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L’enfant sans vie en France : plus d’une femme sur deux a au moins un autre enfant par la suite

Population et Sociétés

624, Juillet-août 2024

https://doi.org/10.3917/popsoc.624.0001

L’enfant sans vie en France : plus d’une femme sur deux a au moins un autre enfant par la suite
Alberto Taviani

DREES
John Tomkinson

Univ. Lille, CNRS, UMR 8019 - CLERSE - Centre Lillois d’Études et de Recherches sociologiques et Économiques
Didier Breton

Univ. Strasbourg, CNRS, UMR 7363 - SAGE - Ined

En 1993, la distinction entre enfant né vivant et décédé et enfant sans vie a été introduite en France. Depuis, la définition d’enfant sans vie, basée sur la notion de viabilité, est devenue de plus en plus extensive et leur reconnaissance est facilitée. À partir de 2008, un certificat médical d’accouchement suffit pour inscrire l’enfant sans vie à l’état civil français. Après avoir fortement augmenté en raison des changements juridiques intervenus, le nombre d’enfants sans vie s’est stabilisé autour de 19 enfants sans vie pour mille femmes. Cet événement, plus fréquent pour les femmes âgées, ne marque pas la fin de la vie féconde. Plus de la moitié des femmes connait la naissance d’un enfant vivant dans les 5 ans suivant l’enfant sans vie.

mort-né, enfant sans vie, fécondité, naissance, grossesse, accouchement, fausse-couche, avortement, état-civil, reconnaissance, filiation

Table of contents

      1.

      Bien que rare, la mort d’un enfant à la naissance ou juste après est un évènement dramatique. Alberto Taviani, John Tomkinson et Didier Breton retracent l’histoire statistique et la place que l’on accorde à ces enfants sans vie : comment les définissait-on et les définit-on aujourd’hui ? Quelles sont les femmes les plus à risque de connaître cet événement ? Combien auront d’autres enfants ensuite ?

      1.1. Qu’est-ce qu’un enfant sans vie ?

      En France, en 2024, un enfant sans vie est un enfant mort-né1 ou un enfant né vivant mais non viable. Contrairement à la déclaration de naissance vivante, l’enregistrement de l’enfant sans vie à l’état civil se caractérise par son caractère facultatif et par l’absence de délai de déclaration. Les critères pour définir l’enfant sans vie ont fortement évolué dans le temps, et ce sont notablement élargis depuis les années 1990. La notion d’enfant sans vie fut introduite pour la première fois en 1806 dans le Code civil napoléonien mais il était à l’époque très compliqué de distinguer un enfant né vivant, mais décédé avant la déclaration à l’état civil d’un enfant sans vie à la naissance2. La loi du 8 janvier 1993 définit ce dernier en s’appuyant sur la notion de viabilité et fixe à 180 jours de grossesse, soit environ 28 semaines d’aménorrhée (SA), le seuil pour distinguer un enfant sans vie d’un fœtus non déclarable à l’état civil (figure 1). En novembre 2001, la France adopte la définition internationale recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du critère de viabilité fixé à 500 g de poids minimal et/ou à une durée gestationnelle d’au moins 22 SA. En août 2008, ces critères objectifs de durée et de poids sont abandonnés. Désormais, un certificat médical d’accouchement dédié indiquant s’il s’agit d’un enfant mort-né ou né vivant mais non viable permet d’inscrire l’enfant sans vie à l’état civil. Ces certificats sont délivrés en cas d’accouchement spontané ou provoqué par interruption médicale de grossesse (IMG) ou en cas de fausse couche tardive (survenant entre 15 et 22 SA) s’il y a recueil d’un corps formé – y compris congénitalement ­malformé – et sexué3. Aujourd’hui, une fausse couche tardive peut donc être déclarée à la discrétion des « parents » en tant qu’enfant sans vie.

      Si la définition d’enfant sans vie n’a plus changé depuis 2008, d’autres changements juridiques majeurs ont été introduits. La circulaire du 19 juin 2009 a ouvert la possibilité de donner un prénom à l’enfant sans vie et de l’inscrire dans le livret de famille, et la loi du 6 décembre 2021, celle de transmettre un ou plusieurs noms de famille à l’enfant sans vie. Il faut toutefois rappeler que, juridiquement, la femme ayant accouché d’un enfant sans vie ne peut pas être considérée comme « mère » de cet enfant. À l’heure actuelle, en droit français, l’attribution de la personnalité juridique est en effet conditionnée au fait d’être né vivant et viable. Dans le cas de l’enfant sans vie, l’absence de vitalité ou de viabilité ne permet donc pas de créer un lien de filiation.

      Enfin, même s’il est important de souligner qu’enfant sans vie et interruption volontaire de grossesse (IVG) restent deux évènements bien distincts, notons qu’en mars 2022, le délai de recours à l’IVG a été lui aussi modifié, en passant de 14 à 16 semaines d’aménorrhée.

      1.2. Qui sont les mères les plus à risque d’avoir un enfant mort-né ?

      D’après l’Unicef, les principales causes à l’origine d’un mort-né4 sont les complications lors de l’accouchement (l’hypoxie, le placenta prævia et d’autres complications), les hémorragies avant l’accouchement, les infections et maladies maternelles, et le retard de croissance du fœtus [2]. La santé de la mère peut aussi jouer un rôle et des facteurs comme l’âge de la mère, son état de santé (obésité, diabète, hypertension) ou le tabagisme peuvent augmenter le risque de maladie maternelle et de mort-nés. Les femmes connaissant une première grossesse ou une grossesse gémellaire sont également plus à risque. Des conditions socio-économiques précaires pourraient aussi accroître la probabilité de connaître un enfant sans vie, en raison notamment d’un cumul des facteurs de risque évoqués précédemment. Toutefois, comme rappelé dans le dernier rapport européen du réseau Euro-Peristat cordonné par l’Inserm, entre 30 % et 50 % des mortinaissances restent sans explication apparente [3].

      1.3. Davantage d’enfants déclarés sans vie après les changements de définition de 2001 et 2008

      Depuis l’entrée en vigueur de la dernière définition d’enfant sans vie en 2008 et jusqu’en 2019, environ 8 000 enfants sans vie ont été recensés à l’état civil en moyenne chaque année en France hexagonale. Mille femmes qui connaîtraient tout au long de leur vie procréative (15-50 ans) les conditions de fécondité et de déclaration d’enfants sans vie de l’année 2019, déclareraient 19 enfants sans vie (figure 2), ce qui représente un peu plus de 10 enfants sans vie pour 1 000 vivants. L’évolution du nombre d’enfants sans vie par femme au fil du temps est en partie liée aux changements de définition : les évolutions ­juridiques ont créé des ruptures de série très nettes et quatre grandes périodes peuvent être distinguées. La première (1975-1992) se caractérise par une baisse de 27 à 9 enfants sans vie pour mille femmes, sous l’effet conjoint d’une amélioration de la santé périnatale (une moindre mortalité néonatale [4]) et d’une baisse de fécondité aux jeunes âges (où le risque de connaître un enfant sans vie est légèrement plus élevé). La deuxième période (1993-2001) est marquée par une stagnation autour de cette faible intensité (9 pour mille) qui est l’effet combiné de plusieurs phénomènes se compensant : nouvelle définition de l’enfant sans vie, ralentissement des progrès en matière de santé néonatale et hausse de la fécondité. La troisième période (2002-2008) correspond à une augmentation forte du nombre d’enfants sans vie pour mille femmes (+ 6/7 pour mille) induite par la définition recommandée par l’OMS, plus extensive par rapport à la définition en vigueur en France à cette époque-là (application du seuil de 22 SA). Cette évolution est parallèle à la hausse de la fécondité et se produit dans un contexte d’augmentation du nombre de grossesses tardives (où le risque de connaître un enfant sans vie est plus élevé). Enfin, après un pic en 2009 5, la période plus récente se caractérise par une stabilisation autour de 19 enfants sans vie pour mille femmes.

      1.4. Les enfants sans vie arrivent à des âges de plus en plus tardifs

      Dans le contexte de recul généralisé et continu des grossesses aux âges plus avancés, de plus en plus de femmes connaissent un enfant sans vie à un stade plus tardif du parcours fécond (figure 3). Alors qu’avant 1993, l’âge le plus fréquent à l’arrivée de l’enfant sans vie était autour de 25 ans, il est aujourd’hui autour de 30 ans. L’âge moyen à la survenue de l’enfant sans vie est ainsi passé de 28,1 ans en 1975 (1,5 an plus que l’âge moyen à la fécondité de 26,7 ans) à 29,9 ans en 2000 (+ 0,5 an ; 29,4 ans) à 31,7 ans en 2019 (+ 0,9 an ; 30,8 ans). Les caractéristiques des enfants sans vie évoluent au fil des années (encadré 1).

      1.5. Le début et la fin de la vie féconde sont plus à risque

      Le risque de connaître un enfant sans vie par âge suit une courbe en « J » en France hexagonale (figure 4). Ce même résultat est observé dans d’autres pays à partir des données d’état civil [5]. Au début et à la fin de la vie féconde, la proportion d’enfants sans vie est plus importante. Avant l’âge de 18 ans, entre 1 % et 2 % des enfants déclarés à l’état civil sont sans vie (hormis la période 1993-2001). Le minimum est atteint entre 25 et 30 ans avec moins de 1 % des naissances. À partir de 30 ans, une légère augmentation a lieu avant de dépasser, entre 35 et 40 ans, les proportions observées aux plus jeunes âges et atteindre, par la suite, les valeurs maximales à l’approche de la sortie de la vie féconde (vers 45 ans). À ces âges plus avancés, entre 1,5 % et 4,5 % des enfants déclarés sont sans vie selon la définition et la période. Mise à part la période 1993-2001 marquée par la définition plus restrictive d’enfant sans vie, l’allure de la courbe reste très similaire, indépendamment de la période considérée.

      1.6. Plus de la moitié des femmes donnent naissance à un autre enfant dans les 5 ans suivant l’enfant sans vie

      Pour les femmes, l’arrivée d’un enfant sans vie ne marque pas la fin de la vie féconde (figure 5). Dans le deuxième semestre suivant l’enfant sans vie, plus d’une femme sur dix connaît une nouvelle naissance. Après deux ans, elles sont 40 % à avoir connu une nouvelle naissance et plus de la moitié dans les 4 ans suivant l’enfant sans vie. Après cette durée, les nouvelles naissances se font à un rythme peu soutenu. Finalement, un peu moins de la moitié des femmes ayant connu un enfant sans vie n’ont pas de naissance dans les six années suivantes. Ces dernières, sans que l’on puisse faire de distinction à partir des données d’état civil (encadré 2), se partagent entre celles qui n’ont pas cherché une nouvelle grossesse et celles restées involontairement infécondes après un enfant sans vie (par exemple, en cas de difficultés à concevoir après une grossesse tardive ou de répétition de fausses couches spontanées).

      1.7. L’enfant sans vie, quelles perspectives ?

      En France, les changements juridiques ont entraîné mécaniquement une augmentation du nombre d’enfants sans vie. Le recul de la mortalité néonatale et de la baisse de la fécondité pourraient être à l’origine d’un processus d’individuation et de personnalisation de l’enfant sans vie par ses « parents » – par exemple, en lui attribuant presque systématiquement un prénom [7]) – mais aussi par les professionnels de santé. Différents facteurs vont dans ce sens. D’abord, les avancées médicales augmentent les chances de survie des enfants prématurés, et donc la propension à les considérer comme viables de plus en plus tôt pendant la grossesse. Ensuite, une plus forte demande de reconnaissance à la fois de l’enfant sans vie et du statut de parent (y compris dans le cas d’un mort-né ou d’un enfant né vivant mais non viable). Sur le plus long terme, des facteurs démographiques tels que le report des naissances à des âges plus avancés ou le plus fort recours à l’assistance médicale à la procréation pourraient aller dans le sens d’une augmentation du nombre d’enfants sans vie. À l’inverse, les progrès de la médecine pourraient permettre de diminuer les risques physiologiques d’accoucher d’un enfant sans vie et/ou mettre au point des techniques pour sauver les fœtus « expulsés » avant cinq mois de grossesse, entraînant alors une diminution du nombre d’enfants sans vie, à l’instar de la baisse de mortalité infantile et néonatale qui pourrait reprendre après s’être stabilisée depuis 2005.

      Remerciements : Ce travail a bénéficié d’un soutien financier de la Plateforme universitaire de données de Lille (PUDL) et de l’École des Hautes Études en Démographie (École HED) qui elle-même reçue, sous le nom de projet EUR REDPOP, une aide de l’Agence nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’Avenir, portant la référence ANR-17-EURE-001. L’accès à certaines données utilisées dans le cadre de ce travail a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. 10.34724/CASD).

      1.7.1. Encadré 1. Caractéristiques des enfants sans vie dans l’histoire

      Avant 1993, le nombre d’enfants sans vie a constamment baissé au fil des années [6] : en France hexagonale, plus de 30 000 enfants sans vie par an étaient déclarés à l’état civil au début du XXe siècle, contre moins de 4 000 dans les années 1990. Historiquement, tout comme pour la mortalité infantile, les enfants sans vie sont plus souvent de sexe masculin : ils étaient fortement surreprésentés dans la première moitié du XXe siècle (57 % en moyenne). Dans la deuxième moitié du XXe siècle, cette surreprésentation s’est progressivement effacée et la répartition « biologique » classique observée chez les enfants vivants (51 % de garçons et 49 % de filles) est atteinte dans les années 1980. Après la série de changements de définitions intervenus depuis 1993, les enfants sans vie de sexe masculin sont à nouveau plus nombreux (54 % en moyenne). Enfin, les enfants sans vie étaient en proportion plus souvent accouchés hors mariage. La répartition selon l’état matrimonial des parents est aujourd’hui presque identique à celle observée chez les enfants nés vivants (environ 40 % des enfants accouchés dans le mariage et 60 % hors mariage).

      1.7.1. Encadré 2. Comment estimer la fécondité après un enfant sans vie

      L’échantillon démographique permanent (EDP), créé en 1967, est un panel d’individus représentatifs en population générale. Il comprend, depuis 2008, 4 % de la population. Il s’agit d’un suivi « passif » à travers plusieurs sources de données dont les bulletins de naissance et d’enfant sans vie de l’état civil. L’EDP rend possible la reconstitution des trajectoires fécondes des femmes qui ont rempli un bulletin d’enfant sans vie à l’état civil et donc l’étude de la fécondité suivant ces déclarations. Les résultats présentés reposent sur l’analyse de trajectoires de 4 732 femmes sur la période 2003-2019.

      Appendix A Références

      1. [1] Gourdon V., Rollet C. 2009. Les mort-nés à Paris au XIXe siècle : Enjeux sociaux, juridiques et médicaux d’une catégorie statistique. Population, 64(4), 687‑722. https://doi.org/10.3917/popu.904.0687
      2. [2] Unicef, 2020. Ce qu’il faut savoir sur les mortinaissances. https://www.unicef.org/fr/recits/ce-quil-faut-savoir-sur-les-mortinaissances [consulté le 12 avril 2024].
      3. [3] Euro-Peristat project, with SCPE, Eurocat, Euroneostat. European Perinatal Health Report, 2015-2019. https://www.europeristat.com/index.php/reports/ephr-2019.html
      4. [4] Blondel B., Bréart G. 2004. Mortinatalité et mortalité néonatale. EMC – Pédiatrie, 1(1), 97108. https://doi.org/10.1016/j.emcped.2003.09.002
      5. [5] Donoso E. et al. 2014. La edad de la mujer como factor de riesgo de mortalidad materna, fetal, neonatal e infantil. Revista médica de Chile, 142(2), 168174. http://dx.doi.org/10.4067/S0034-98872014000200004
      6. [6] Charrier P., et al. (dir.). 2018. Morts avant de naître. La mort périnatale. Presses universitaires Francois Rabelais, « Perspectives historiques ».
      7. [7] Charrier P., Clavandier G. 2019. La prénomination des enfants sans vie sur les registres de l’état civil français. Vers une réduction de leur liminarité ? Annales de démographie historique, 137, 217-241. https://doi.org/10.3917/adh.137.0217
      Notes
      1.

       Lorsqu’une femme accouche d’un enfant mort-né, les historiens et démographes emploient souvent le terme « mortinaissance ».

      2.

       Même si par le passé des relevés très détaillés ont été faits par la Statistique générale de la France (SGF) pour détecter les « faux mort-nés », c’est-à-dire des « mort-nés ayant respiré » d’après les procès-verbaux établis par les médecins [1].

      3.

       Ce que précise la circulaire du 19 juin 2009.

      4.

       Les mort-nés constituent une sous-catégorie d’enfant sans vie pour lesquels on connaît le mieux les facteurs de risque associés, contrairement aux enfants nés vivant mais non viables et des situations plus récemment prises en compte pour pouvoir déclarer un enfant sans vie (fausse couche tardive et IMG).

      5.

       Des fœtus ont peut-être été classés à tort en tant qu’enfant sans vie au premier semestre 2009 en raison des incertitudes autour de la définition d’enfant sans vie de 2008, auquel la circulaire du 19 juin 2009 a apporté des précisions utiles.

      Alberto Taviani, John Tomkinson and Didier Breton. Date: 2024-08-13T16:37:00

      En 1993, la distinction entre enfant né vivant et décédé et enfant sans vie a été introduite en France. Depuis, la définition d’enfant sans vie, basée sur la notion de viabilité, est devenue de plus en plus extensive et leur reconnaissance est facilitée. À partir de 2008, un certificat médical d’accouchement suffit pour inscrire l’enfant sans vie à l’état civil français. Après avoir fortement augmenté en raison des changements juridiques intervenus, le nombre d’enfants sans vie s’est stabilisé autour de 19 enfants sans vie pour mille femmes. Cet événement, plus fréquent pour les femmes âgées, ne marque pas la fin de la vie féconde. Plus de la moitié des femmes connait la naissance d’un enfant vivant dans les 5 ans suivant l’enfant sans vie.

      Citer l’article

      Alberto Taviani, John Tomkinson, Didier Breton, L’enfant sans vie en France : plus d’une femme sur deux à au moins un autre enfant par la suite, 2024, Population et Sociétés, n° 624

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