1.1. Le solde naturel devrait continuer à baisser dans les prochaines années

Les projections de population pour la France publiées par l’Insee en 2021 [2] annoncent dans leur scénario central la poursuite de la baisse du solde naturel qui deviendrait négatif à partir de 2035 et se creuserait ensuite pour atteindre – 110 000 en 2070 (figure 1). Ce scénario fait l’hypothèse d’une stabilisation de la fécondité à 1,8 enfant par femme, un niveau proche de celui observé ces dernières années, et d’une hausse de l’espérance de vie jusqu’à 88,7 ans, tous sexes confondus en 2070, soit un gain de plus de 6 années par rapport à 2019, dernière année avant la Covid-19 (82,6 ans). Dans ces hypothèses, la diminution puis l’inversion du solde naturel dans les deux prochaines décennies ne proviennent pas d’une baisse des naissances mais d’une hausse marquée des décès liée à l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom aux âges élevés où l’on meurt.

1.2. Un essoufflement des progrès de l’espérance de vie

La France a enregistré 667 000 décès en 2022 [1], soit 5 000 de plus qu’en 2021 (662 000 décès) (tableau). Cette hausse vient pour partie de ce que la population a augmenté et vieilli, comptant un nombre plus important de personnes âgées. Le calcul de l’espérance de vie permet d’éliminer dans les fluctuations de la mortalité ce qui revient aux variations de la taille de la population et de sa répartition par âge, pour ne faire apparaître que ce qui tient à l’évolution des risques de décès.

L’espérance de vie à la naissance atteint 79,3 ans pour les hommes et 85,2 ans pour les femmes en 2022, contre 79,2 ans et 85,2 ans en 2021, soit un gain de 0,1 an pour les hommes et une stagnation pour les femmes (tableau). L’année 2020 avait vu l’espérance de vie reculer de 0,6 an pour les hommes et de 0,5 an pour les femmes par rapport à 2019 en raison de l’épidémie de Covid-19. Entre 2020 et 2021, elle n’a progressé que faiblement (0,1 an de plus à la fois pour les hommes et les femmes). Les hausses de 2021 et 2022 ne permettent donc pas de rattraper le niveau de 2019 (79,7 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes).

Replacées au sein des évolutions de plus long terme, depuis 1994, les fluctuations annuelles de l’espérance de vie de ces dernières années révèlent un essoufflement des progrès (figure 2). D’où vient-il ? L’espérance de vie aurait-elle atteint un plafond ?

1.3. Pourquoi l’espérance de vie ne progresse-elle plus autant aujourd’hui ?

Si l’espérance de vie n’a plus progressé ces trois dernières années, c’est d’abord en raison de l’épidémie de Covid-19. Elle a provoqué de nombreux décès en 2020 et aussi en 2021 et 2022 car le virus a continué à circuler par vagues (figure 3). La vaccination introduite fin 2020 a certes réduit le risque de mortalité, mais il est resté plus élevé que d’habitude. D’autres épidémies comme les grippes hivernales ont aussi ralenti les progrès de l’espérance de vie. Depuis 2014, cinq hivers ont connu une épidémie de grippe saisonnière meurtrière : 2014-2015, 2016-2017, 2017-2018, 2018-2019 et 2022-2023.

La surmortalité a été d’environ 20 000 décès supplémentaires durant les hivers 2016-2017 et 2017-2018, et 12 000 dans l’hiver 2018-2019, concernant principalement les personnes âgées [3, 4, 5]. On estime qu’elle est directement imputable à la grippe dans 70 % des cas lors des hivers les plus meurtriers, soit environ 14 000 décès en 2016-2017, autant en 2017-2018, et 8 000 durant l’hiver 2018-2019 [3].

Enfin, des variations clima­tiques extrêmes peuvent également entraîner un supplément de décès. C’est le cas des trois épisodes de canicule de l’été 2022. La surmortalité qui en a résulté, combinée à celles liées à la Covid-19 et à la grippe – avec pour cette dernière deux épidémies la même année, l’une tardive, à la fin de l’hiver et au début du printemps 2022, et l’autre, précoce au contraire, au cours des derniers mois de 2022 –, expliquent sans doute la stagnation de l’espérance de vie en 2022.

Il est encore trop tôt pour savoir si, au-delà de l’effet conjoncturel des épidémies et des canicules, la tendance de fond est également affectée avec un ralentissement des progrès de l’espérance de vie tenant à d’autres causes.

1.4. Moins de naissances en 2022 qu’en 2021

Le nombre des naissances diminue (figure 4) : 723 000 en 2022 contre 742 000 en 2021, de même que l’indicateur conjoncturel de fécondité : 1,80 enfant par femme en 2022 contre 1,84 en 2021.

La tendance observée depuis quarante ans à avoir ses enfants de plus en plus tard se poursuit : les femmes qui ont accouché en 2022 avaient en moyenne 31,0 ans (29 ans pour le premier enfant). L’âge moyen à la maternité n’a cessé de progresser depuis 1977 où il était de 26,5 ans.

L’examen de la fécondité par génération montre que les femmes nées en 1972, qui ont atteint 50 ans en 2022 et ont donc maintenant achevé leur vie féconde, ont eu en moyenne 1,99 enfant. Les femmes nées en 1982, qui ont eu 40 ans en 2022, en ont déjà 1,99, soit plus que leurs aînées de 10 ans au même âge, si bien que le total atteindra au moins 2,0 enfants à 50 ans pour elles.

1.5. La Covid-19 a-t-elle affecté les naissances ?

Le nombre de naissances diminue depuis 2010 (figure 1). L’épidémie de Covid-19 a-t-elle modifié cette tendance ? Lors du premier confinement, du 17 mars au 11 mai 2020, certains avaient annoncé un baby-boom neuf mois après, les restrictions de mouvements et le repli sur la vie conjugale étant supposés pousser une partie des couples à faire l’enfant qu’ils projetaient.

En réalité, les conceptions ont baissé. Les enfants nés en décembre 2020, conçus pour la plupart en mars 2020, donc pour partie au début du premier confinement, pour partie juste avant, sont 7 % moins nombreux que ceux nés en décembre 2019 (figure 5). Ceux nés en janvier 2021, conçus pour la plupart en avril 2020, donc en plein premier confinement, sont 13 % moins nombreux que ceux nés en janvier 2020. Ceux nés en février 2021, conçus en mai 2020, à la fin du confinement et juste après, sont 5 % moins nombreux que ceux nés en février 2020. Mais ceux nés dans les mois suivants ont été plus nombreux dans l’ensemble qu’en 2020, avec pour résultat une récupération totale des naissances qui n’avaient pas eu lieu en début d’année. Le nombre de naissances de l’année 2021 a finalement dépassé légèrement celui de 2020 (7 000 naissances de plus).

La baisse des conceptions lors du premier confinement correspond à ce qui a souvent été observé lors des crises économiques : la croissance du chômage et l’incertitude quant à l’avenir conduisent une partie des couples souhaitant avoir un enfant à reporter leur projet [6]. Mais il y a souvent récupération en sortie de crise.

C’est ce qui s’est passé avec le premier confinement, la récupération ayant eu lieu rapidement. Le second confinement, de fin octobre à mi-décembre 2020, ne semble pas avoir eu d’influence sur les conceptions, il n’a pas entravé la reprise en tout cas. Il a été moins strict que le premier, et les individus se sont peut-être faits à l’idée d’une épidémie plus longue qu’imaginée au départ et ont repris leurs projets. Le troisième confinement, qui a duré près d’un mois, en avril 2021, ne semble qu’avoir légèrement affecté les conceptions. Tout au plus observe-t-on un léger recul des naissances 9 mois après, en janvier 2022, suivi d’une hausse temporaire le mois suivant, en février 2022 (figure 5).

1.6. Les enfants sont nés à d’autres saisons que d’habitude

Normalement les naissances sont un peu plus nombreuses en été, entre juillet et octobre, et un peu moins en hiver et au début du printemps, de décembre à avril, comme l’illustrent les variations mensuelles de l’année 2019 qui suivent la saisonnalité habituelle (figure 5). Celle-ci résulte d’une fréquence des conceptions plus élevée en automne et moindre au printemps.

L’épidémie de Covid-19 et le premier confinement ont accentué le déficit des conceptions printanières en 2020 et l’ont avancé, entraînant un creux important des naissances 9 mois plus tard (figure 5). La récupération des conceptions qui a suivi a amplifié le pic de conceptions de l’automne 2020 et l’a prolongé, affectant la saisonnalité des naissances dans les 9 mois suivants jusqu’à la fin de l’hiver 2021-2022. La saisonnalité semble ensuite avoir repris son cours normal dans un contexte de diminution générale des naissances depuis 2010 (figures 1 et 4).

Si l’épidémie de Covid-19 a donc peu affecté la tendance des naissances à la baisse, elle a modifié temporairement leur saisonnalité.