Choix du conjoint :
la part de l’héritage
Héritières et héritiers se marient souvent ensemble : une étude publiée dans la revue « Population » montre qu’un Rastignac d’aujourd’hui n’aurait que peu de chances d’épouser une riche héritière. Très bien gagner sa vie ne suffit pas : pour convoler avec un rentier, mieux vaut venir d’une famille fortunée.
Dans les romans de Balzac ou de Maupassant, des personnages ambitieux, mais désargentés, cherchent à épouser de riches héritières pour s’élever dans la société. Aujourd’hui, « on se marie probablement plus souvent par amour et la famille a moins d’emprise qu’au XIXe siècle », remarque l’économiste Nicolas Frémeaux (Thema, université de Cergy-Pontoise), qui s’est demandé si l’héritage jouait encore un rôle dans la formation des couples. L’origine de la fortune influence-t-elle le choix du conjoint ? Les héritiers préfèrent-ils épouser des héritières (et inversement) ?
Une série de déterminismes sociaux incitent souvent à choisir un conjoint du même milieu social, religieux ou culturel, que soi. Dans un article paru dans « Population », Nicolas Frémeaux observe cette ressemblance entre les conjoints, l’homogamie, sous un angle nouveau, en regardant les revenus du travail d’un côté et le patrimoine hérité de l’autre. Son étude s’appuie sur l’enquête Patrimoine, une enquête sur la richesse des ménages menée tous les six ans par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les données, recueillies lors de quatre vagues de l’enquête, de 1992 à 2010, portent sur plus de 27 700 couples mariés ou non. Nicolas Frémeaux a estimé l’héritage total, qu’il soit déjà reçu ou à venir, et le revenu « permanent » de chaque personne.
Les héritières épousent des héritiers… et inversement
Près de 73 % des hommes dont la famille possède un patrimoine sont en couple avec une femme dans la même situation (et plus de 77 % des héritières potentielles sont en couple avec un héritier potentiel). La similitude entre les héritages est encore plus forte que celle des revenus du travail. Et plus leur héritage est conséquent, plus les héritier-e-s se marient entre eux… Les 5 % d’héritières les plus riches, par exemple, ont près de 4,3 fois plus de probabilités que les autres d’être en couple avec un héritier aussi fortuné qu’elles. Eugène de Rastignac, le héros de Balzac, n’aurait donc aujourd’hui qu’une faible probabilité d’épouser une héritière.
D’importants revenus ne remplacent pas un héritage
En outre, les revenus du travail ne compensent pas l’absence d’héritage, en particulier chez les plus aisés. Un riche héritier sera ainsi plus souvent attiré par une riche héritière que par une femme sans fortune familiale mais gagnant très bien sa vie. L’étude met ainsi en évidence un « cloisonnement » entre le cercle des héritiers et héritières et celui des travailleurs et travailleuses.
L’éducation joue un rôle moindre dans les mariages entre héritier-e-s
Le niveau d’éducation explique en grande partie les similitudes de revenus au sein des couples. Lorsqu’il s’agit d’héritage, l’éducation ne joue qu’à hauteur de 20 %. D’autres mécanismes semblent à l’œuvre pour favoriser le rapprochement entre héritier-e-s. Les stratégies des familles, à l’instar des « rallyes » dans la haute société, le prestige social lié à l’héritage, le fait de fréquenter les mêmes endroits mais aussi des valeurs familiales semblables orientent sans doute leurs préférences.
Le lien entre héritage et mariage aide à comprendre la dynamique des inégalités
Etudier les liens entre l’héritage et le mariage pourrait permettre de mieux comprendre la dynamique des inégalités, souligne Nicolas Frémeaux, dont la démarche se veut complémentaire des récentes études sur le retour de l’héritage et du patrimoine dans les pays riches. Avec l’accroissement des inégalités de patrimoine, suggère-t-il, les décisions matrimoniales risquent de peser de plus en plus sur la mobilité sociale d’une génération à l’autre.
Qui se ressemble s’assemble… Le concept d’homogamie |
Source : N. Frémeaux (2014), Le rôle de l’héritage et du revenu du travail dans les choix matrimoniaux, Population, 69(4).
Contact : Nicolas Frémeaux
Mise en ligne : 24 avril 2015