@@src2@@

« Je mets la table tous les jours » : la participation des enfants de 10 ans aux tâches domestiques

Population et Sociétés

628, Décembre 2024

https://doi.org/10.3917/popsoc.628.0001

« Je mets la table tous les jours » : la participation des enfants de 10 ans aux tâches domestiques
Ariane Pailhé

Institut National d’Études Démographiques (Ined)
Anne Solaz

Institut National d’Études Démographiques (Ined)

La grande majorité des enfants de 10 ans déclarent participer régulièrement ou occasionnellement aux tâches domestiques. Certaines tâches leur sont réservées, comme mettre le couvert et débarrasser. Les enfants de famille nombreuse participent davantage que les enfants uniques. Filles et garçons n’effectuent ni le même type, ni le même nombre de tâches : les filles en font plus les garçons. Quand le père participe plus que la mère aux tâches domestiques, les différences entre filles et garçons sont plus faibles.

enfant, parent, famille, Elfe, tâche domestique, genre, fille, garçon, adolescent, ménage, cuisine

Table of contents

      1.

      L’entretien de la maison et du linge, la préparation des repas font partie de la vie quotidienne des familles. Si les adultes réalisent majoritairement ces tâches domestiques, les plus jeunes peuvent aussi y contribuer. Les enfants de 10 ans ont été interrogés, de façon inédite dans l’enquête Elfe, sur leur participation. Quelles tâches font-ils ? Leur participation diffère-t-elle selon le sexe, le type de famille ou le milieu social ?

      Les enfants contribuent plus ou moins aux tâches domestiques du ménage selon les familles [1], en fonction de leur ressources, contraintes et modèles éducatifs. Une partie des parents sollicitent très peu leurs enfants afin qu’ils consacrent leur temps aux jeux et à leur scolarité. Certains limitent leur participation à des tâches particulières. D’autres considèrent que les enfants doivent participer de manière raisonnable1 à la vie domestique, ce qu’ils obtiennent avec plus ou moins d’entrain et de succès. Les enfants ne sont en effet pas forcément volontaires, ils peuvent chercher à négocier ou éviter les sollicitations parentales. Certains spécialistes du dévelop­pement des enfants voient quant à eux le partage de la charge domestique entre tous les membres du ménage comme une façon de « faire famille », de développer la prise de responsabilité, le sens des obligations et du bien commun, et d’acquérir des compétences utiles à la vie adulte [2].

      Qu’en est-il, dans les faits, de la participation des enfants de 10 ans aux activités domestiques aujourd’hui en France ? Quelles tâches réalisent-ils ? Existe-t-il des différences entre filles et garçons, selon les caractéristiques de la famille ou la répartition des tâches ménagères entre les parents ? L’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe, voir encadré et [3]), qui a interrogé des enfants âgés de 10 à 11 ans nés en France hexagonale, permet pour la première fois de mesurer leur participation à plusieurs tâches domestiques et de la relier à leurs caractéristiques et celles de leur famille.

      1.1. Quasiment tous les enfants mettent ou débarrassent la table

      Parmi les tâches proposées, deux sont typiquement réalisées par les enfants : mettre ou débarrasser la table, et s’occuper des animaux pour ceux qui en ont (72 % des familles). La quasi-totalité des enfants, neuf sur dix, déclarent effectuer une de ces deux tâches occasionnellement au moins, et une forte proportion tous les jours : au quotidien, quatre enfants sur dix mettent le couvert, et cinq sur dix prennent soin des animaux. Ranger sa chambre particulière, ou commune quand elle est partagée avec des frères ou sœurs, est aussi une tâche que réalisent neuf enfants sur dix. Un quart la rangent chaque semaine. Ces activités concernent tant leur espace personnel et leur propre vie, que la vie de la famille. Les enfants aident les parents pour d’autres tâches domestiques : plus de six enfants sur dix déclarent les aider à faire la cuisine ou le ménage, la moitié à plier ou étendre le linge. Ils sont moins nombreux, quatre sur dix, à sortir la poubelle. Ces quatre tâches sont aussi plus occasionnelles, seuls 10 % des enfants y participent chaque semaine.

      1.2. Les garçons contribuent moins que les filles

      À l’âge de 10 ans, la participation aux tâches domestiques diffère selon le sexe. Les filles sont plus impliquées que les garçons pour la majorité des sept tâches prises en compte (figure 1). Si mettre ou débarrasser la table est réalisé autant par les garçons que les filles, ces dernières sont plus nombreuses à s’occuper des animaux, ranger leur chambre, aider pour le linge et la cuisine. Elles accomplissent aussi ces travaux plus souvent. Une seule tâche est davantage effectuée par les garçons : sortir la poubelle. Cette répartition genrée selon la nature des tâches chez les enfants reflète celle observée chez les adultes : les tâches de soin, et celles de cuisine, de ménage et d’entretien du linge, réalisées à la maison, sont ainsi davantage accomplies par les femmes. Celles effectuées à l’extérieur de la maison sont un peu plus investies par les hommes [4][5].

      Ces différences entre filles et garçons à l’âge de 10 ans reproduisent en partie le partage du travail domestique courant dans le couple parental (figure 2)2. Ainsi, dans les familles où les mères assurent la grande majorité du travail domestique, les garçons réalisent un peu moins de tâches que les filles. C’est aussi le cas quand les parents participent à égalité, ou que la mère en fait un peu plus. Dans les rares familles où les pères sont plus impliqués que les mères, les enfants réalisent moins de tâches domestiques, et ce quel que soit leur sexe, les enfants pouvant être moins mis à contribution du fait de l’investissement plus grand des pères. D’autres travaux ont montré que l’implication du père dans la sphère domestique favorise une répartition plus égale à l’adolescence [6].

      1.3. Les enfants uniques participent moins, ceux de famille nombreuse participent plus

      La participation des enfants aux tâches domestiques est liée à la configuration familiale. Les enfants uniques, filles comme garçons, participent moins que ceux ayant des frères et sœurs, à l’exception des soins aux animaux (figure 3). Les enfants uniques ont plus souvent des animaux domestiques (75 %) que les autres enfants (71 %) et, quand ils en ont, ils s’en occupent plus souvent. La participation des enfants pour mettre et débarrasser la table, aider au ménage et à l’évacuation des poubelles augmente avec le nombre d’enfants. Les enfants seraient davantage sollicités quand la charge de travail domestique totale est plus élevée. Il est aussi possible que les parents de famille nombreuse, dans un souci d’apprendre l’égalité entre frères et sœurs et le sens de la vie commune, organisent des « tours de rôle » ou sollicitent la participation conjointe des enfants.

      La part de filles et de garçons dans les familles de deux enfants ou plus ne joue, quant à elle, que marginalement : les garçons cuisinent légèrement plus quand ils sont majoritaires, tandis que les filles sortent un peu plus souvent les poubelles quand elles le sont. Si les ainés rangent plus souvent leur chambre, ils aident plutôt moins à la cuisine et au ménage que les cadets du même âge. Les cadets de 10 ans sont sans doute amenés à participer plus précocement aux tâches collectives pour accompagner leurs grands frères et sœurs, ou parce que des tours de rôle sont instaurés.

      Alors que l’on pourrait penser que les parents solo sollicitent davantage leurs enfants du fait de l’absence d’aide d’un conjoint, ce n’est pas le cas (figure 4). Les enfants vivant en famille monoparentale – pour la plupart avec leur mère – participent plutôt moins fréquemment aux activités de cuisine que les enfants vivant avec un couple d’adultes (soit les deux parents ou un parent et un beau-parent), y compris quand on tient compte des caractéristiques ­socioéconomiques et de la taille de ces familles. Ils participent autant aux autres tâches. Plusieurs explications peuvent être avancées. Dans les familles monoparentales, les tâches liées aux repas peuvent être moins nombreuses et chronophages. Seuls, les parents solo peuvent avoir plus de difficultés à obtenir une mobilisation des enfants. Il est aussi possible que les mères ou pères solo préservent leurs enfants d’un surplus de travail domestique.

      Est-ce que la participation des enfants diffère selon le foyer dans lequel ils vivent ? Le cas des enfants en garde alternée après une séparation parentale, qui vivent la moitié du temps avec leur père et l’autre avec leur mère, est particulièrement intéressant de ce point de vue. La majorité (62 %) des enfants en garde alternée déclarent aider de manière égale dans les deux foyers dans lesquels ils vivent, les garçons plus que les filles (66 % vs 57 %) ; 25 % déclarent aider davantage chez leur mère que chez leur père, et 14 % l’inverse. Ils peuvent être davantage sollicités par leur mère (et moins par leur éventuelle belle-mère), ou alors prendre davantage l’initiative de l’aider.

      1.4. Une participation des filles différente selon les milieux sociaux

      Selon leur milieu social, la participation des garçons aux tâches domestiques et le type de tâches réalisées ne varie pas (figure 5). Le nombre de tâches réalisées par les garçons est similaire quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle du père3. Pour les filles, les différences sont un peu plus marquées : celles dont le père est agriculteur ou ouvrier participent à un plus grand nombre de tâches car elles sont plus sollicitées dans les classes populaires [1]. Elles prennent en charge plus souvent que les autres des tâches collectives comme mettre le couvert, s’occuper des animaux, aider à la cuisine, entretenir le linge et faire le ménage. Les filles de cadre aident moins souvent au ménage, à l’entretien du linge et à la gestion des déchets, mais rangent davantage toutes seules leur propre chambre. Cela est en partie dû au recours plus fréquent dans ces familles à une personne rémunérée pour s’occuper du ménage (21 % contre 11 % en moyenne). C’est dans ce groupe que les écarts entre filles et garçons sont les plus faibles, et ils sont les plus forts chez les ouvriers et agriculteurs, même quand on tient compte de la répartition des tâches entre les parents. La catégorie sociale de la mère, elle, ne joue pas. Sa situation d’activité a peu d’effet : les enfants dont la mère est au foyer ou au chômage participent un peu moins aux activités de cuisine ou de rangement que ceux dont la mère travaille. La participation des enfants dépend un peu du niveau d’instruction de la mère : les écarts filles-garçons sont plus importants pour les mères sans diplôme.

      1.5. Sollicitation parentale : rétribuer et/ou encourager les enfants à participer ?

      Les parents peuvent adopter différents types de sollicitations pour mettre à contribution leurs enfants. De manière générale, un tiers des parents rémunèrent par de l’argent de poche les services ou petits travaux réalisés par les enfants, un peu plus les garçons que les filles. Cette rétribution financière des services rendus par les enfants est plus fréquente dans les familles avec un père agriculteur, artisan, commerçant ou ouvrier que celles avec un père cadre. Environ la moitié des parents déclarent toujours valoriser l’aide des enfants aux tâches domestiques par des paroles encourageantes, les cadres et les artisans-commerçants un peu plus que les autres. Ces rétributions, financières comme symboliques, sont associées positivement avec un plus grand investissement des enfants dans les tâches domestiques routinières considérées.

      ***

      À l’âge de 10 ans, il existe des différences entre filles et garçons en termes de participation aux tâches domestiques, qui reproduisent en partie les inégalités observées chez les parents. Ces différences, plus faibles à cet âge qu’à l’adolescence, varient légèrement selon les milieux sociaux. Elles peuvent refléter des conceptions différenciées de l’enfance et de l’éducation, et des attachements différents à la norme égalitaire dans les familles. Au-delà des familles, elles tiennent aussi aux représentations genrées dans l’environnement plus large de la socialisation de l’enfant (les médias, l’école, le sport, etc.).

      1.5.1. Encadré. Les données de la cohorte d’enfants Elfe

      Les données sont issues de la cohorte d’enfants Elfe nés au cours de l’année 2011 [3], qui suit des enfants, de la naissance à l’âge adulte, et aborde les multiples aspects de leur vie sous l’angle des sciences sociales, de la santé et de l’environnement. Les enfants entre 10 et 11 ans ont été interrogés en face-à-face entre janvier et septembre 2022. Parmi ceux-ci, 7 361 enfants ont répondu à plusieurs questions sur des tâches potentiel­lement réalisables à leur âge :

      Est-ce que tu mets ou débarrasses la table ?

      À la maison, est-ce que tu t’occupes des animaux domestiques ?

      Est-ce que tu ranges ta chambre tout·e seul·e ?

      Est-ce que tu aides à faire la cuisine ?

      Est-ce que tu aides à étendre ou plier le linge ?

      Est-ce que tu aides à faire le ménage ?

      Est-ce que tu sors la poubelle ?

      Les modalités de réponse étaient : « tous les jours » (pour les deux premières questions) ou « toutes les semaines » (pour les cinq autres), « de temps en temps » et « jamais ». Les modalités « tous les jours » et « toutes les semaines » correspondent à l’item « régulièrement ». Un indicateur du nombre de tâches réalisées (régulièrement ou de temps en temps) a aussi été construit. La participation des enfants n’ayant pas d’animal domestique est mise à la moyenne de ceux qui en ont pour construire l’indicateur. Il était également demandé aux enfants vivant en garde alternée s’ils participaient davantage ou de façon équivalente chez l’un ou l’autre de leur parent.

      De leur côté, les parents ont été interrogés sur leur façon de valoriser la participation de leur(s) enfant(s) aux tâches domestiques : est-ce qu’ils disent à leur(s) enfant(s) qu’ils aiment quand il(s)/elle(s) aide(nt) à la maison (Jamais/Presque jamais/Quelquefois/Souvent/Toujours) ? Est-ce qu’ils rétribuent par de l’argent un service rendu ou un travail réalisé (laver la voiture, arroser le jardin, ranger, etc.).

      Les données sont redressées (pondérées) afin d’être représentatives des enfants nés en France en 2011. Les résultats de statistiques descriptives sont présentés mais seules les différences significatives au seuil de 5 % sont commentées.

      Appendix A Références

      1. [1] Court M., Bertrand J., Bois G., Henri-Panabière G. et ­Vanhée O. (2016). Qui débarrasse la table ? Enquête sur la socialisation domestique primaire. Actes de la recherche en sciences sociales, 215(5), 72-89. https://doi.org/10.3917/arss.215.0072
      2. [2] Tepper D. L., Howell T. J., & Bennett P. C. (2022). Executive functions and household chores: Does engagement in chores predict children’s cognition? Australian Occupational Therapy Journal, 69(5), 585-598. https://doi.org/10.1111/1440-1630.12822
      3. [3] Charles M.-A., Thierry X., Lanoë J.-L., Bois C., Dufourg M.-N., Popa R., Cheminat M., Zaros C., Geay B. (2019), Cohort profile: The French national cohort of children ELFE: birth to 5 years, International Journal of Epidemiology, 49(2). https://doi.org/10.1093/ije/dyz227
      4. [4] Champagne C., Pailhé A., & Solaz A. (2015). Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ? Économie et statistique, 478(1), 209-242. https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2015_num_478_1_10563
      5. [5] Evertsson M. (2006). The reproduction of gender: Housework and attitudes towards gender equality in the home among Swedish boys and girls. British Journal of Sociology, 57(3), 415-436. https://doi.org/10.1111/j.1468-4446.2006.00118.x
      6. [6] Solaz A., Wolff F.C. (2015). Intergenerational transmission of domestic work and gender roles. Annals of ­Economics and Statistics, 117(118), 159-184. https://doi.org/10.15609/annaeconstat2009.117-118.159
      Notes
      1.

       Le bureau international du travail rappelle que si l’ampleur des tâches ménagères est excessive ou interfère avec les autres besoins de l’enfant comme ceux d’éducation, cette charge, assimilable au travail des enfants, peut alors être préoccupante. https://www.ilo.org/fr/programme-international-pour-labolition-du-travail-des-enfants-ipec/secteurs-et-domaines-de-travail/travail-des-enfants-et-travail-domestique

      2.

        La répartition des tâches domestiques au sein du couple parental est observée lors de la vague précédente de l’enquête, quand les enfants avaient environ 5 ans. Un indicateur synthétique de répartition des tâches entre les deux parents a été construit, basé sur cinq tâches : vaisselle, courses, repas, linge, et ménage. Les mères réalisent davantage de tâches domestiques que les hommes (dans 38 % des familles, elles en réalisent la très grande majorité et dans 38 % autres plus de la moitié), 17 % des familles sont égalitaires. Dans 7 % des familles, l’homme en fait plus.

      3.

       La catégorie socioprofessionnelle du père est mesurée à l’âge de 10 ans si le père vit avec l’enfant ou sinon aux vagues précédentes de l’enquête.

      Ariane Pailhé and Anne Solaz. Date: 2024-12-13T07:31:00

      La grande majorité des enfants de 10 ans déclarent participer régulièrement ou occasionnellement aux tâches domestiques. Certaines tâches leur sont réservées, comme mettre le couvert et débarrasser. Les enfants de famille nombreuse participent davantage que les enfants uniques. Filles et garçons n’effectuent ni le même type, ni le même nombre de tâches : les filles en font plus les garçons. Quand le père participe plus que la mère aux tâches domestiques, les différences entre filles et garçons sont plus faibles.

      Ariane Pailhé - Institut national d’études démographiques (Ined)

      Anne Solaz - Institut national d’études démographiques (Ined)

      Citer l’article

      Pailhé Ariane, Solaz Anne (2024). « Je mets la table tous les jours » : la participation des enfants de 10 ans aux tâches domestiques, Population et Sociétés, n° 628. https://doi.org/10.3917/popsoc.628.0001

      Cet article peut être reproduit sur papier ou en ligne gratuitement en utilisant notre licence Creative Commons.

      Recevoir l’avis de publication

      Du même auteur

      Sur le même thème