Population 2000 n° 6
2000
- Hommage à Georges-Photios Tapinos
- Bibliographie de G. Tapinos
- La flexibilité du marché matrimonial
- L’évolution de la nuptialité des adolescentes au Cameroun et ses déterminants
- Les familles esclaves aux Antilles françaises, 1635-1848
- La mortalité maternelle en milieu rural au Sénégal
Note de recherche
- L’évolution de la fécondité des générations nées de 1917 à 1949 : analyse par rang de naissance et niveau de diplôme. F. Daguet
Bibliographie
Analyse critique
- Nuzialità e fecondità in trasformazione : percorsi e fattori del cambiamento. De Sandre P., Pinnelli A., Santini A.
- Naissance de la mortalité. L’origine politique de la statistique et de la démographie. Le Bras H.
Comptes rendus
- Des lettres et des chiffres : des tests d’intelligence à l’évaluation « du savoir lire » un siècle de polémiques. Blum A., Guérin-Pace F.
- La population de la Moselle au xixe siècle. Brasme P.
- Population Forecasting 1895-1945. The Transition to Modernity. De Gans H. A.
- Population et environnement. Domenach H., Picouet M.
- Principes de génétique humaine. Feingold J., Fellous M., Solignac M.
- Moralia conongolia ou de l’impossible sacralité du mariage à l’époque de la raison 1750-1791. Franconi G.
- The politics of duplicity. Controlling reproduction in Ceaucescu’s Romania. Kligman G.
- The international survey of family law 1996. Rubellin-Devichi J. (dir.)
Georges-Photios TAPINOS (1940-2000)
Héran François, Directeur de l’Ined
La nouvelle a frappé de stupeur tous ses amis économistes et démographes : Georges Tapinos est décédé subitement dans la nuit du 19 au 20 novembre 2000. Rien ne laissait présager cette fin prématurée, tant il rayonnait d’intelligence et de vivacité jusqu’au dernier jour.
Georges Tapinos était né à Athènes le 16 mars 1940. Son père était originaire de Konya, en Anatolie centrale, sa mère de Alep, en Syrie. Mariés à Constantinople, ils avaient séjourné à Athènes avant de gagner la France au lendemain de la seconde guerre mondiale. G. Tapinos aimait rappeler cette double origine, tout en rabrouant amicalement ceux qui tentaient de l’y ramener : le fait d’être très attaché à sa maison natale, qu’il continuait d’entretenir peu de temps avant sa mort, ne l’empêchait pas de se sentir irrémédiablement Français, tout en élargissant sans limite sa curiosité et ses pérégrinations à l’ensemble de la planète.
Le destin de Georges Tapinos a été longtemps lié à l’Ined, où il était entré comme chargé de mission en février 1964, avant de rejoindre l’Université en décembre 1971. Après avoir soutenu sa thèse sur l’économie des migrations internationales (mars 1973) et passé l’agrégation de sciences économiques (décembre 1973), il avait été élu professeur des Universités à l’Institut d’études politiques de Paris, sans cesser d’occuper à l’Ined des fonctions de conseiller de la direction ou de chercheur associé. C’est ainsi qu’il avait assuré jusqu’en 1999 la direction d’une unité de recherche consacrée à ses deux passions, la démographie économique et l’histoire de la pensée économique.
Georges Tapinos multipliait les missions d’enseignement et d’expertise à l’étranger, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique, en Extrême-Orient. De 1981 à 1989, il avait occupé les fonctions de secrétaire général et trésorier de l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population (UIESP), où son dynamisme avait fait merveille. C’est à lui que l’on doit le lancement de la prestigieuse collection des « International studies in demography » chez Oxford University Press. Massimo Livi-Bacci, dans les pages qui suivent, revient sur l’intense activité de cette période.
Entretenant un intérêt constant pour le développement des migrations internationales, Tapinos avait aussi la fibre historienne : on lui doit de nombreuses études sur l’histoire de l’économie et de la démographie aux XVIIIe et XIXe siècles, dont il collectionnait les ouvrages au cours de ses missions. Il ne dissociait pas ces deux thèmes de recherche. Parmi les questions qui avaient retenu son attention figurait celle de savoir pourquoi les économistes libéraux en étaient venus en France à traiter de façon aussi dissymétrique la liberté de circulation des capitaux et la liberté de circulation des hommes. En témoigne le dernier article qu’il a publié dans Population, en janvier-février 1999. Il y retrace le parcours intellectuel de Paul Leroy-Beaulieu, l’économiste français le plus en vue sous la IIIe République, et dénonce - en songeant évidemment à des dérives françaises plus récentes - la tendance à confondre « l’analyse scientifique des interactions démo-économiques » avec « la préoccupation, légitime, des évolutions démographiques ». Plus généralement, la vision libérale du système économique, qu’il partageait pour l’essentiel, lui semblait incompatible avec les formes de volontarisme démographique qui prétendent régénérer la famille et la nation en portant des jugements moraux sur les comportements individuels.
Économiste et démographe de façon indémêlable, Georges Tapinos était aussi et avant tout un grand universitaire. Ronald Lee évoque ci-après sa réputation internationale comme enseignant et spécialiste de démographie économique. Son manuel de démographie a été traduit en plusieurs langues. On lui doit la création d’une formation doctorale en démographie économique, basée à Sciences Po, qui constitue à l’heure actuelle un pôle d’excellence pour la formation des jeunes démographes sur la place de Paris. Par son charisme d’enseignant, sa totale ouverture d’esprit, sa disponibilité, sa capacité à recruter les meilleurs assistants, il était très populaire auprès de ses étudiants et de ses collaborateurs, qui sont aujourd’hui bouleversés par sa disparition.
Un esprit libre
Livi Bacci Massimo, Université de Florence
Georges Tapinos nous a quittés sans prévenir. Esprit toujours en éveil, doté d’une grande intelligence, cultivé mais non conformiste, il faisait honneur à son métier de chercheur. Sa vivacité intellectuelle saisissait rapidement la complexité des phénomènes qu’il étudiait, et grande était sa souffrance quand le débat s’attardait sur les menus détails. Théories et modèles l’enthousiasmaient pour l’esthétique de la logique et l’élégance des algorithmes mais, conscient de leurs limites pour rendre compte de phénomènes complexes, il discernait immédiatement leurs contradictions, avançait les contre-preuves et appréciait les critiques fondées. Son humanisme de souche hellénique se trouvait souvent en porte-à-faux avec la réalité de la recherche moderne, organisée dans la bureaucratie, ultra-spécialisée et étranglée par les carcans disciplinaires. Économiste de formation, démographe par profession, humaniste par penchant naturel, Georges était un homme intellectuellement inquiet en quête d’explications sur les événements d’un monde complexe et en mutation. Il retrouvait peut-être sa paix intérieure dans l’étude des doctrines des économistes des XVIIe et XVIIIe ,siècles - Cantillon, Quesnay, Say. Bibliophile érudit, lors de ses innombrables voyages, il ne manquait jamais de visiter une librairie, voire un plus modeste bouquiniste, à la recherche de quelque plaisante surprise. À Athènes, ville où il avait des affinités affectives et un appartement, il put ainsi acquérir l’édition originale du Dictionnaire Larousse du XXe siècle ; bien des amis furent chargés, lors de leur passage à Athènes, de transporter un volume pesant plusieurs kilos à la faveur de leur retour vers Paris...
Je ne me souviens pas où j’ai rencontré Georges pour la première fois. Mais je me souviens bien quand nous avons « établi le contact » pour la première fois : ce fut à Florence, en 1973, à l’occasion d’une visite qu’il fit pour organiser un séminaire sur les migrations internationales, qui se tint en 1974 à Buenos Aires et dont le parrain était Jean Bourgeois-Pichat. Le contact initial devint bientôt sympathie réciproque, puis amitié sincère. En 1981, au terme de mon second mandat comme Secrétaire général de l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population, il fut approché, choisi comme candidat et élu à ce poste, avec Mercedes Concepción à la présidence. Il fut réélu en 1985, à la Conférence générale de Florence pour un autre mandat qui prit fin à la Conférence de La Nouvelle-Delhi de 1989. Durant cette seconde période, le président de l’Union était Bill Brass - mathématicien et statisticien, natif de la très septentrionale Aberdeen, aux idées aussi profondément enracinées qu’exprimées vigoureusement ; il formait avec le souple, brillant, imprévisible Georges un singulier contraste. Le duo trouva vite son efficacité et son harmonie en dépit du choc des cultures et des tempéraments.
Ce fut d’ailleurs une période de transition difficile pour une organisation scientifique qui avait beaucoup développé ses activités mais qui demeurait une petite structure : l’Union tenait néanmoins un rôle de premier plan sur une scène internationale où les problèmes démographiques étaient mis en avant dans le débat - tant politique que scientifique - sur le développement du monde. Jusqu’à la décennie 1960, les scientifiques opérant au niveau international se connaissaient tous entre eux et les activités d’une organisation comme l’UIESP pouvaient encore être conduites selon le modèle traditionnel (développé à partir du XIXe siècle) propres aux sociétés savantes. Mais au cours des années 1960 et 1970 les choses évoluent rapidement : les centres de recherche se multiplient ; plusieurs fondations et bailleurs de fonds - privés et publics - placent la question démographique en tête de leurs priorités ; les aspects politiques deviennent de plus en plus importants ; les organisations internationales, et d’abord les Nations unies, entrent dans la mêlée. L’Union éprouve alors des difficultés à maintenir son statut d’indépendance dans un débat où les acteurs se multiplient et les enjeux politiques prennent une importance croissante. S’il est vrai qu’il y a plus d’argent pour les activités scientifiques, il est également vrai que les donateurs imposent leurs propres priorités de recherche et attendent des résultats exploitables sur le plan politique. Il devient ardu de financer la recherche fondamentale en démographie historique, anthropologie démographique, théories et doctrines, ou méthodologie. En revanche, les études sur la planification de la famille, la démographie et le développement dans le Tiers-Monde, l’économie démographique reçoivent un soutien substantiel. Au sein de l’Union, Georges Tapinos multiplie les miracles pour maintenir l’équilibre scientifique et financier, déployant sans cesse les initiatives et gérant les fonds de manière adroite. Avec Bruno Remiche - lui aussi prématurément disparu - il forme un tandem efficace en dépit de leurs différences de caractère, de personnalité et de méthodes de travail.
Georges est dans la fleur de l’âge : c’est un intellectuel, plein d’énergie et de curiosités. Il se rend souvent à Liège, où se trouve le siège de l’Union, rencontre les donateurs en Europe et aux États-Unis, participe aux travaux des commissions scientifiques de l’Union, apportant toujours des idées originales et peu conformistes et stimulant le débat. Lors de ces colloques, sa vive intelligence et sa rapidité de réaction surprennent souvent les autres participants. Les moins avertis et les moins éveillés peinent à imaginer les stratégies et les concepts que Georges insuffle dans les discussions. Il lance des ballons d’essai - des hypothèses dont il est le premier à douter de la pertinence - pour changer soudainement d’avis et choisir la bonne solution. Il poursuit en parallèle ses tâches universitaires à l’Institut d’études politiques de Paris et ses activités de recherche à l’Ined. Il voyage partout - Europe et Amériques, Afrique et Asie. Sa vitesse de déplacement, ses continuels changements de plan de voyage deviennent légendaires : sa mobilité est « une hygiène de vie », dira un jour son collaborateur et ami Marc Lebrun. Il noue les premiers contacts avec les milieux académiques chinois qui viennent de s’ouvrir au monde et reçoit plusieurs délégations chinoises soit à Paris soit à Liège. Ses premières démarches aboutiront à l’organisation de la Conférence générale de Pékin de 1997. C’est à lui aussi que l’on doit le lancement de la prestigieuse série de monographies de l’Union publiée par les Presses universitaires d’Oxford (OUP). Il vise inlassablement, en dépit d’un dialogue difficile, à jeter un pont institutionnel avec les économistes.
Il est facile de mettre en relation son thème de recherche principal - les migrations internationales - avec son origine grecque et ses souvenirs d’enfance. Mais je crois que c’était surtout la complexité des phénomènes migratoires qui l’attirait : pour les expliquer, les modèles économiques les plus sophistiqués n’étaient pas suffisants ; la démographie, tout en ayant un rôle explicatif, n’était pas prédominante ; la politique, l’histoire, la sociologie devenaient les ingrédients indispensables d’une démarche cognitive. Cosmopolite, mais solidement ancrée dans les milieux culturels français et européens, l’activité internationale de Georges ne peut être réduite à la luxuriante phase de travail avec l’Union. Il fut consultant, coordinateur de projets de recherche, responsable d’enquêtes ou de missions d’évaluation de programmes d’enseignement ou de politiques démographiques aux quatre coins du monde. Ainsi, nous le trouvons aux États-Unis, en Chine ou au Mexique mais aussi conseiller pour le recensement d’Andorre... Il a collaboré, à maintes occasions, avec les grandes organisations internationales : FAO, Onu, OCDE, BIT. Il a enseigné à plusieurs reprises à l’Université de Californie à Berkeley, mais ses étudiants se retrouvent partout dans le monde.
Avec Georges, beaucoup ont perdu un ami cher. Nos disciplines ont perdu un esprit libre, de ceux qui sont le sel et le levain de la recherche.
Georges Tapinos et la démographie économique
Lee Ronald, Université de Californie (Berkeley)
Les démographes économistes du monde entier ont perdu a
ec Georges Tapinos un collègue estimé et un ami. J’avais fait la connaissance de Georges à l’Ined en 1970. C’était un jeune chercheur, et je séjournais à l’Ined comme « post-doctorant » cette année-là. Nous avions un point commun, assez rare : nous étions tous deux des démographes économistes, à une époque où il en existait très peu, et où ce champ de recherches était encore peu connu en France. Bien que l’essentiel du grand classique d’Alfred Sauvy, La théorie générale de la population, traite de démographie économique, cette oeuvre majeure était visiblement le fruit de l’imagination fertile de Sauvy, sans grands liens avec les travaux d’autres démographes économistes. C’est sans doute en partie pour cette raison que l’ouvrage reçut, de la part des économistes et des démographes, moins d’attention qu’il n’en méritait. Et c’est Georges Tapinos qui a fait entrer les travaux français de démographie économique sur la scène internationale, et qui a introduit les travaux internationaux sur ce thème en France.
La démographie économique étudie les causes et les conséquences des comportements démographiques - fécondité, mariages, divorces, migrations, santé et mortalité. Elle analyse aussi les conséquences économiques des structures et des évolutions démographiques - par exemple les effets d’une croissance démographique rapide ou de rapports de dépendance élevés sur le développement économique et l’environnement, ceux du vieillissement de la population sur les équilibres économiques, ou encore les conséquences économiques de l’immigration dans le pays d’accueil. De tels sujets sont évidemment d’un grand intérêt pour des raisons tant théoriques que pratiques, et elles sont importantes pour les décisions politiques.
L’une des contributions majeures de Georges Tapinos a été de lancer le premier programme d’enseignement de la démographie économique en France, et probablement en Europe : l’enseignement de troisième cycle (DEA) en démographie économique de l’Institut des sciences politiques de Paris. Ses fréquents voyages à travers le monde et ses multiples contacts avec les démographes économistes dans de nombreux pays l’ont conduit tout naturellement à élaborer un programme ayant de fortes liaisons internationales. Le cursus était ainsi conforme à ce que la communauté internationale des chercheurs dans le domaine reconnaît comme faisant partie du champ d’étude, et ceci de façon très extensive. Après avoir formé des générations d’étudiants, dont certains ont entrepris ensuite une carrière de chercheurs, il s’est attaché la collaboration d’excellents spécialistes, comme Didier Blanchet et Antoine Bommier. De plus, il invitait régulièrement les meilleurs démographes ou économistes à travers le monde à participer aux enseignements : ses invités vinrent de Chine, de Norvège, du Mexique, d’Italie, d’Allemagne, de Belgique, des États-Unis, de Grèce, du Royaume-Uni ou du Canada. Et puisque ces visiteurs étaient invités à parler de leurs propres thèmes de recherche, ils ajoutaient quelques piments très personnels à l’équilibre habituel des programmes. Mais le mouvement n’était pas à sens unique : Georges Tapinos a lui-même enseigné dans des universités étrangères, comme à Berkeley où il est venu deux fois donner des cours sur les migrations. Enfin, les enseignants étrangers étaient souvent invités à participer à l’évaluation et aux jurys des thèses de doctorat.
Une autre dimension internationale de ce programme était essentielle. Chaque étudiant de DEA doit passer trois mois dans un laboratoire de recherche, pour travailler sur son mémoire sous la supervision d’un chercheur du laboratoire. Les lieux de séjour étaient souvent choisis hors de France : j’ai moi-même accueilli trois étudiants à Berkeley. Georges Tapinos encourageait aussi ses étudiants en doctorat à passer quelque temps à l’étranger pendant la préparation de leur thèse.
À vrai dire, la plupart des démographes économistes, au moins aux États-Unis, viennent d’autres spécialités au sein de l’économie et ont bien peu de connaissances en démographie. Une bonne partie des travaux dans la discipline consiste à appliquer des théories économiques et des modèles économétriques aux variables démographiques, comme la fécondité et la nuptialité. C’est évidemment intéressant, mais le démographe regrettera souvent le manque de vision proprement démographique. Le programme de formation construit par Georges Tapinos était vraiment interdisciplinaire, les étudiants apprenant à la fois l’économie et la démographie. De tels programmes sont rares et donc particulièrement utiles, mais ils sont difficiles à mettre en oeuvre. De plus, les diplômés ne sont pas toujours bien accueillis dans un monde professionnel vivant encore sur des schémas trop classiques, où l’on attend des recrues qu’elles soient ou des économistes, ou des démographes, mais pas les deux à la fois ! Et pourtant, on voit que ceux qui parviennent vraiment à travailler à l’interface entre les deux disciplines peuvent apporter des contributions majeures aux connaissances et aux choix politiques. Les stages de DEA ont sans aucun doute beaucoup aidé les étudiants à intégrer les deux dimensions de leur formation.
Ce programme a été un succès. Même après que les étudiants avaient achevé leurs études et commencé leur carrière, Georges Tapinos continuait de les encourager et de les aider dans leurs recherches. Ces anciens étudiants, en France et ailleurs, font partie de l’héritage qu’il nous laisse, tout comme les liens construits entre les démographes économistes du monde entier qui sont appelés à durer.
La flexibilité du marché matrimonial
Ni Bhrolchain Máire
Contrairement à l’hypothèse classique de « pénurie de conjoints potentiels », les candidats au mariage paraissent s’adapter à la distribution par âge des conjoints potentiels plutôt que d’être gênés par elle, même dans des situations extrêmes. Dans les générations 1900-1969 en Angleterre-Galles, on observe (a) une grande variabilité dans le temps des proportions de personnes qui épousent un(e) partenaire ayant un écart d’âge précis avec eux et (b) que les variations de ces séries de proportions sont associées systématiquement aux variations de l’effectif des cohortes de partenaires correspondantes. Ces caractéristiques suggèrent que les préférences d’âge sont flexibles et non pas rigides, comme le suppose l’hypothèse de « pénurie de conjoints potentiels ». On n’observe d’ailleurs pas de telle pénurie en Angleterre-Galles durant la période couverte par l’étude malgré de fortes fluctuations du nombre des naissances, en particulier en temps de guerre. En fait, les résultats sont contraires aux attentes parce que la conception des préférences d’âge a été jusqu’ici mal formulée. Les données directes sur ces préférences suggèrent qu’elles sont « flexibles » dans un sens spécifique, de sorte que le marché matrimonial pourrait fonctionner de manière flexible. L’article élabore une nouvelle conception de la dynamique du marché matrimonial à partir de ces données empiriques en tenant compte des préférences d’âge, des candidatures au mariage et d’autres aspects liés. Pour terminer, l’article propose une nouvelle façon d’aborder la modélisation du marché matrimonial.
INED, Population n° 6, 2000 - page 899
L’évolution de la nuptialité des adolescentes au Cameroun et ses déterminants
Kuate-Defo Barthélémy
À partir de trois enquêtes successives représentatives au niveau national et au moyen d’une analyse des biographies, on teste l’hypothèse que l’entrée en vie conjugale avant 20 ans est de moins en moins fréquente en Afrique sub-saharienne et notamment au Cameroun. L’évaluation des données montre que les informations fournies par les femmes de 20-34 ans, et surtout de 20-24 ans, sont les plus fiables pour cerner les changements matrimoniaux à partir d’enquêtes rétrospectives répétées. La nuptialité précoce diminue dans la quasi-totalité des régions du pays, induisant au plan national une forte tendance au report des unions. Le déclin de la nuptialité précoce est le plus maqué parmi les femmes des jeunes générations, les plus scolarisées, les résidentes des grandes villes de Yaoundé/Douala, les musulmanes et les adeptes des religions traditionnelles. Le déclin de l’âge aux premières règles est concomitant d’un recul de l’âge à la première union, et les femmes pubères précocement entrent en union plus tôt que celles dont la puberté est tardive. Les principaux résultats de cette étude et leur portée sont discutés à la lumière des travaux de recherche réalisés ailleurs, notamment dans d’autres pays en développement.
INED, Population n° 6, 2000 - page 941
Les familles esclaves aux Antilles françaises, 1635-1848
Gautier Arlette
On a souvent considéré qu’il y avait peu de couples esclaves aux Antilles françaises parce qu’il y avait peu d’esclaves mariés ; mais le mariage est un mauvais indicateur de l’existence de familles, car les maîtres comme les esclaves - femmes et hommes - refusaient le mariage. Sur la base de listes d’esclaves contenues dans les recensements nominatifs et les minutes notariales, ainsi que des registres d’état civil au moment de l’abolition, nous concluons que les esclaves n’ont pu vivre majoritairement en couples que sur les grosses plantations ; ailleurs, un quart des esclaves auraient vécu dans de telles unions, un quart en auraient été empêchés et un quart auraient vécu dans des foyers monoparentaux, les autres étant isolés. Les deux tiers des enfants auraient connu leurs deux parents. Cependant, il y avait aussi une polygynie de fait et des « relations du dehors ». On peut donc dire que le multipartenariat stable est une tradition africaine qui a été adaptée aux conditions de l’esclavage.
INED, Population n° 4-5, 2000 - page 765
La mortalité maternelle en milieu rural au Sénégal
Pison Gilles, Kodio Belco, Guyavarch Emmanuelle, Etard Jean-François
Nous avons mesuré la fréquence et les causes de décès maternels dans trois sites ruraux du Sénégal : Bandafassi, Niakhar et Mlomp. Leurs populations font l’objet d’une observation démographique suivie depuis de nombreuses années, en utilisant la même méthode, ce qui rend les résultats comparables.
Les trois sites diffèrent selon la proportion de femmes accouchant en maternité - 99 % à Mlomp, 15 % à Niakhar, et 3 % à Bandafassi -, l’éloignement des hôpitaux pratiquant des césariennes et les facilités pour y évacuer les femmes ayant des difficultés à accoucher.
La mortalité maternelle varie de 1 à 2 selon le site : elle est la plus faible à Mlomp (436 décès pour cent mille naissances vivantes), la plus élevée à Bandafassi (826) et intermédiaire à Niakhar (516). Ces variations sont fortement liées aux facilités d’évacuation en urgence des femmes ayant des difficultés à accoucher. En revanche, les conditions d’accouchement, notamment la proportion de ceux qui se déroulent en maternité, ne semblent pas jouer un rôle aussi important qu’on l’imagine.
Enfin, l’OMS a estimé la mortalité maternelle pour l’ensemble du Sénégal à 1 200 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes en 1990. Notre étude montre qu’à la même période elle était nettement en dessous dans les trois sites, qui se trouvent pourtant en zone rurale. L’OMS a donc sans doute nettement surestimé la mortalité maternelle pour l’ensemble de ce pays.
INED, Population n° 6, 2000 - page 1003
Prix : 20,00 € TTC