer le lignage. En d’autres termes, ce régime ne semble pas démographiquement soutenable, et la sélection prénatale en faveur des garçons d’aujourd’hui devrait saper à terme les fondements de systèmes patrilinéaires qui reposent sur une reproduction familiale à travers la lignée masculine.
Source : Christophe Z. Guilmoto (2015), La masculinisation des naissances. État des lieux et des connaissances, Population, 70 (2)
Contact : Christophe Z. Guilmoto
Mise en ligne : août 2015