Conjugalité et parcours conjugaux

Ce projet vise à étudier la vie en couple et ses évolutions récentes à travers le riche patrimoine d’enquêtes menées par l’Ined depuis 1959, ainsi que d’autres sources quantitatives et qualitatives. Du côté de la formation des couples, l’âge de première entrée en cohabitation a reculé depuis les années 1960, mais semble aujourd’hui s’abaisser à nouveau pour les générations les plus récentes.
Avec le développement des séparations, les remises en couple sont aussi de plus en plus fréquentes à tous les âges, et les trajectoires conjugales se sont complexifiées. Les formes d’union se sont elles aussi diversifiées, du développement des cohabitations hors mariage au Pacs puis au mariage des couples de même sexe. Des situations peu visibles jusqu’ici, comme les relations non cohabitantes, font désormais l’objet d’une plus grande attention. Enfin, le projet s’intéresse aussi aux pratiques au sein du couple, depuis les différentes manières de « faire couple » jusqu’aux violences conjugales.

La conjugalité a connu des transformations majeures au cours des dernières décennies. Parmi les transformations de fond, observées depuis les années 1960, figurent le déclin du mariage, l’augmentation des séparations et le report de la mise en couple. Bien documentées par les démographes et les sociologues, ces évolutions participent à une diversification des parcours conjugaux qui se sont désynchronisés et complexifiés. Chez les jeunes, cela s’est traduit par l’apparition d’une période dite de « jeunesse sexuelle » où femmes et hommes vivent plusieurs relations intimes avant de s’installer en couple. Chez les personnes plus âgées, l’expérience de la séparation (et de la monoparentalité) est devenue courante, tout comme celle de la remise en couple. Ces évolutions en termes de trajectoires s’accompagnent d’une diversification des formes d’union dont le mariage, le Pacs, l’union libre, et d’une plus grande visibilité des relations non cohabitantes (dites parfois « LAT » pour Living Apart Together) ou cohabitantes à temps partiel (multi- résidence). Ces transformations se sont produites dans le contexte de changements économiques et sociaux profonds, comme l’allongement des études, la transformation du marché de travail et l’indépendance économique accrue des femmes. Elles sont aussi tributaires d’une transformation des normes de sexualité, de conjugalité et de genre – dont notamment l’affirmation d’un idéal d’égalité entre les sexes.
Loin de suivre une tendance linéaire, certaines de ces évolutions peuvent s’interrompre, voire s’inverser. Les enquêtes sur la conjugalité de l’Ined sont de longue date l’une des principales sources pour étudier ces évolutions en France. De l’enquête sur Le choix du conjoint de 1959 à celle sur La formation des couples en 1983-1984, puis récemment l’Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic) réalisée en 2013-2014 au sein de l’unité, ces enquêtes sont révélatrices des évolutions historiques sur près d’un siècle – de l’homogamie, de l’écart d’âge entre partenaires ou de l’augmentation du célibat par exemple – mais aussi de l’apparition de nouvelles pratiques, comme les nouveaux modes de rencontres sur Internet. Ce premier axe s’inscrit dans la continuité de ces recherches et fédère les projets en cours sur la conjugalité et les trajectoires affectives. Il poursuit l’exploitation de l’enquête Épic, qui a déjà donné lieu à un numéro spécial de Population (Rault et Régnier-Loilier, 2019), mais vise aussi à mobiliser de nouvelles sources de données (administratives notamment) et à préparer de nouvelles enquêtes, comme la nouvelle édition de l’enquête Famille que l’Insee prévoit de mener dans les années à venir, l’Enquête sur la vie affective des jeunes adultes, ou encore le versant français du dispositif international Generations and Gender Programme (GGP).

Sous-axe 1 – Formation des couples

Le premier sous-axe porte sur les circonstances et les étapes de la formation du couple. Avec le développement des séparations et l’augmentation du nombre de relations successives, il est devenu plus commun de former de nouvelles relations à tous les âges. Cependant, les circonstances de la rencontre, le sens que les individus donnent à leur relation ou encore la vitesse à laquelle elles évoluent (ou non) vers une cohabitation varient selon l’histoire conjugale des partenaires (Giraud, 2017 ; Régnier-Loilier, 2019). Les conditions d’entrée dans la conjugalité se sont aussi profondément transformées au fil des générations. En lien avec l’allongement des études et l’augmentation de la précarité sur le marché du travail, la période entre la première relation sexuelle et le premier couple cohabitant s’est allongée, favorisant l’expérimentation de la vie en couple à travers des étapes devenues réversibles. Les travaux de ce sous-axe visent à étudier ces grandes évolutions, mais également d’autres thématiques moins étudiées jusqu’à présent. La formation des couples de même sexe, qui présentent des caractéristiques sociodémographiques distinctes des couples de sexes différents (mises en couples plus tardives et configurations non-cohabitantes plus nombreuses), retiendra notamment l’attention.
Les cadres de rencontre ont aussi évolué, avec l’essor des rencontres liées aux études et sur Internet (Bozon et Rault, 2012 ; Bergström, 2016). Il s’agit d’étudier à la fois leurs déterminants (âge, sexe, milieu social, trajectoire conjugale, orientation sexuelle) et la manière dont ils interagissent avec les préférences des individus et de leurs familles pour produire l’homogamie sociale (Bergström, 2016 ; Bouchet-Valat et Grobon, 2019). L’homogamie dans une acception plus large sera également étudiée, par exemple à partir des trajectoires amoureuses de chacun, de l’entrée dans la sexualité, ou encore des valeurs.Les travaux de cet axe analysent ces évolutions à partir de l’enquête Épic et des enquêtes précédentes de 1959 et 1983-84, mais aussi de données administratives et historiques françaises (l’Échantillon démographique permanent, enquête TRA ) et de jeux de données internationaux (IPUMS, Luxembourg Income Study). Ils comportent également un versant méthodologique, en évaluant dans quelle mesure les réponses des deux conjoints concernant leur lieu de rencontre s’accordent, grâce au volet « conjoint » de l’enquête Épic.

Sous-axe 2 – Situations de couple

Le projet accorde une attention particulière à la diversification des situations de couple et des formes d’union au cours des dernières décennies. Du point de vue légal, le déclin du mariage se poursuit tandis que le Pacs s’impose comme une forme légale d’union alternative (Rault, 2019) ; le mariage est désormais ouvert aux couples de même sexe. Du point de vue des pratiques, les relations non cohabitantes (Living Apart Together) ou de multi-résidences retiennent de plus en plus l’attention, bien que leur fréquence soit restée stable au cours du temps (Beaujouan et al., 2009 ; Toulemon et Pennec, 2010). Ces formes d’union se retrouvent à différentes étapes des trajectoires individuelles (jeunes n’ayant jamais vécu en couple, adultes sans enfant, parents séparés, personnes âgées séparées ou veuves) et prennent des sens différents, en particulier en fonction des projets de fécondité.
Les travaux au sein de ce sous-axe visent à étudier ces pratiques et les transitions de l’une à l’autre à l’aide des données longitudinales des enquêtes SRCV et de l’EDP, ainsi que d’enquêtes transversales ou rétrospectives portant sur la France métropolitaine (Erfi, Épic, Famille et logements) et les départements et régions d’outre-mer (Migration, famille, vieillissement). Des analyses qualitatives à partir du corpus d’entretiens permettront de mieux cerner les raisons et les aspirations qui accompagnent les relations non cohabitantes dans différents contextes, de manière à discuter à la fois la thèse de « l’individualisation de la famille » et les freins de diverses natures (emploi, accès au logement, famille, rapport de genre au sein du couple) à l’installation en couple cohabitant.Par ailleurs, le célibat est devenu une étape de plus en plus fréquente dans les trajectoires conjugales (Bergström, Courtel et Vivier, 2019) mais reste largement délaissé en sociologie et démographie. Si on sait qu’il touche plus fortement les membres des classes populaires en France, en particulier les hommes (Coquard, 2017), ce n’est pas le cas dans tous les pays européens : il s’agit d’identifier les facteurs qui expliquent ces différences. Les deux versants objectif et subjectif de ces questions sont étudiés en combinant approches quantitatives (Épic, EDP, SRCV, Famille et logements, GGP) et qualitatives (entretiens).

Sous-axe 3 – Pratiques conjugales et rapports de pouvoir

Le projet s’intéresse également aux manières de « faire couple ». Plutôt que la question des formes d’union, il s’agit d’interroger ici les pratiques conjugales. Différentes conceptions du couple coexistent désormais et on observe une variété de « styles conjugaux » qui diffèrent selon les milieux sociaux et les parcours antérieurs (Widmer, Kellerhals et Levy, 2003). Les recherches développées dans cet axe s’intéressent à ces différents fonctionnements conjugaux, en particulier selon le rang d’union. Alors que de nombreux travaux sont consacrés aux effets économiques de la séparation (Uunk, 2004 ; Bonnet et al., 2016), il s’agit notamment de saisir la manière dont l’expérience préalable du couple joue sur les pratiques et les aspirations (Giraud, 2017 ; Régnier- Loilier, 2019). Dans cette étude des manières de faire couple, une attention particulière est accordée à la sexualité. Cette dernière occupe désormais une place centrale dans la conception de la conjugalité : les rapports sexuels sont envisagés comme une des principales manières d’entretenir le lien conjugal et de manifester réciproquement l’attachement à l’autre (Bozon, 1991). Cependant, la sexualité est aussi un lieu où s’expriment des rapports de genre fortement inégalitaires (Santelli, 2018), et on constate une moindre déclaration de désir et de plaisir des femmes lors des enquêtes (Leridon, 2008). À ce titre, la sexualité est un bon observatoire de la conjugalité à la fois en tant qu’idéal et pratique, et les contradictions entre les deux.
Les tâches domestiques, et plus généralement la division du travail au sein du couple, constituent une autre entrée à l’étude des pratiques conjugales. Les femmes effectuent toujours la majeure partie du travail domestique (Brousse, 2015), et c’est particulièrement vrai après l’arrivée d’un enfant (Régnier-Loilier et Hiron, 2010). Ces inégalités ne dépendent pas uniquement des socialisations de genre mais aussi des politiques familiales, comme les modalités du congé parental. Les recherches engagées à ce sujet feront la part belle aux comparaisons internationales. On étudiera ainsi la manière dont les individus se répartissent les tâches au sein des ménages dans différents pays, notamment en France et en Allemagne.
Enfin, l’étude des fonctionnements conjugaux intègre de manière récente la question des violences conjugales (Brown et al., 2019). Si de nombreux travaux en démographie et sociologie de la famille ont montré que les relations affectives et conjugales ne sont pas exemptes des rapports de pouvoir et de domination, rares sont ceux qui intègrent la problématique des violences conjugales de manière empirique, dans l’analyse des parcours affectifs et conjugaux. À partir des données de l’enquête Virage 2015 et de l’enquête Virage-Victimes, et de la Délégation aux victimes du ministère de l’Intérieur, plusieurs projets à court et moyen termes visent à intégrer la question de la violence dans les analyses démographiques classiques. Les questions de la sortie des violences, de la séparation et de la temporalité des violences constituent des thématiques qui devraient être mieux intégrées dans les analyses des parcours conjugaux.

Sous-axe 4 – Séparations

Une des évolutions majeures de la vie intime au cours des dernières décennies est l’augmentation des séparations. Ce constat recouvre plusieurs tendances. Au fil des années, les ruptures sont tout d’abord devenues plus nombreuses, elles interviennent aussi plus tôt dans la vie de couple et, enfin, elles surviennent à des âges plus jeunes (Costemalle, 2015). Plusieurs recherches en cours s’intéressent aux modalités de ces séparations. A partir de grandes enquêtes (SRCV, GGP) et des données administratives (EDP en France, registres de population à l’étranger), les analyses portent notamment sur les ruptures précoces. Il s’agit, d’une part, de séparations qui se produisent au début de la vie adulte et dont il importe de saisir les conséquences sur les conditions de vie et les parcours ultérieurs. D’autre part, un intérêt particulier est accordé aux ruptures d’unions après l’arrivée d’un enfant. À partir de l’enquête Etude longitudinale française depuis l’enfance, l’enjeu est de montrer les ressorts des ruptures mais aussi les conséquences sociales, résidentielles et juridiques. En démographie comme en sociologie, la dimension économique des divorces et des séparations a principalement été abordée par le prisme des conséquences, dont notamment l’appauvrissement relatif des partenaires suite à une rupture (Uunk, 2004 ; Ongaro et al., 2009). Plus rares sont les études qui interrogent les possibles ressorts socio- économiques des séparations. Pourtant, l’instabilité professionnelle, dont notamment le chômage, est génératrice d’incertitudes et de difficultés qui ne sont pas sans effet sur la vie conjugale et la capacité à « faire couple ». Une autre problématique est alors le lien entre précarité professionnelle et instabilité conjugale (Marteau, 2019).
Contrairement à une idée courante, une rupture n’est pas un événement ponctuel. Elle est le résultat d’un processus multidimensionnel qui peut prendre différentes formes et dont les modalités ne peuvent se comprendre que si elles sont resituées dans un contexte plus général. Les contraintes des individus, notamment économiques, et la normativité qui valorise la pérennité du couple parental sur le couple conjugal conduisent à l’allongement de la période de séparation. Les recherches en cours ont enfin pour objectif d’éclairer la genèse et l’ampleur de cet « allongement » de la séparation (Rault et Régnier-Loilier, 2019).

L’étude démographique et sociologique de la conjugalité s’est largement construite grâce aux grandes enquêtes. Les différents projets réunis dans cet axe s’inscrivent dans la continuité de cette tradition, par la construction et la mobilisation d’enquêtes par questionnaire. Certaines sont spécifiquement consacrées à la formation des couples (Choix du conjoint de 1959 ; Formation des couples de 1983-84 ; Épic de 2013-2014), et leur combinaison permet d’étudier la mise en couple en France sur près d’un siècle. D’autres permettent d’étudier la conjugalité grâce à des questions ou des modules spécifiques (CSF, Erfi, Virage, Enquête Famille, SRCV, Tronc commun des ménages…). Cette approche quantitative est complétée par des études qualitatives, notamment par entretiens. Enfin, des sources empiriques novatrices sont mobilisées : données administratives dont en premier lieu l’Échantillon démographique permanent (EDP), données fiscales et enquêtes annuelles de recensement (dont l’une des nouveauté 2018 est de permettre l’étude des couples de même sexe).
Par ailleurs, plusieurs membres de l’axe sont impliqués dans la préparation de nouvelles enquêtes. Premièrement, l’Enquête sur la vie affective des jeunes adultes (portée par l’unité Genre, sexualité et inégalités). Ensuite, le volet français du dispositif international d’enquêtes Generations and Gender Programme, dont l’Ined est partenaire de longue date et dont la vague 2020 doit prendre la succession d’Erfi (2005, 2008, 2011). Enfin, la nouvelle édition de l’enquête Famille prévue par l’Insee à l’horizon 2024. Des membres de l’axe participent par ailleurs aux travaux d’harmonisation et de mise à disposition des données des enquêtes Emploi à l’échelle internationale menés par le Centre d’études démographiques de Barcelone et IPUMS dans le cadre du projet européen InGRID.