Population 2023 n°1
2023
Editorial
Damien Bricard, Géraldine Duthé et Delphine Remillon
Trajectoires et Origines 2019-2020 (TeO2) : présentation d’une enquête sur la diversité des populations en France
Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon et le groupe de conception de l’enquête TeO2
Les relations LAT ou living apart together : 40 ans de recherches sociodémographiques
Christophe Giraud
Des pères absents ? Saisir la diversité du non-recours au congé de paternité à partir de méthodes mixtes
Alix Sponton
Les enfants n’ayant jamais été scolarisés : comment l’hétérogénéité régionale conditionne l’accès à l’enseignement primaire en Ouganda
Christian Kakuba et Valérie Golaz
Trajectoires et Origines 2019-2020 (TeO2) : présentation d’une enquête sur la diversité des populations en France
Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon et le groupe de conception de l’enquête TeO2
Cet article présente la deuxième édition d’une enquête de référence sur la diversité des populations en France : l’enquête Trajectoires et Origines (TeO2), coproduite par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Cette réédition, qui se place dans la continuité de TeO1, répond à des attentes renouvelées pour des données de grande ampleur permettant de mesurer l’intégration des immigré·es et de leurs descendant·es, ainsi que les discriminations qu’ils et elles ont subies. Issue d’une procédure d’échantillonnage complexe, la collecte a permis d’obtenir des informations sur 27 181 individus, représentatifs de la population résidant en France métropolitaine âgée de 18 à 59 ans, au sein desquels sont sur-échantillonné·es les immigré·es, les personnes originaires des Départements et régions d’Outre-Mer (Drom), et les enfants de ces deux groupes. Le questionnaire multithématique, effectué essentiellement en face-à-face, renseigne sur un grand nombre de sphères de la vie sociale des enquêté·es. Pour la première fois, il permet d’identifier les petits-enfants d’immigré·es.
« On fait juste attention. » La mesure du retrait comme méthode contraceptive dans les enquêtes en France depuis les années 1970
Cécile Thomé
À partir de l’étude de la pratique contraceptive du retrait, cet article analyse les difficultés méthodologiques que rencontrent les chercheurs et chercheuses se confrontant à des objets dont la mesure peut être difficile, qu’ils soient invisibilisés ou stigmatisés. L’article propose d’abord de revenir sur les études ayant cherché à déterminer la prévalence du retrait en France jusqu’aux années 1960, puis interroge les ressorts de la construction progressive de la stigmatisation de cette pratique par l’Église, puis enfin par le biais de la médecine et du fait de son statut de pratique sexuelle. En s’appuyant sur la comparaison de neuf enquêtes
quantitatives menées en France depuis les années 1970 ainsi que sur une bibliographie internationale, il propose des éléments de réflexion méthodologique pour cerner au mieux cette méthode contraceptive qui souvent n’est pas considérée comme telle par les enquêté·es, ou dont l’utilisation est cachée. Pour ce faire, il revient sur la manière la plus efficace de poser la question de cette pratique (formulation, vocabulaire employé, question de rattrapage), mais il éclaire également l’importance d’une réflexion sur la temporalité pour donner au mieux sa place au retrait dans une « mosaïque de méthodes » plus efficaces qui peuvent le dissimuler au profit d’une unique « méthode principale ».
Les relations LAT ou living apart together : 40 ans de recherches sociodémographiques
Christophe Giraud
Cet article propose de retracer l’histoire de la mise en lumière des unions non cohabitantes, aujourd’hui communément appelées relations Living apart together (LAT) dans la littérature scientifique internationale. Cette notion est pour la première fois formulée en 1980 par le démographe néerlandais Cees J. Straver, puis redéfinie par Jan Trost et John Haskey au tournant des années 2000. Elle a été progressivement prise en compte et opérationnalisée dans les enquêtes statistiques nationales et internationales réalisées dans les années 1990 et 2000. Ces relations ont donné lieu à différentes analyses : comparaison des relations non cohabitantes avec les autres formes de vie privée (mariage, union libre), comparaison des différentes formes de relations non cohabitantes, et suivi dans la durée des relations non cohabitantes. Cette histoire intellectuelle est traversée par une question
récurrente : ces relations sont-elles le fruit de contraintes structurelles (études prolongées, difficulté à trouver un emploi stable) ou le reflet de nouvelles valeurs et attentes en matière de vie privée ?
Des pères absents ? Saisir la diversité du non-recours au congé de paternité à partir de méthodes mixtes
Alix Sponton
Dès son instauration en 2002 et jusqu’à sa réforme en 2021, le congé de paternité de onze jours a fait l’objet d’un succès immédiat. Court, bien indemnisé et répondant aux normes contemporaines de « bonne » paternité, toutes les conditions semblaient réunies pour favoriser son utilisation. Dans ce contexte, ce sont moins les pères qui utilisent ces deux semaines que ceux qui renoncent à leur droit qui interrogent. Qui sont les pères qui n’utilisent pas le congé de paternité en France ? Comment expliquer ce non-recours ? Peut-on y lire la revendication d’une paternité « traditionnelle », particulièrement attachée au modèle de « l’homme gagne-pain » ? À partir de méthodes mixtes, cet article identifie les caractéristiques des pères qui n’ont pas pris leur congé et retrace les mécanismes sous-jacents à ce phénomène. Si la priorisation de la sphère professionnelle est un frein essentiel à l’utilisation du dispositif, cette focale d’analyse ne permet pas de rendre compte d’une large partie des cas de nonrecours, en particulier chez les pères non insérés dans un emploi salarié stable. L’étude revient sur la pluralité des formes prises par le non-recours, qui peut aussi tenir à des obstacles informationnels et administratifs.
Les enfants n’ayant jamais été scolarisés : comment l’hétérogénéité régionale conditionne l’accès à l’enseignement primaire en Ouganda
Christian Kakuba et Valérie Golaz
Bien que l’Ouganda fasse partie des premiers pays subsahariens à avoir instauré un programme d’enseignement primaire universel en 1997, environ 6 % des enfantsâgés de 9 à 11 ans n’avaient jamais été scolarisés en 2014. L’analyse d’un échantillon de 10 % de la population recensée en 2014 met en évidence des inégalités régionales frappantes. Au moyen de régressions logistiques, cet article compare la sous-région du Karamoja avec le reste du pays et avec le pays dans son ensemble. Les analyses
multiniveaux réalisées montrent que le niveau d’instruction du chef de ménage et l’indice de richesse du ménage influencent la scolarisation des enfants, toutes régions confondues. Par ailleurs, alors que le sexe de l’enfant n’a pas d’effet significatif au niveau national, la probabilité de n’avoir jamais été scolarisé se révèle significativement plus grande pour les filles du Karamoja, et pour les garçons dans le reste de l’Ouganda. Les attentes et les contraintes liées au genre diffèrent, et les politiques publiques doivent en tenir compte. Ces résultats remettent en question la validité des modèles appliqués uniquement au niveau national dans un contexte de forte hétérogénéité spatiale.