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Après plusieurs décennies de forte progression, le taux d’emploi des femmes commence à stagner en France

Population et Sociétés

606, Décembre 2022

https://doi.org/10.3917/popsoc.606.0001

Après plusieurs décennies de forte progression, le taux d’emploi des femmes commence à stagner en France
Henri Martin

Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et Université de Lille.

Alors que l’activité et l’emploi des femmes entre 30 et 55 ans n’avaient cessé de progresser en France depuis les générations nées en 1920, les données les plus récentes font état d’une stagnation pour les femmes nées après 1970. Concernant les hommes, activité et emploi à ces âges reculent légèrement mais continuellement au fil des générations. Les écarts de taux d’activité et de taux d’emploi entre femmes et hommes continuent donc de se résorber, mais à un rythme de plus en plus lent. Alors que ce processus de rattrapage était, pour les générations nées avant 1970, essentiellement la conséquence de l’augmentation de l’activité chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes. Aux âges proches de l’âge de la retraite (55-59 ans) les données les plus récentes montrent une forte progression de l’activité et de l’emploi, pour les hommes comme pour les femmes. C’est la conséquence directe des différentes réformes visant à accroître l’emploi des seniors et à repousser l’âge de départ à la retraite.

Activité, emploi, emploi en équivalent temps plein, générations, homme, femme, taux d’activité par âge, diplôme, France

Table of contents

      1.

      En France, l’activité et l’emploi des femmes ont fortement progressé au fil des générations depuis les cohortes nées dans les années 1920, se rapprochant ainsi peu à peu des niveaux masculins. Cette progression a contribué à soutenir l’activité économique et le revenu des ménages. Elle a aussi joué un rôle important pour l’autonomie financière des femmes. Mais cette tendance est-elle encore vérifiée pour les plus jeunes générations ? Le niveau d’emploi des femmes continue-t-il à rattraper celui des hommes ? Utilisant les dernières données disponibles, Henri Martin dresse un panorama de ces évolutions.

      Le taux d’activité des femmes a fortement progressé depuis 1975 [1], faisant de la France l’un des pays d’Europe dans lequel il est le plus élevé pour la tranche d’âges 25-55 ans [2]. Néanmoins cette augmentation a été progressive au fil des générations et n’a pas concerné de la même manière toutes les femmes.

      1.1. Après une période de forte progression, l’emploi et l’activité des femmes commencent à stagner

      Aux âges compris entre 30 et 50 ans, le taux d’activité des femmes a fortement augmenté au fil des générations (figure) (sources et définitions dans les encadrés 1 et 2). À 40 ans, il est passé de 69 % pour la génération née en 1945 à 86 % pour la génération née en 1975, soit une hausse de 17 points de pourcentage (tableau). Néanmoins, cette augmentation ne s’est pas traduite intégralement par une hausse du taux d’emploi en équivalent temps plein, du fait à la fois de l’augmentation du taux de chômage mais aussi du développement des emplois à temps partiel. Au même âge et pour les mêmes générations, le taux d’emploi n’a progressé que de 15 points de pourcentage et le taux d’emploi en équivalent temps plein de 13 points de pourcentage. La progression de la participation des femmes au marché du travail a donc pour partie pris la forme d’emplois à temps partiel.

      Ces tendances générales cachent des disparités importantes selon le niveau de diplôme. Pour les femmes les moins diplômées, la progression des taux d’activité s’est essentiellement traduite par des emplois à temps partiel, puisque les taux d’emploi en équivalent temps plein ont très faiblement augmenté. Par exemple, à 40 ans, entre la génération née en 1945 et celle née en 1975, le taux d’activité a augmenté de 10,4 points de pourcentage, alors que le taux d’emploi en équivalent temps plein a seulement progressé de 4,6 points de pourcentage (tableau). Pour les plus diplômées, la progression des taux d’activité a au contraire été quasiment intégralement répercutée sous forme d’emplois à temps plein : leur taux d’activité a progressé de 13 points de pourcentage et le taux d’emploi en équivalent temps plein de 15 points de pourcentage (à 40 ans entre les générations 1945 et 1975). Leur taux d’emploi en équivalent temps plein a d’ailleurs progressé plus rapidement que leur taux d’emploi (15 points contre 13 points) traduisant un moindre recours aux emplois à temps partiel.

      La participation croissante des femmes au marché du travail a également été fortement déterminée par le nombre d’enfants mineurs à charge dans le ménage. La hausse de l’activité et de l’emploi a été faible pour les femmes sans enfant à charge, les taux d’activité partant d’un niveau déjà élevé. Elle a été modérée pour celles avec un seul enfant à charge ; et marquée pour les femmes qui ont au moins deux enfants à charge. La présence de nombreux enfants continue néanmoins de constituer un déterminant majeur de l’emploi [3]. À 40 ans, pour la génération née en 1975, le taux d’emploi en équivalent temps plein est de 70 % pour l’ensemble des femmes mais de seulement 58 % pour les femmes ayant trois enfants ou plus à charge.

      Néanmoins les dernières données disponibles montrent que cette progression de l’activité féminine tend à s’essouffler. Pour les femmes nées après 1970, les taux d’activité et d’emploi n’augmentent plus au fil des générations.

      1.2. Une lente érosion de l’activité et de l’emploi des hommes depuis plusieurs décennies

      Pour les hommes, les taux d’activité diminuent légèrement mais continuellement au fil des générations depuis plusieurs décennies (figure). Les taux d’emploi ont diminué à un rythme encore plus rapide du fait de la montée du chômage. Les taux d’emploi en équivalent temps plein sont restés proches des taux d’emploi ; les emplois à temps partiel sont beaucoup moins fréquents pour les hommes que pour les femmes. À 40 ans, entre la génération née en 1945 et celle née en 1975, le taux d’activité a diminué de 4,5 points de pourcentage, le taux d’emploi a diminué plus rapidement, de 8 points de pourcentage, en raison de la montée du chômage, et le taux d’emploi en équivalent temps plein a baissé de 10 points de pourcentage (tableau). Ces évolutions cachent de fortes disparités selon le niveau de diplôme. Pour les hommes les moins diplômés, les taux d’activité et d’emploi ont fortement baissé pour les générations récentes : le taux d’activité a baissé de 7 points de pourcentage à 40 ans entre la génération née en 1945 et celle née en 1975 et le taux d’emploi en équivalent temps plein de 19 points de pourcentage. Cette tendance est nettement plus limitée chez les plus diplômés.

      1.3. Un rattrapage qui s’essouffle

      Les écarts d’activité et d’emploi entre les femmes et les hommes n’ont donc cessé de se réduire au fil des générations (figure). Néanmoins, le processus de rattrapage, qui a été très rapide pour les générations nées entre 1925 et 1970, ralentit très nettement pour les générations postérieures. Alors qu’il était pour les générations nées avant 1970 essentiellement la conséquence de l’augmentation des indicateurs chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes.

      1.4. Une forte progression de l’activité et de l’emploi des hommes et des femmes autour de 60 ans

      Aux âges proches de 60 ans, les taux d’activité et d’emploi ont fortement diminué chez les hommes pour les générations nées entre 1925 et 1940 (figure). Cette diminution était le résultat des évolutions réglementaires du système de retraite et du marché du travail : développement des dispositifs de préretraite et de cessation progressive d’activité, dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs les plus âgés, instauration de l’âge d’ouverture des droits à la retraite à 60 ans… [4]. Pour les femmes, l’effet de ces évolutions a été contre-balancé par une participation croissante au marché du travail, si bien que les taux d’activité ont stagné aux mêmes âges et pour les mêmes générations. Pour les générations nées après 1940, la tendance s’est totalement inversée. Ces générations ont en effet été touchées par l’extinction progressive des dispositifs de cessation anticipée d’activité : la dispense de recherche d’emploi a été supprimée en 2012 et les préretraites progressives ont disparu en 2005. Ces générations ont par ailleurs également été affectées par les différentes réformes du système de retraite : allongement de la durée d’assurance requise pour le versement d’une pension à taux plein (réformes de 1993 et 2003), relèvement des deux bornes d’âges du système de retraite (réforme de 2010), l’âge légal d’ouverture des droits à retraite passant de 60 à 62 ans et l’âge d’annulation de la décote de 65 à 67 ans. Le taux d’activité à 59 ans a ainsi augmenté de 33 points de pourcentage entre les femmes nées en 1925 et celles nées en 1955. Pour les hommes de ces mêmes générations, l’augmentation a été de 14 points de pourcentage. Les taux d’emploi ont progressé de manière similaire, ce qui montre que ces réformes se sont bien traduites par un maintien prolongé dans l’emploi.

      ***

      La progression de la participation des femmes au marché du travail est une évolution contemporaine déjà bien connue et documentée. Que nous apportent donc les données les plus récentes ? D’abord, cette progression s’essouffle aux âges correspondant au cœur de la vie active (30-55 ans). Ensuite, chez les hommes, la tendance déjà observée d’une lente diminution de la participation au marché du travail se poursuit, si bien qu’aujourd’hui c’est cette diminution qui explique qu’activité et emploi des hommes et des femmes continuent de se rapprocher. Enfin, ces données font état d’une forte progression de l’activité mais aussi de l’emploi aux âges proches de la retraite. Ce constat, valable à la fois pour les hommes et pour les femmes, s’explique à la fois par l’extinction progressive des dispositifs de cessation d’activité et par les réformes du système de retraite.

      1.4.1. Encadré 1. L’enquête Emploi de l’Insee

      L’enquête Emploi de l’Insee est la source de référence pour comptabiliser la population active, la population en emploi et la population au chômage selon les critères du Bureau international du travail (BIT). La première édition de l’enquête a eu lieu en 1968, mais la définition des concepts d’emploi et de chômage n’est relativement homogène dans le temps que depuis l’édition 1975. L’enquête s’est déroulée annuellement de 1968 à 2002 avant de devenir trimestrielle depuis 2003 [5].

      L’échantillon de l’enquête est représentatif de la population âgée de 15 ans et plus résidant en logement ordinaire. Son champ géographique couvre la France métropolitaine et intègre les départements d’outre-mer depuis l’édition 2013. Le taux de sondage est de 0,25 %, ce qui correspond approximativement à 75 000 logements par trimestre pour l’édition 2018 de l’enquête.

      Le questionnaire de l’enquête Emploi s’attache à décrire finement la situation des personnes interrogées sur le marché du travail. Son but premier est d’identifier les personnes qui sont en emploi et au chômage au sens du BIT. Elle comporte également de nombreuses informations sociodémographiques.

      1.4.1. Encadré 2. Définitions, champ et méthodes

      Cette étude mobilise trois indicateurs : le taux d’activité, le taux d’emploi et le taux d’emploi en équivalent temps plein. Le taux d’activité à l’âge A est défini comme le rapport entre le nombre d’actifs d’âge A (personnes en emploi ou au chômage) et l’ensemble de la population ayant le même âge. Le taux d’emploi à l’âge A représente la part des personnes d’âge A occupant un emploi parmi l’ensemble de la population d’âge A. Enfin, le taux d’emploi en équivalent temps plein (ETP) consiste à pondérer chaque emploi par sa quotité de travail. Ainsi, pour le calcul du taux d’emploi en équivalent temps plein, une personne qui occupe un emploi à temps plein est comptabilisée au numérateur avec un poids de 1, alors qu’une personne qui occupe un emploi à 80 % est comptabilisé au numérateur avec un poids de 0,8. Les taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein sont calculés à partir de la série des enquêtes Emploi de l’Insee sur la période 1975-2018.

      Le champ de l’étude porte sur les générations nées entre 1925 et 1985. Il exclut les personnes qui n’ont pas terminé leurs études initiales au moment de l’enquête (ces dernières sont très peu nombreuses après 30 ans même si leur proportion croît au fil des générations). Le champ géographique se limite à la France métropolitaine car l’enquête ne couvre les départements d’outre-mer que depuis 2013. Ces choix méthodologiques expliquent que les séries calculées diffèrent de celles publiées par l’Insee.

      Pour enrichir l’analyse, quatre quartiles ont été définis pour chaque génération selon le niveau de diplôme de la personne interrogée : les 25 % les plus diplômés (cette sous-population est désignée comme « les plus diplômés »), les 25 % moyennement plus diplômés, les 25 % moyennement moins diplômés et les 25 % les moins diplômés (cette sous-population est désignée comme « les moins diplômés »). Pour construire ces quartiles en tenant compte de l’augmentation générale du niveau d’études au fil des générations, les individus de chaque cohorte ont été ordonnés d’abord selon leur niveau de diplôme, puis selon leur âge de fin d’études. Les résultats sont ici seulement commentés pour les 25 % les plus diplômés et les 25 % les moins diplômés les deux autres groupes étant dans une situation intermédiaire.

      Pour en savoir davantage sur la méthodologie, voir [6].

      Appendix A Références

      1. [1] Collet M., Rioux L., 2017, Scolarité, vie familiale, vie professionnelle, retraite : parcours et inégalités entre femmes et hommes aux différents âges de la vie, Insee Référence : Femmes et hommes, l’égalité en question, édition 2017.
      2. [2] Périvier H., Verdugo G., 2018, La stratégie de l’Union européenne pour promouvoir l’égalité professionnelle est-elle efficace ?, Revue de l’OFCE, 158(4), p. 77-101.
      3. [3] Algava E., Bloch K., 2022, L’inactivité depuis 50 ans : la présence d’enfant continue de faire la différence entre hommes et femmes, Insee Référence : Femmes et Hommes, l’égalité en question, édition 2022.
      4. [4] Marioni P., Merlier R., 2018, Les cessations anticipées d’activité en 2013, Dares Résultats, 21.
      5. [5] Goux D., 2003, Une histoire de l’enquête Emploi, Économie et statistique, 362, p. 41-57.
      6. [6] Martin H., 2022, Les évolutions de l’activité et de l’emploi au fil des générations, Population, 77(1), p. 141-158.
      Henri Martin. Date: 2022-12-01T09:00:00

      Alors que l’activité et l’emploi des femmes entre 30 et 55 ans n’avaient cessé de progresser en France depuis les générations nées en 1920, les données les plus récentes font état d’une stagnation pour les femmes nées après 1970. Concernant les hommes, activité et emploi à ces âges reculent légèrement mais continuellement au fil des générations. Les écarts de taux d’activité et de taux d’emploi entre femmes et hommes continuent donc de se résorber, mais à un rythme de plus en plus lent. Alors que ce processus de rattrapage était, pour les générations nées avant 1970, essentiellement la conséquence de l’augmentation de l’activité chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes. Aux âges proches de l’âge de la retraite (55-59 ans) les données les plus récentes montrent une forte progression de l’activité et de l’emploi, pour les hommes comme pour les femmes. C’est la conséquence directe des différentes réformes visant à accroître l’emploi des seniors et à repousser l’âge de départ à la retraite.

      Henri Martin

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      Henri Martin, Après plusieurs décennies de forte progression, le taux d’emploi des femmes commence à stagner en France, 2022, Population et Sociétés, n° 606

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