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Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ?

Population et Sociétés

610, Avril 2023

https://doi.org/10.3917/popsoc.610.0001

Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ?
Carole Bonnet

Institut national d’études démographiques (INED), F-93300 Aubervilliers, France
Anne Solaz

Institut national d’études démographiques (INED), F-93300 Aubervilliers, France

La séparation est à l’origine d’une baisse de niveau de vie marquée pour les enfants, et d’une dégradation générale de leurs conditions de vie, en particulier quand ils vivent avec leur mère seule. Le risque d’entrée en pauvreté s’en trouve accru. Les taux de pauvreté des enfants l’année de la séparation sont bien plus élevés (29 %) que ceux des enfants vivant avec leurs deux parents (13 %). Cet écart reste marqué les années suivantes. Plus les enfants connaissent la séparation de leurs parents à des âges jeunes, plus le risque de pauvreté est important. Certains enfants, en résidence alternée, ne sont pauvres qu’avec un de leurs parents (plus souvent la mère), tandis que d’autres sont pauvres chez leurs deux parents.

enfant, séparation, divorce, résidence alternée, garde partagée, niveau de vie, pauvreté, France

Table of contents

      1.

      Lors de la séparation conjugale, on observe des baisses de niveau de vie, plus marquées pour les femmes que pour les hommes. Carole Bonnet et Anne Solaz analysent les conséquences économiques des séparations pour les enfants. Résidant majoritairement avec leur mère après la séparation, ils vont souvent connaître une baisse de niveau de vie avec un fort risque d’entrée en pauvreté et des conditions de vie dégradées. Qu’en est-il pour les enfants en résidence alternée, un mode de résidence de plus en plus fréquent ? Combien sont pauvres dans l’un ou les deux nouveaux foyers ?1

      En France, en 2019, selon l’Insee, un enfant sur cinq (21 %) vivait sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian. Si l’entrée dans la pauvreté est parfois antérieure à la rupture conjugale, elle en est souvent la conséquence.

      Il existe peu de sources de données en France qui permettent d’observer les conditions de vie des enfants de manière longitudinale, par exemple selon le type de résidence mis en place suite à la séparation parentale. À partir de l’échantillon démographique permanent de l’Insee (EDP), nous avons construit une base de données composée d’enfants, afin de suivre leur parcours résidentiel et leur situation économique entre 2010 et 2018, jusqu’à 7 ans avant et après la rupture parentale, et dans chacun de leurs logements s’ils sont en résidence alternée (encadré 1).

      1.1. Un risque accru d’entrée en pauvreté pour les enfants lors des séparations

      Environ 4 % des enfants vivant avec leurs deux parents entrent en pauvreté chaque année, ils sont cinq fois plus nombreux (21,5 %) l’année de la séparation parentale. La grande majorité (près des trois quarts) des enfants déjà pauvres le restent l’année de la séparation. Cette permanence de la pauvreté est observable, qu’il y ait eu ou pas séparation parentale.

      Les taux de de pauvreté (incluant les nouveaux pauvres et ceux qui le restent) sont bien plus élevés pour les enfants dont les parents viennent de se séparer (29 %)2 que pour les enfants vivant avec leurs deux parents (13 %). Cinq ans après la rupture, ce taux est toujours supérieur (23 %). Le surplus de pauvreté élevé tient majoritairement à des entrées en pauvreté suite à la séparation et, dans une moindre mesure, au fait que les enfants dont les parents se séparent appartenaient plus souvent que les autres à des ménages déjà pauvres (on parle d’effet de structure).

      Le taux de pauvreté varie selon l’âge de l’enfant au moment de la séparation parentale (figure 1). Ainsi, plus les enfants connaissent la séparation de leurs parents à des âges jeunes, plus le risque de pauvreté est important. Plus de 35 % des enfants de deux ans dont les parents viennent de se séparer sont pauvres, contre 22 % des enfants de 13 ans3. Les enfants connaissant jeunes la rupture parentale présentent davantage de risques d’être déjà pauvres avant la séparation. Par ailleurs, le gradient économique du risque de séparation est plus marqué lorsque les séparations4 ont lieu tôt dans la vie de l’enfant.

      Le supplément de pauvreté des enfants au moment de la séparation parentale, de l’ordre de 17 points de pourcentage pour l’ensemble des enfants mineurs, existe quel que soit le statut marital des parents (figure 2). Ce supplément est un peu plus élevé pour les enfants de parents non mariés que ceux de parents mariés, mais les enfants de couples cohabitants sont déjà plus pauvres avant la séparation. Le taux de pauvreté est bien moindre pour les enfants dont les parents étaient pacsés, en moyenne plus aisés.

      1.2. Une baisse de niveau de vie après la séparation d’ampleur différente selon le mode de résidence

      Les enfants dont les parents se séparent connaissent une baisse conséquente de leur niveau de vie, de l’ordre de 15 % l’année de la séparation, et 10 % l’année suivante, par rapport à l’année précédant la séparation. Puis se met en place un rattrapage progressif caractérisé par une croissance du niveau de vie. Toutefois, cinq ans après la séparation, le niveau de vie moyen des enfants reste toujours inférieur de plus de 5 % à celui observé avant la séparation, montrant ainsi des effets durables. Cette diminution serait un peu plus importante si on avait comparé la situation après la séparation non pas à celle avant la séparation mais à celle des enfants dont les deux parents sont restés ensemble, et dont, en moyenne, le revenu disponible a continué à augmenter avec le temps.

      Ces baisses de niveau de vie diffèrent selon le mode de résidence de l’enfant après la rupture conjugale. Lorsque l’enfant réside fiscalement principalement avec la mère, la baisse est importante, de l’ordre de 24 % l’année de la séparation, tandis qu’elle est moitié moindre quand l’enfant réside fiscalement avec le père (figure 3). Le rattrapage de niveau de vie est progressif dans les années qui suivent la rupture. La remise en couple du parent gardien permet d’atténuer fortement la diminution de niveau de vie des enfants [2], que l’enfant vive avec sa mère et son beau-père, ou avec son père et sa belle-mère. Toutefois, la résidence fiscale avec un beau-parent reste rare juste après la séparation (5 % des enfants). Elle tend à augmenter ensuite et concerne plus d’un quart des enfants cinq ans après la rupture parentale.

      En résidence alternée (encadré 2), les enfants connaissent une baisse de niveau de vie (moyenne des deux niveaux de vie observés dans deux ménages) de l’ordre de 10 % en moyenne par rapport à leur niveau de vie antérieur à la rupture. Toutefois, comme les parents optant pour ce mode de résidence sont en moyenne plus aisés avant la séparation, leurs enfants ont un moindre risque d’entrée en pauvreté que les enfants résidant principalement chez la mère.

      1.3. Pauvre chez un parent mais pas chez l’autre ?

      Mesurer le niveau de vie et le taux de pauvreté des enfants multi-résidents pose des défis méthodologiques. En effet, s’il est facile de faire une moyenne des niveaux de vie au prorata du temps passé par les enfants (ici la moitié) dans chacun des ménages, il est plus difficile de dire qu’un enfant est « à moitié pauvre » quand il est pauvre dans l’un des ménages mais pas dans l’autre. Sachant que les parents sont séparés, il n’y a pas ou peu de mutualisation des ressources entre eux à l’exception d’éventuels transferts post-séparation entre ex-conjoints comme le versement d’une pension alimentaire (peu fréquent en cas de résidence alternée) dont nous tenons compte. Dès lors, un enfant pauvre dans un ménage peut souffrir des contraintes associées à la pauvreté la moitié du temps, même s’il est possible que l’autre parent la compense.

      Parmi les enfants en résidence alternée que l’on peut observer dans leurs deux logements l’année de la séparation, 6 % sont pauvres dans les deux ménages tandis que 24 % sont pauvres dans un seul des ménages, nettement plus souvent chez la mère (15 %) que chez le père (9 %); et 70 % des enfants ne sont pauvres dans aucun des deux ménages. Si l’on adopte une définition large de la pauvreté (être pauvre dans au moins l’un des deux ménages) en cas de résidence alternée, le taux de pauvreté général des enfants l’année de la séparation serait plus élevé d’un peu moins de 2 points de pourcentage, soit de 31 % au lieu de 29 %.

      Qu’ils soient pauvres ou pas, les enfants multirésidents peuvent faire l’expérience d‘écarts de niveaux de vie considérables entre le logement du premier et du second parent. Ainsi, si l’année de la séparation près d’un enfant sur 5 (16 %) connaît des niveaux de vie quasi similaires chez ses deux parents (moins de 10 % d’écart), 4 enfants sur 10 vivent, la moitié du temps, avec un parent qui a un niveau de vie supérieur de plus de 50 % à l’autre.

      Le fort développement de la résidence alternée a conduit à une adaptation progressive du système socio-fiscal afin de mieux prendre en compte les enfants multirésidents. Il est ainsi possible de les déclarer comme tels dans les déclarations de revenus (depuis 2003), de partager certaines prestations sociales comme les allocations familiales (depuis 2007) et les aides au logement (depuis 2019). On pourrait aussi repenser les conditions de ressources des prestations sociales en cas de multirésidence. D’un point de vue méthodologique, il serait également important d’adapter les indicateurs usuels de pauvreté à ces situations.

      1.4. Au-delà de la pauvreté monétaire, la pauvreté en conditions de vie

      En pratique, les enfants ont moins accès à certaines ressources après la séparation parentale qu’avant [6]. Ainsi, à partir des données de l’enquête sur les ressources et conditions de vie (encadré 1), on observe que la part d’enfants dont le ménage a les moyens financiers de partir en vacances en dehors de chez soi au moins une semaine par an diminue de 10 points de pourcentage entre l’année de la séparation et celle qui suit (figure 4). Recevoir des amis à domicile est plus rare dans les quatre années suivant la séparation, sans doute en lien avec la taille réduite du logement et la rupture de certains réseaux amicaux. Les possibilités pour le ménage de faire face à une dépense imprévue, d’offrir des cadeaux, de changer les meubles usagés, ou de disposer d’une voiture sont également moindres, et cela perdure dans les années qui suivent la séparation. Les conditions de vie des enfants sont donc dégradées à bien des égards après une rupture parentale. On note cependant une nette amélioration lorsqu’il y a remise en couple du parent chez lequel vit l’enfant.

      1.4.1. Encadré 1. Constitution d’une base de données d’enfants à partir de l’échantillon démographique permanent (EDP)

      Le suivi des enfants à partir de données administratives, encore peu développé, présente trois avantages. Tout d’abord, l’attrition (le non-suivi d’un individu d’une date à l’autre) est plus limitée que dans des données d’enquête, car les enfants sont suivis même en cas de déménagement, ce qui est primordial pour analyser les conséquences des séparations. Ensuite, cela permet de disposer d’échantillons de grande taille et de pouvoir observer des situations trop rares pour être appréhendées dans les enquêtes. Enfin, cela rend possible le suivi des enfants en résidence alternée dans chacun des nouveaux ménages.

      L’échantillon démographique permanent (EDP) est un panel d’individus pour lesquels l’Insee collecte des informations chaque année dans différentes sources statistiques comme les bulletins d’état civil depuis 1967, les recensements de population depuis 1968 et les données socio-­fiscales depuis 2011. Les individus suivis (4 % de la population), adultes comme enfants, sont ceux nés au cours de 16 jours particuliers dans l’année. La base 2019 de l’EDP contient des informations sur 3,7 millions d’individus. Parmi eux, 752 599 enfants EDP résidant en France métropolitaine (observés au moins une fois durant leur minorité depuis 2011) sont suivis et appariés aux données socio-fiscales,via les informations connues sur les parents [1]. Les données de l’EDP permettent de reconstituer la configuration familiale, le niveau de vie et les conditions de logement de l’enfant. La « résidence fiscale* » de l’enfant figure dans la déclaration de revenus : il peut être déclaré vivre principalement avec la mère, le père ou en résidence alternée.

      La pauvreté en conditions de vie des enfants

      L’enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV 2004-2019), partie française du panel européen EU-SILC, est également mobilisée pour décrire certains éléments de la pauvreté en conditions de vie de 1 077 enfants dont les parents se sont séparés durant la période.

      _____

      * Il est possible que cette résidence déclarée fiscalement diffère, dans certains cas, de celle effectivement pratiquée, ou de celle définie par le juge aux affaires familiales. Nous avons défini l’enfant en résidence alternée quand celui-ci est déclaré dans deux logements distincts ou qu’il est déclaré en résidence alternée dans l’un ou les deux foyers fiscaux observés (à l’exclusion des foyers fiscaux appartenant au même logement).

      1.4.1. Encadré 2. La résidence alternée se développe mais reste réservée aux parents aisés

      Si la résidence principale des enfants chez la mère avec visites régulières chez le père les week-ends demeure l’arrangement le plus fréquent après la séparation, le nombre de parents qui partagent équitablement le temps passé avec leurs enfants après la séparation, c’est-à-dire dont les enfants sont en résidence alternée, a considérablement augmenté dans de nombreux pays développés, y compris en France [3]. Selon les dernières données du ministère de la Justice, la résidence alternée concerne en 2012 plus d’un divorce sur cinq, et 11 % des séparations de couples non mariés qui donnent lieu à un jugement [4]. Même si les niveaux peuvent différer en raison de définitions et de champ différents* ou de la source de données, la hausse est avérée. Les données fiscales mettent en évidence le fait que la résidence alternée des enfants est bien plus répandue pour les parents aisés et, logiquement, que les parents précédemment pacsés y recourent également bien plus que les parents qui étaient mariés. La démocratisation – c’est-à-dire un recours de moins en moins réservé à un groupe restreint de parents socioéconomiquement favorisés, comme observé aux États-Unis [5] –, est encore toute relative.

      _____

      * Le ministère enregistre la décision du jugement pour les parents ayant recours à la justice. Ce sont les parents qui déclarent l’enfant en résidence alternée dans les déclarations fiscales de revenu.

      Appendix A Références

      1. [1] Durier S., 2018, L’échantillon démographique permanent a 50 ans : retours sur un dispositif statistique original, 13es Journées de méthodologie statistique de l’Insee (JMS), 12-14 juin. http://www.jms-insee.fr/2018/S26_1_ACTE_DURIER_JMS2018.pdf
      2. [2] Abbas H., Garbinti B., 2019, De la rupture conjugale à une éventuelle remise en couple : l’évolution des niveaux de vie des familles monoparentales entre 2010 et 2015. France portrait social. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238447?sommaire=4238781
      3. [3] Algava E., Penant S., Yankan L., 2019, En 2016, 400 000 enfants alternent entre les deux domiciles de leurs parents séparés, Insee première, 1728. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3689165
      4. [4] Carrasco V., Dufour C., 2015, Les décisions des juges concernant les enfants de parents séparés ont fortement évolué dans les années 2000, Infostats Justice, n° 132. http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/infostats-justice-10057/les-decisions-des-juges-concernant-les-enfants-de-parents-separes-27681.html
      5. [5] Meyer D.R., Cancian M., Cook S., 2017, The growth in shared custody in the United States: Patterns and implications, Family Court Review, 55(4), 500-512 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/fcre.12300
      6. [6] Leturcq M., Panico L., 2019, The long-term effects of parental separation on childhood multidimensional deprivation: A lifecourse approach, Social Indicators Research, 144(2), 921-954. https://link.springer.com/article/10.1007/s11205-018-02060-1
      Notes
      1.

       Avec l’aide de Claire Vandendriessche, Alex Sheridan et Paul Corbel. Ce travail a bénéficié d’un financement de France Stratégie (voir rapport en ligne, site de France Stratégie) et du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), ainsi que de LifeObs (France 2030 ANR-21-ESRE-0037) et du projet Big_stat (ANR-16-CE41-0007).

      2.

       Ce taux de 29 % se décompose en 10,6 points d’enfants qui restent pauvres (taux de pauvreté avant séparation (14,5 %) × probabilité de rester pauvre pour ces enfants (72,8 %)) et 18,4 points d’enfants qui entrent en pauvreté (taux d’enfants non pauvres avant la séparation (85,5 %) × probabilité d’entrer en pauvreté (21,5 %)).

      3.

       Le niveau de vie tient compte de la composition en âge des membres du ménage. L’augmentation du taux de pauvreté à 14 ans tient en partie à l’attribution d’un coût plus élevé aux enfants à partir de cet âge.

      4.

       Les enfants vivant en famille monoparentale dès la naissance ne sont pas pris en compte ici.

      Carole Bonnet and Anne Solaz. Date: 2023-03-30T14:18:00

      La séparation est à l’origine d’une baisse de niveau de vie marquée pour les enfants, et d’une dégradation générale de leurs conditions de vie, en particulier quand ils vivent avec leur mère seule. Le risque d’entrée en pauvreté s’en trouve accru. Les taux de pauvreté des enfants l’année de la séparation sont bien plus élevés (29 %) que ceux des enfants vivant avec leurs deux parents (13 %). Cet écart reste marqué les années suivantes. Plus les enfants connaissent la séparation de leurs parents à des âges jeunes, plus le risque de pauvreté est important. Certains enfants, en résidence alternée, ne sont pauvres qu’avec un de leurs parents (plus souvent la mère), tandis que d’autres sont pauvres chez leurs deux parents.

      Citer l’article

      Carole Bonnet et Anne Solaz, Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ?, 2023, Population et Sociétés, n° 610

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