Fécondité et politiques publiques : une comparaison entre la France et l’Italie autour des travaux de Valeria Solesin
Valeria Solesin a été victime des attentats de Paris du 13 novembre 2015. Sociologue et démographe de formation, elle entamait la dernière ligne droite de son doctorat sur les comportements contemporains de fécondité en Italie et en France et, plus spécifiquement sur le passage du premier au deuxième enfant. Les ambitions de la thèse étaient servies par un dispositif méthodologique riche, combinant approches quantitative (statistique et démographique) et qualitative (par entretiens). Elle avait ainsi réalisé un important travail de terrain en interrogeant une soixantaine de parents ayant un ou deux enfants en France et en Italie, afin de mieux saisir les motivations des acteurs dans leurs choix familiaux et les mécanismes qui les sous-tendent.
L’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit en Italie à 1,37 enfant par femme en 2014, contre 2,01 en France. Les raisons de la basse fécondité italienne sont diverses. Différentes composantes démographiques peuvent rendre compte de cet indicateur de fécondité particulièrement bas : la proportion de femmes restant sans enfant au terme de leur vie féconde, le report de l’arrivée du premier enfant associé au départ tardif du foyer parental, le rôle spécifique du mariage. En Italie, quitter le domicile des parents n’est souvent envisageable que pour se marier, le mariage dépendant de la possibilité d’accéder à un logement indépendant, elle-même liée à la situation matérielle des partenaires dans un contexte économique difficile. En raison du poids des normes sociales, la naissance d’un enfant en dehors du cadre du mariage reste rare en Italie contrairement à la France.
La participation des femmes au marché du travail a fortement augmenté en Europe ces dernières décennies, mais d’importants écarts subsistent. Aujourd’hui, on observe une fécondité plus forte dans les pays où le taux d’activité féminin est élevé. Les possibilités offertes aux femmes d’articuler travail et famille apparaissent ainsi comme un élément déterminant de la fécondité en Europe. Les données de l’OCDE de 2010 indiquent qu’en France 83 % des femmes de 24 à 54 ans sont actives contre seulement 63 % en Italie.
Cette faible participation des femmes italiennes au marché du travail, participe de différences globales dans les normes et perceptions, que Ronald Rindfuss résume par la notion de « family package ». Ce “package” peut être très rigide, principalement pour les femmes, avec une forte pression à s’inscrire dans des rôles bien définis : être mariée, accepter la norme patriarcale, avoir des enfants et cesser de travailler à leur naissance, prendre soin des beaux-parents. C’est le cas dans les pays du sud de l’Europe comme en Italie. En France, ce “package” apparaît plus flexible : les femmes peuvent avoir des enfants en dehors du mariage tout en continuant à exercer leur activité professionnelle sans être considérées comme des « mauvaises mères », les enfants ne sont pas supposés souffrir s’ils vont en crèche ou si leur père s’occupe d’eux. Les différentes formes familiales sont alors mieux acceptées, comme par exemple les naissances hors mariage, les familles monoparentales ou recomposées. Ces différences se retrouvent également dans les politiques publiques, notamment la part des aides sociales consacrées aux familles, et sur les offres de garde collective pour les enfants, beaucoup moins développées en Italie qu’en France, où l’intervention de l’État dans la sphère privée est davantage acceptée, en particulier dès lors qu’elle concerne l’éducation des enfants. En Italie, bien que le nombre de places en crèche soit en hausse, la prise en charge de la petite enfance relève encore largement des solidarités familiales intergénérationnelles. L’aide informelle, apportée par les grands-parents, est centrale : 53 % des enfants de moins de trois ans sont ainsi gardés en 2012 lorsque leur mère travaille, contre près de 10 % en France. Ces difficultés à concilier vie familiale et professionnelle entrainent en Italie à la fois moins de mères actives et moins de naissances qu’en France. Les différences sociales et géographiques restent fortes en Italie, même si la fécondité est maintenant similaire dans toutes les régions : les femmes les moins diplômées se retirent plus souvent de l’activité professionnelle que les plus diplômées, et dans les régions du Sud, les femmes interrompent plus souvent leur activité professionnelle dès le premier enfant.
Valeria Solesin terminait l’analyse de ses entretiens quand elle a été abattue. Elle commençait son travail d’écriture et n’a donc pas pu, à travers la rédaction de la thèse, mûrir ses conclusions en réponse aux nombreuses questions que son travail aborde. Ses premiers résultats montraient la complexité des choix de fécondité et l’impact que peuvent avoir sur ces choix des contraintes qui se construisent au carrefour des histoires individuelles et du contexte familial, professionnel, social et politique. Nous avons rassemblé ses principales conclusions dans un texte d’hommage qui sera soumis pour publication à la Revue des politiques sociales et familiales, éditée par la Cnaf qui a soutenu sa thèse, ainsi qu’à une revue italienne de démographie.
Source : Valeria Solesin, Allez les filles, au travail, Population et Sociétés, n° 528, décembre 2015
Contact : Lidia Panico, Arnaud Régnier-Loilier, Laurent Toulemon
Mise en ligne : novembre 2016