L’Essai de Malthus : le principe et la controverse
En 1798 est publié anonymement à Londres l’Essai sur le principe de population. Réagissant aux thèses du philosophe anglais William Godwin, son auteur, Malthus, y présente une loi de population selon laquelle la croissance démographique est toujours plus rapide que celle des subsistances. La population suivrait une progression géométrique tandis que les subsistances augmenteraient en progression arithmétique, ce qui compromettrait toute possibilité de progrès.
La controverse
Ce texte que l’Ined vient de republier dans la traduction d’Eric Vilquin a déclenché dès 1798 une très vive controverse. Godwin, en particulier, estime de son devoir de réfuter le « principe fondamental » de Malthus. Selon lui, ce dernier se serait « avancé dans une terre déserte et, semblable aux premiers explorateurs de pays inconnus », il en aurait pris possession sans véritable légitimité. La théorie malthusienne serait essentiellement « dogmatique ». La question centrale pour le philosophe anglais est de savoir si l’accroissement de la population peut résulter « des seules forces de procréation ». Notons que, selon « l’Axiome » de Malthus », les institutions humaines ne joueraient qu’un rôle secondaire dans l’évolution des populations.
Mais comment le principe de population est-il compatible avec des situations de dépopulation ? Comment des peuples ont-ils pu disparaître avec une telle puissance de peuplement ? En cas de dépopulation, la contrainte des subsistances devenant moins forte, la population devrait augmenter à nouveau.
La controverse s’est saisie des raisons de la rapide croissance démographique des Etats-Unis. Si la population y a pu doubler en 25 ans comme le montre Malthus, est-ce une simple conséquence de la puissance de peuplement sur un territoire où les ressources sont abondantes ou bien le résultat d’une forte immigration en provenance d’Europe, alors que le désir d’émigrer était très fort ?
Dans le modèle malthusien, la pauvreté progresse lorsque la population s’accroît. Est-ce l’effet d’une loi de la nature ou simplement le fait d’un « état social très-factice » qui privilégie une poignée d’individus ? Si le perfectionnement de l’homme est sans limite, il n’y a pas de raison de craindre l’accroissement de la population du globe. Selon Godwin, la terre pourrait nourrir « quinze individus au lieu d’un », soit 9 milliards d’habitants au lieu des 600 millions qui à ses yeux peuplaient le monde à son époque, et ceci d’autant plus que l’humanité disposerait, avec la mer, d’une importante source de subsistances.
Une théorie réaffirmée dans une autre parution de Malthus
Dans cette réédition de l’Essai figure aussi Une vue sommaire sur le principe de population, texte paru en 1830 où Malthus reste fidèle à sa vision du principe de population. Comme déjà en 1798, il dénonce les effets pervers des lois d’assistance aux pauvres qui reviennent à reconnaître « un droit de plein soutien à tout ce qui devrait naître ». Or le bien susceptible d’être apporté à un individu conduirait à une détérioration de la situation d’une large part de la société. A « la grande loterie de la vie », certains devraient se résoudre à tirer « un numéro perdant », affirmation considérée comme la démonstration de la profonde inhumanité de Malthus. Ceci explique que Proudhon ait pu dire : « il n’y a qu’un homme de trop sur la terre, c’est M. Malthus ».
En dépit de la controverse suscitée jusqu’à aujourd’hui sur la base des différentes éditions de l’Essai, le principe de population de Malthus, comme la séparation des pouvoirs chez Montesquieu ou la sélection naturelle chez Darwin, constitue une étape majeure de l’histoire des idées.
Source : Essai sur le principe de population
Contacts : Jean-Marc Rohrbasser et Jacques Véron
Mise en ligne : août 2017