@@src2@@

La population de la France va-t-elle diminuer ?

Population et Sociétés

631, mars 2025

https://doi.org/10.3917/popsoc.631.0001

La population de la France va-t-elle diminuer ?
Gilles Pison

Muséum national d’histoire naturelle

Institut national d’études démographiques.
Laurent Toulemon

Institut national d’études démographiques.

La croissance de 0,25 % de la population de la France en 2024 tient pour les neuf dixièmes au solde migratoire et pour un dixième au solde naturel. La baisse de ce dernier vient à la fois d’une diminution des naissances et d’une hausse des décès. Sous l’hypothèse d’une fécondité et d’un solde migratoire stables aux niveaux de 2024, ­ainsi que d’une hausse de l’espérance de vie à un rythme ralenti, la projection indique que le solde naturel deviendrait négatif en 2027 mais que la population augmenterait encore pendant deux décennies.

projection de population, naissances, décès, fécondité, espérance de vie, mortalité, solde naturel, solde migratoire, croissance démographique, vieillissement, France

Table of contents

      1.

      Le nombre de naissances diminue en France et celui des décès augmente et pourrait le dépasser ­prochainement. La population va-t-elle pour autant diminuer ? Gilles Pison et Laurent Toulemon ­projettent la population de la France jusqu’en 2070 et soulignent l’importance des migrations dans son évolution future. Ils reviennent également sur le ralentissement des progrès de l’espérance de vie.

      Au 1er janvier 2025, la population de la France est estimée à 68,6 millions d’habitants, dont 66,4 en France hexagonale et 2,3 en Outre-mer [1]. La population a augmenté de 169 000 habitants en 2024 (+ 0,25 %) (tableau). La croissance tient pour les neuf dixièmes à l’excédent des entrées sur les sorties du territoire (solde migratoire, estimé à 152 000 par l’Insee) et pour un dixième à l’excédent des naissances sur les décès (solde naturel). Du fait d’une baisse des naissances et d’une hausse des décès (figure 1), le solde naturel continue de diminuer : en 5 ans il est passé de 140 000 (en 2019) à 17 000 (en 2024). Examinons si cette baisse porte en germe une diminution prochaine de la population, avant d’analyser l’évolution des décès et la question du ralentissement des progrès de l’espérance de vie.

      L’Insee a publié en 2021 des projections de population pour la France à l’horizon 2070 fondées sur les tendances démographiques des années précédentes [2]. Le scénario central retenait une fécondité stable au niveau de 2020, 1,8 enfant par femme, une mortalité continuant à baisser au même rythme qu’au cours de la décennie 2010 et un solde migratoire stable à + 70 000 personnes par an. Selon ce scénario, la population de la France continuait d’augmenter jusqu’à un maximum de 69,3 millions en 2044 puis diminuait ensuite jusqu’à 68,1 millions en 2070 [3] (figure 2).

      1.1. Quelles conséquences si les conditions de 2024 se maintenaient ?

      Les évolutions observées depuis cette publication ne ­correspondent pas à celles du scénario central tout en restant entre les scénarios « haut » et « bas ». Ce n’est pas étonnant : tout exercice de projection est appelé à être confronté à la réalité, et parfois démenti par celle-ci, l’objectif n’est pas de deviner le futur mais de dire ce qu’il serait sous telles et telles conditions.

      Nous avons calculé une nouvelle projection selon un scénario nommé « 2024 ». Celui-ci fait l’hypothèse d’une stabilité de la fécondité au niveau de 2024, 1,62 enfant par femme (au lieu de 1,8 enfant, niveau du scénario central de l’Insee). La fécondité pourrait continuer à baisser dans les années futures, ou se stabiliser comme dans certains pays d’Europe, ou encore repartir à la hausse comme après les années 1993-1994 où elle avait atteint un creux de 1,68 enfant. L’hypothèse d’une fécondité stable à son niveau actuel représente donc un compromis.

      La mortalité a fortement baissé en 2023 par rapport à 2022, ce qui a permis à l’espérance de vie non seulement de rattraper le niveau qu’elle avait en 2019, avant l’épidémie de Covid-19, mais de le dépasser. L’espérance de vie continue à progresser en 2024, mais plus faiblement (figure 3). La progression observée au cours des dernières années est finalement moins importante que celle du scénario central de l’Insee et se rapproche de l’hypothèse basse, en particulier pour les femmes. Pour le scénario « 2024 », nous retenons cette hypothèse basse pour la progression de l’espérance de vie des femmes, et une hypothèse intermédiaire pour celle des hommes (voir annexe en ligne 1).

      Pour le solde migratoire, nous retenons un niveau stable de 152 000 par an (équilibré entre les sexes), soit l’estimation provisoire de 2024, au lieu de 70 000 dans le scénario central de 2021 fondé sur les tendances des années 2000.

      1.2. Le solde naturel continue de baisser…

      Le scénario 2024 conduit d’ici 2070 à une baisse du nombre de naissances et une hausse de celui des décès, le solde naturel devenant négatif en 2027 (figure 1). Le déficit s’accroît ensuite et le solde naturel atteint − 256 000 vers 2060 avant de se stabiliser. La hausse des décès tient à l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom aux âges élevés où l’on meurt. En revanche, les naissances augmentent légèrement dans les deux prochaines décennies en raison de l’arrivée aux âges de procréer des générations nombreuses nées autour de 2010 (figure 4).

      1.3. … mais la population augmente pendant encore deux décennies

      Malgré un solde naturel bientôt négatif, le scénario 2024 prévoit une hausse de la population jusqu’à un plafond à 70 millions dans les années 2040 puis une diminution jusqu’à 68 millions en 2070 (figure 2). Cette évolution est très proche de celle du scénario central de l’Insee de 2021 bien que les dynamiques soient différentes : le solde migratoire plus important dans le scénario 2024 compense la fécondité plus basse et la progression moindre de l’espérance de vie. La population vieillit de manière importante et similaire dans les deux scénarios, avec un peu plus d’hommes et un peu moins d’enfants et de femmes âgées en 2070 dans le scénario 2024 que dans le scénario central (voir le détail des projections dans l’annexe en ligne).

      1.4. Un essoufflement des progrès de l’espérance de vie

      Examinons l’hypothèse de ralentissement des progrès de l’espérance de vie du scénario 2024. La France a enregistré 646 000 décès en 2024 [1], soit 7 000 de plus qu’en 2023 (639 000 décès) (tableau). Cette hausse vient pour partie de ce que la population a augmenté et vieilli, comptant davantage de personnes âgées. Le calcul de l’espérance de vie permet d’éliminer dans les fluctuations de la mortalité ce qui relève des variations de la taille de la population et de sa répartition par âge, pour ne conserver que ce qui tient aux risques de décès.

      L’espérance de vie à la naissance atteint 80,0 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes en 2024, contre 79,9 ans et 85,6 ans en 2023, soit un gain de 0,1 an pour les hommes et une stagnation pour les femmes (tableau et figure 3). Comme mentionné plus haut, l’année 2023 a vu l’espérance de vie faire un bond de 0,6 an pour les hommes et de 0,5 an pour les femmes par rapport à 2022 2.

      Replacées au sein des évolutions de plus long terme, les fluctuations annuelles de l’espérance de vie de ces dernières années révèlent un essoufflement des progrès (figure 3). D’où vient-il ?

      1.5. Pourquoi l’espérance de vie a-t-elle progressé jusqu’ici ?

      Depuis le milieu du XXe siècle, l’espérance de vie à la naissance a progressé de 3 mois par an en moyenne en France, passant de 66,4 ans en 1950 à 82,8 ans en 2024, sexes confondus. Cet essor est dû principalement aux succès dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent de plus en plus les décès. En effet, la mortalité des enfants, dont la baisse avait beaucoup contribué à l’augmentation de l’espérance de vie de la fin du XVIIIe au milieu du XXe siècle, n’a pratiquement plus d’influence aujourd’hui vu son niveau très faible3.

      Au milieu du XXe siècle, c’est le recul des maladies infectieuses qui a entraîné une augmentation sensible de l’espérance de vie. Mais la part de ces maladies dans la mortalité totale a beaucoup régressé et les gains à attendre de la poursuite de leur recul sont faibles.

      1.6. La mortalité liée aux maladies cardiovasculaires et aux cancers recule

      Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont désormais les principales causes de décès (figure 5). Les succès rencontrés dans la lutte contre ces maladies ont permis à la mortalité de poursuivre sa baisse à partir des années 1970, et à l’espérance de vie de continuer à augmenter.

      La mortalité due aux maladies du cœur et des vaisseaux a beaucoup diminué depuis un demi-siècle grâce à la « révolution cardiovasculaire » qu’ont constitué les progrès de la prévention et des traitements dans ce domaine [4]. Quant à la mortalité par cancer, qui avait augmenté de 1925 à 1995, elle régresse maintenant grâce aux diagnostics plus précoces, à l’amélioration des traitements et à la réduction des comportements à risques comme le tabagisme.

      Le ralentissement des progrès de l’espérance de vie depuis une dizaine d’années est peut-être le signe que les retombées de la révolution cardiovasculaire sont en voie d’épuisement. Les progrès futurs pourraient dépendre de plus en plus de la lutte contre les cancers qui sont devenus la première cause de décès. Les retombées en termes d’espérance de vie ont été moins spectaculaires jusqu’ici que celles liées à la révolution cardiovasculaire. La mortalité par cancer a beaucoup diminué et continue de baisser chez les hommes. Chez les femmes où elle est moindre, elle diminue plus lentement ces dernières années en raison de la montée des cancers liés au tabac. Les générations de femmes nées à partir des années 1930 ont été nombreuses à fumer dans les années 1950 à 1980 et en subissent les conséquences quelques décennies plus tard [4].

      ***

      Le futur n’est pas écrit et la projection du scénario 2024 est seulement une évolution possible. On peut aussi envisager une poursuite de la baisse de la fécondité, une hausse ou une baisse du solde migratoire, de nouvelles crises de mortalité. Cette projection a cependant l’intérêt de montrer que, sans changement de la fécondité ni du solde migratoire après 2024, les progrès contre la mort se poursuivant, la population de la France ne devrait pas diminuer avant une vingtaine d’années ; d’ici là, le solde migratoire positif ferait plus que compenser la baisse puis l’inversion du solde naturel à venir.

      Appendix A Références

      1. [1] Thélot H., 2025, Bilan démographique 2024. En 2024, la fécondité continue de diminuer, l’espérance de vie se stabilise, Insee première, n° 2033. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8327319
      2. [2] Algava E., Blanpain N., 2021, 68,1 millions d’habitants en 2070 : une population un peu plus nombreuse qu’en 2021, mais plus âgée, Insee première, n° 1881. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893969
      3. [3] Toulemon L., Algava E., Blanpain N., Pison G., 2022, La population française devrait continuer de vieillir d’ici un demi-siècle, Population & Sociétés, n° 597. https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-2-page-1.htm
      4. [4] Breton D., Belliot N., Barbieri M., Chaput J., d’Albis H. 2024. L’évolution démographique récente de la France : une position singulière dans l’Union européenne, Population 79(4). https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/35462/popu4.2024.rapport.conjoncture.fr.pdf
      Notes
      2.

       Avec les gains de 2023, l’espérance de vie a fait plus que rattraper son niveau de 2019 pour les hommes et l’a retrouvé pour les femmes. Elle avait en effet reculé en 2020 à cause de l’épidémie de Covid-19, puis stagné ou augmenté faiblement en 2021 et 2022 en raison de la poursuite de l’épidémie conjuguée à des épidémies de grippe saisonnière meurtrières et plusieurs canicules.

      3.

       La mortalité infantile ne baisse plus en France depuis 2010 (tableau). Même à supposer qu’elle se remette à diminuer, vu son niveau très bas, cela n’aurait presque pas d’effet sur l’espérance de vie à la naissance.

      Gilles Pison and Laurent Toulemon. Date: 2025-03-18T07:47:00

      Citer l’article

      Gilles Pison, Laurent Toulemon (2025). La population de la France va-t-elle diminuer ?, Population & Sociétés, n° 631. https://doi.org/10.3917/popsoc.631.0001

      Cet article peut être reproduit sur papier ou en ligne gratuitement en utilisant notre licence Creative Commons.

      Recevoir l’avis de publication

      Du même auteur

      Sur le même thème