Aide informelle : comprendre les comportements individuels et familiaux pour adapter le système français de protection sociale
En 2011, 80% des personnes de 60 ans et plus en perte d’autonomie reçoivent l’aide informelle d’un proche.
La valorisation de cette aide est estimée entre 7 et 11 milliards d’euros et a des conséquences en termes de santé publique et de participation au marché du travail, mais également sur l’articulation entre solidarités publiques et solidarités familiales. Demain, cette aide informelle sera influencée par les évolutions démographiques et socioéconomiques des familles. Roméo Fontaine, chargé de recherche à l’Ined, s’intéresse à l’impact économique de cette aide informelle et analyse les comportements de prise en charge et la place du soutien familial dans le système français de protection sociale.
L’aide informelle qualifie généralement le soutien apporté à titre non professionnel – par un membre de la famille ou un proche – aux personnes ayant des difficultés à réaliser seules certaines activités de la vie quotidienne. Toutes les enquêtes statistiques réalisées en France ces dix dernières années montrent que l’aide apportée par la famille à un proche en perte d’autonomie est à la fois plus fréquente, plus intense (en volume horaire) et plus étendue en termes de tâches effectuées que l’aide professionnelle. Parmi les 700 000 personnes de 60 ans ou plus en perte d’autonomie vivant à domicile, 80% reçoivent de l’aide informelle, 50% reçoivent de l’aide professionnelle (Soullier et Weber, 2011). Le temps médian d’aide informelle reçu par personne en perte d’autonomie est d’une heure et quarante minutes par jour contre trente-cinq minutes par jour pour l’aide formelle (Soullier et Weber, 2011). En moyenne, les personnes âgées en perte d’autonomie reçoivent de l’aide informelle dans quatre activités de la vie quotidienne telles que la toilette, la préparation des repas, le ménage, l’aide aux courses, les démarches administratives ou encore la gestion budgétaire, contre deux pour l’aide professionnelle (Enquête Handicap-santé 2008-Volet Ménages (INSEE)). L’aide informelle est donc une ressource essentielle dans le système de protection sociale français soutenant les personnes âgées en perte d’autonomie.
Demain, les évolutions démographiques et socioéconomiques bouleverseront néanmoins l’équilibre actuel de l’aide informelle. D’un côté, le vieillissement de la population augmente le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie. De l’autre, les mutations démographiques et socioéconomiques touchant les familles (fragilisation des couples, réduction de la descendance finale, participation croissante des femmes au marché du travail, éloignement géographique croissant des enfants de leurs parents) questionnent la pérennité du soutien familial. Sources de préoccupation majeure, ces évolutions remettent en question à moyen et long terme l’équilibre du système de protection sociale français.
La famille, lieu de production de soins de longue durée
Les aidants familiaux représentent plus de 80% des aidants informels (Rapport du HCFEA, « La prise en charge des situations de perte d’autonomie et son incidence sur la qualité de vie des personnes âgées et de leurs proches aidants », Chapitre 3, adopté le 1er décembre 2017 ). Deux éléments caractérisent leurs comportements de prise en charge. D’une part, l’implication des enfants dans la prise en charge de leur parent varie selon que le parent peut ou non compter sur un conjoint : les enfants compenseraient en partie l’absence d’un conjoint aidant. D’autre part, la norme sociale de prise en charge d’un parent dépendant pèse sur les fratries dans leur ensemble. Avec la diminution de la taille moyenne des fratries constatée dans la majorité des pays européens, les enfants devraient être à l’avenir plus souvent mis à contribution.
Les coûts de l’aide informelle
Sauf exception, l’aide informelle n’implique pas de transferts financiers ou de contreparties monétaires. Or la valorisation de cette aide est estimée entre 7 et 11 milliards d’euros par le Conseil d’analyse économique. Par ailleurs, l’aide informelle n’est pas sans coût pour les proches aidants : réduction de l’offre de travail, renoncement aux opportunités professionnelles, réduction du taux de salaire, dégradation de leur état de santé, etc. Le renoncement, partiel ou total, au marché du travail est couteux à l’échelle individuelle pour l’aidant, comme à l’échelle sociale : diminution des cotisations sociales, moindre flexibilité des aidants sur le marché du travail, moindre accumulation de compétences, renforcement des inégalités sur le marché du travail entre hommes et femmes, anticipation de la décision de départ à la retraite.
L’aide informelle est également couteuse à l’échelle de l’entreprise. Différents travaux (voir notamment les travaux du groupe Employers for Carers) suggèrent que les coûts induits par l’accompagnement des aidants (flexibilité du temps de travail, information, soutien financier, etc.) seraient largement inférieurs aux coûts induits par la non-prise en compte des besoins spécifiques des aidants au sein de l’entreprise (détérioration de l’état de santé, diminution de la productivité, etc.).
Articuler les responsabilités individuelles, familiales et collectives
Les évolutions démographiques et socioéconomiques à venir risquent de remettre en cause à moyen et long termes l’articulation entre les responsabilités individuelles, familiales et collectives dans la prise en charge de la perte d’autonomie. Une aide publique plus importante à domicile pourrait permettre de réduire ou retarder l’entrée en établissement d’hébergement tout en soulageant les aidants d’une partie de leur prise en charge. Loin d’un désengagement de la famille, la moindre mobilisation familiale se concentrerait sur les soins personnels et toucherait essentiellement des aidants fortement impliqués.
En revanche, avoir des ressources croissantes en aide informelle tend à réduire la propension des individus à se couvrir face au risque dépendance.
Source : Roméo Fontaine, Approche économique de l’aide informelle, Analyse des comportements de prise en charge et de la place du soutien familial dans notre système de protection sociale, Dialogue, vol. 216, no. 2, 2017, pp. 67-80.
Contact : Roméo Fontaine
En ligne : septembre 2018