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Insertion et entre-soi : l’immigration chinoise est diverse

Population et Sociétés

622, Mai 2024

https://doi.org/10.3917/popsoc.622.0001

Insertion et entre-soi :l’immigration chinoise est diverse
Isabelle Attané

Institut national d’études démographiques (INED)
Giovanna Merli

Sanford School of Public Policy et Duke Population Research Institute, Duke University

La population immigrée de la France compte aujourd’hui moins de 2 % d’immigrés d’origine chinoise, soit environ 116 000 personnes, qui résident aux deux-tiers en Île-de-France. Les migrants économiques sont plus âgés et moins diplômés que les immigrés entrés en France pour y faire des études supérieures et qui sont restés. Ils ont une moins bonne maîtrise du français et leurs réseaux de sociabilité et professionnels restent ancrés dans un entre-soi reposant sur leur origine régionale ou nationale. C’est moins le cas des anciens étudiants internationaux.

Chine, immigré, migrant, insertion, emploi, réseau, étudiant, Wenzhou

Table of contents

      1.

      Bien que l’immigration en provenance de Chine soit aujourd’hui moins forte, la France occupe le 5e rang en Europe en termes d’effectifs d’immigrés chinois sur son territoire. S’appuyant sur la première enquête quantitative dédiée à ceux présents en Île-de-France, Isabelle Attané et Giovanna Merli décrivent les modalités d’insertion professionnelle et sociale des migrants économiques et des anciens étudiants internationaux restés en France à l’issue de leurs études.

      L’immigration chinoise1 en France s’est fortement accélérée dans les années 1980 avec l’ouverture économique de la Chine et la libéralisation de sa politique d’émigration : en 2021, environ 6 millions d’immigrés chinois étaient installés dans les pays de l’OCDE, soit 13 % de leur population immigrée totale2. Trois sur quatre résidaient dans seulement 5 pays : États-Unis, Canada, Australie, Japon et Corée du Sud (tableau 1). Entre 2006 et 2021, après l’Australie et la Nouvelle Zélande, c’est dans quelques pays d’Europe que leur présence a augmenté le plus vite, pour s’établir à au moins 1,2 million sur l’ensemble du continent en 2021. Avec 116 000 immigrés chinois en 20213 (soit moins de 2 % de sa population immigrée totale), la France se place en 5e position en Europe, après ­l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Allemagne.

      1.1. Une diaspora chinoise dans le monde estimée à 40 millions

      Dans ces pays, les immigrés chinois ne représentent qu’une fraction de la diaspora chinoise, dont la définition inclut également les descendants d’immigrés et toute personne de descendance chinoise vivant hors de Chine. En France – où elle englobe notamment les personnes d’origine chinoise rapatriées à l’issue de la décolonisation de l’Indochine et les réfugiés d’origine chinoise installés au Cambodge, au Viêt Nam ou au Laos qui ont fui les régimes communistes dans les années 1970 [1] – la diaspora chinoise a été estimée à environ un demi-million de personnes au début des années 2010, soit un peu plus de 1 % de son total dans le monde (autour de 40 millions) [2]. Ces estimations, réalisées sur la base de données collectées par le gouvernement taïwanais, doivent toutefois être considérées avec précaution. Elles ne peuvent en effet être validées par la statistique française, qui n’enregistre que le pays de naissance et la nationalité (recensements) ou la nationalité des parents à la naissance (état civil), et ne permet donc de repérer que les immigrés et une fraction de leurs descendants [3] mais non l’ensemble des personnes de descendance chinoise.

      1.2. Une croissance des immigrés chinois moins forte

      En France, le nombre d’immigrés chinois a augmenté cinq fois plus vite que celui de l’ensemble des autres immigrés entre les recensements de 1982 et 1990 (+10 % par an en moyenne) [3]. Leur croissance a fortement ralenti depuis et est désormais inférieure à celle de l’ensemble des autres immigrés (respectivement +1,2 % et +2,1 % par an dans la seconde moitié de la décennie 2010). Ce repli relatif – qui s’observe également dans plusieurs autres pays de l’OCDE (tableau 1) – résulte en partie des changements politiques opérés depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2012, marqués par un resserrement des liens du régime chinois avec la diaspora et par un renforcement de la politique d’incitation au retour, notamment pour les Chinois diplômés à l’étranger. Il traduit aussi une relative désaffection des immigrés chinois pour la France, sans doute liée à leur moindre accès à la nationalité française [3] dans un contexte de durcissement de sa politique migratoire4. Cette évolution se fait au profit de pays comme l’Allemagne, plus libérale en la matière, ou du Royaume-Uni, qui reste attractif pour les migrants internationaux et pour les étudiants chinois.

      La tendance s’est poursuivie durant la crise sanitaire, caractérisée par un ralentissement des flux entrants et des retours en Chine plus nombreux [5]. En France, le nombre de Chinois bénéficiaires d’un premier titre de séjour a été divisé par deux entre 2013 et 2021 ; en huit ans, la Chine a ainsi chuté de la 3e à la 8e place dans le classement des nationalités admises au séjour5. Les immigrés chinois restent néanmoins le deuxième groupe d’immigrés originaires d’Asie, après les Turcs. Les étudiants internationaux – titulaires de l’équivalent d’un baccalauréat obtenu hors de France et venus y faire des études supérieures – sont une composante majeure de cette immigration régulière : en 2017, les deux-tiers des admissions au séjour de ­ressortissants chinois en France l’ont été au titre des études – contre 28 % des autres ressortissants étrangers, toutes nationalités confondues [3]. Une partie indéterminée demeure en France à l’issue de ses études, appelée ensuite les anciens étudiants internationaux.

      1.3. Une population hétérogène

      Deux immigrés chinois sur trois recensés en France résident en Île-de-France, où ils sont fortement représentés dans certains secteurs comme la restauration, les bars-tabac ou le commerce de gros [3]. Ces activités, très présentes dans quelques quartiers de Paris et de Seine-Saint-Denis, impliquent principalement des migrants économiques, venus en France afin d’y exercer une activité professionnelle. Ils sont très majoritairement originaires de la région sud-est de Chine, dont presque la moitié de l’agglomération de Wenzhou dans la province du Zhejiang (Voir annexe électronique : https://doi.org/10.34847/nkl.0bfc228p). Ils sont généralement peu diplômés, 57 % n’ont pas de diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (ou son équivalent étranger), et maîtrisent mal le français ; 21 % seulement déclarent le parler « bien » ou « très bien » (tableau 2). Ils restent en outre dans un certain entre-soi, leur réseau de sociabilité étant composé à 84 % de personnes d’origine chinoise.

      In fine, les migrants économiques ont peu en commun avec l’autre principal groupe d’immigrés chinois : les anciens étudiants internationaux, entrés en France au titre des études et qui y sont restés après avoir quitté l’université. Originaires de différentes régions de Chine, plus jeunes que les migrants économiques (34 ans contre 49 ans), à plus forte majorité féminine (63 %, contre 55 % des migrants économiques) et par définition tous titulaires d’un diplôme au moins équivalent au baccalauréat, les anciens étudiants internationaux ont généralement une bonne maîtrise du français (84 % déclarent le maîtriser « bien » ou « très bien »). Ils développent davantage leurs réseaux de sociabilité hors de la sphère chinoise, notamment dans le cadre professionnel.

      1.4. Le marché du travail « ethnique »

      Les migrants économiques en Île-de-France sont massivement présents sur le marché du travail dit « ethnique » – c’est-à-dire que leur employeur et la majorité de leurs collègues (ou de leurs employés pour les chefs d’entreprise) sont également chinois et que la langue parlée sur le lieu de travail est le mandarin ou un dialecte chinois. C’est le cas de 67 % d’entre eux, avec toutefois des variations importantes selon la région d’origine en Chine (tableau 2) et selon le sexe (89 % des hommes et 50 % des femmes). Les migrantes économiques, en moyenne plus diplômées que les hommes et maîtrisant mieux le français, ont un accès plus facile au marché du travail non-ethnique.

      Le marché du travail ethnique emploie surtout des immigrés chinois peu qualifiés et maîtrisant mal le français, et constitue la seule alternative pour ceux en situation irrégulière. Dans leur premier emploi en France, trois migrants économiques sur quatre (76 %) travaillaient comme ouvriers ou assimilés, principalement dans la confection, la restauration ou le bâtiment. Cette proportion tombe à 58 % pour l’emploi occupé au moment de l’enquête (ou le dernier emploi occupé en France), ce qui peut témoigner d’une relative mobilité sociale ascendante pour une partie d’entre eux. Mais leur situation reste globalement précaire car près d’un employé sur deux (45 %) sur le marché du travail ethnique ne détient pas de contrat de travail.

      Les Wenzhou – principaux détenteurs du pouvoir économique car à la tête de la plupart des commerces, restaurants ou entreprises d’import-export de textiles sur le marché du travail ethnique en Île-de-France – sont employeurs de la moitié des migrants économiques, employant souvent d’autres Wenzhou. Plus encore que les autres migrants économiques, ceux originaires du Nord-Est sont cantonnés aux emplois d’ouvriers ou assimilés, tant dans leur premier que leur dernier emploi (tableau 2).

      Les étudiants en mobilité internationale restés en France à l’issue de leurs études ont des trajectoires très différentes. Si un peu plus d’un tiers d’entre eux (37 %) ont occupé ce type d’emplois non qualifiés sur le marché du travail ethnique pour compléter leurs revenus à leur arrivée, leur capital éducatif et leur plus grande ouverture à des sociabilités non-chinoises leur donnent par la suite un large accès au marché du travail non-ethnique. Employés, cadres ou chefs d’entreprise, ils y occupent notamment des postes d’employés de bureau, d’informaticiens, d’ingénieurs, d’enseignants ou d’interprètes/traducteurs. Leur insertion sur le marché du travail en France est donc beaucoup moins dépendante de leurs réseaux chinois que celle des migrants économiques – notamment celle des Wenzhou, dont plus des deux tiers ont bénéficié de l’aide d’un membre de la famille ou d’un ami chinois pour trouver leur premier emploi en France (figure 1).

      1.5. Un entre-soi à nuancer

      Les représentations selon lesquelles les immigrés chinois cultiveraient un entre-soi et seraient nécessairement dans des logiques d’entraide ne sont pas valables pour tous. Les ­Wenzhou, généralement solidaires entre eux, entretiennent peu de relations avec les immigrés chinois originaires des autres régions et, quand elles existent, elles se limitent souvent à la sphère professionnelle. Leur ancrage communautaire constitue un atout pour le développement de leurs activités économiques en contexte migratoire, la pratique d’un dialecte qui leur est propre renforçant leur sentiment d’appartenance et la confiance mutuelle. Ils accompagnent l’installation des primo-arrivants, notamment lors de la première recherche d’emploi (figure 1) ou pour la création d’entreprises, offrant la possibilité de prêts d’argent informels et d’un accompagnement sur les questions administratives.

      Les Wenzhou sont en France depuis plus longtemps en moyenne que les migrants économiques originaires des autres régions. Pourtant, leurs sociabilités en Île-de-France sont très centrées sur le cercle familial étendu et sur la communauté d’origine, 79 % d’entre eux ayant un réseau de proches principalement composé de personnes également originaires de Wenzhou (figure 2). Les autres migrants économiques ont également peu de relations avec des personnes non-chinoises, notamment du fait de la barrière de la langue et de leur présence sur le marché du travail ethnique (tableau 2). Les migrants du Nord-Est, en particulier, sont souvent isolés à leur arrivée en France et ils ne bénéficient pas de réseaux de soutien aussi développés que ceux des Wenzhou. Ils vivent dans des conditions souvent précaires (situation administrative, logement, revenus, santé…). Dépourvus de l’ancrage communautaire et familial des Wenzhou, ils ont des sociabilités chinoises plus ouvertes à des immigrés issus d’autres régions de Chine (figure 2).

      Les anciens étudiants internationaux ont quant à eux des réseaux plus mixtes (59 % de personnes d’origine chinoise dans leurs réseaux en Île-de-France), et non centrés sur une communauté d’origine régionale (figure 2). Maîtrisant mieux les codes de la société d’accueil acquis à l’université ou dans les emplois occupés par la suite, ils se situent à un stade plus avancé du « processus de convergence » [7]. S’ils pratiquent aussi un certain entre-soi sur la base de leur origine chinoise, ils ne le perçoivent pas toujours comme une ressource ­potentiellement utile à leur insertion professionnelle, qui s’effectue principalement sur le marché du travail national.

      Loin de former un groupe soudé et monolithique, les immigrés chinois en Île-de-France ont des profils diversifiés, qui s’accompagnent d’une diversité de leurs liens sociaux et des modalités de leur insertion à la société d’accueil.

      1.5.1. Encadré 1. L’enquête « Immigrés chinois en région parisienne » (ChIPRe)

      Première enquête quantitative dédiée aux immigrés chinois en Île-de-France, cette enquête a été menée en 2020-2021 auprès de 501 personnes nées en Chine de nationalité chinoise et âgées de 18 ans ou plus. Elle a utilisé la méthode d’échantillonnage Network Sampling with Memory [6] et l’échantillon a été redressé sur la base de trois variables du recensement de 2018 : l’âge, le sexe et le département de résidence en Île-de-France. Une post-enquête qualitative a été menée, apportant des précisions sur les processus à l’œuvre (35 entretiens).

      L’enquête s’intéresse à six dimensions de l’immigration chinoise : 1) la spécificité des parcours selon la région d’origine en Chine ; 2) l’insertion sociale et professionnelle à la société d’accueil en fonction de ces parcours ; 3) les relations entre et au sein des différents groupes d’origine en Chine, l’entre-soi et les solidarités supposées entre leurs membres ; 4)  les facteurs de stratification sociale et économique ; 5) les perceptions des discriminations et du racisme ; 6) les liens avec le pays d’origine.

      L’enquête, qui a réuni une équipe de chercheurs français et américains (Duke University et University of North Carolina), a bénéficié d’un financement de l’ANR (ANR-18-CE41-0001).

      Appendix A Références

      1. [1] Ma Mung E. 2014. La diaspora chinoise en France. In ­Poinsot M.et al., Migrations et mutations de la société française (p. 121-129). La Découverte.
      2. [2] Poston D., Wong J. H. 2016. The Chinese diaspora: The current distribution of the overseas Chinese population. ­Chinese Journal of Sociology, 2(3), 348-373. https://doi.org/10.1177/2057150X16655077
      3. [3] Attané I. 2022. L’immigration chinoise en France. Population, 77(2), 229-262. https://doi.org/10.3917/popu.2202.0229
      4. [4] Latham K., Wu B. 2013. Chinese immigration into the EU: New trends, dynamics and implications. Europe China Research and Advice Network.
      5. [5] Attané I., Chuang Y.-H., Santos A., Wang S. 2021. Immigrés et descendants d’immigrés chinois face à l’épidémie de Covid-19 en France : des appartenances malmenées. Critique internationale, 91, 137-159. https://doi.org/10.3917/crii.091.0140
      6. [6] Merli G., Mouw T., Le Barbenchon C., Stolte A. 2022. Using social networks to sample migrants and study the complexity of contemporary immigration: An evaluation study. Demography, 50(3), 995-1022. https://doi.org/10.1215/00703370-9934929
      7. [7] Safi M. 2006. Le processus d’intégration des immigrés en France : inégalités et segmentation. Revue française de sociologie, 47(1), 3-48. https://doi.org/10.3917/rfs.471.0003
      Notes
      1.

       L’immigration chinoise est constituée de toute personne née en Chine de nationalité chinoise à la naissance et résidant en France depuis un an au moins, qu’elle ait acquis ou non la nationalité française.

      2.
      3.

       Ce chiffre de l’OCDE est supérieur à celui de l’Insee, qui estime à 110 000 le nombre d’immigrés chinois en France en 2021 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381755#tableau-figure1_radio1).

      4.

       Notamment avec la loi de 2011 qui a rendu plus rigoureuses les conditions de maintien sur le territoire et d’obtention de la nationalité française (https://www.vie-publique.fr/eclairage/20162-chronologie-les-lois-sur-limmigration-depuis-1974).

      Isabelle Attané and Giovanna Merli. Date: 2024-05-27T14:19:00

      La population immigrée de la France compte aujourd’hui moins de 2 % d’immigrés d’origine chinoise, soit environ 116 000 personnes, qui résident aux deux-tiers en Île-de-France. Les migrants économiques sont plus âgés et moins diplômés que les immigrés entrés en France pour y faire des études supérieures et qui sont restés. Ils ont une moins bonne maîtrise du français et leurs réseaux de sociabilité et professionnels restent ancrés dans un entre-soi reposant sur leur origine régionale ou nationale. C’est moins le cas des anciens étudiants internationaux.

      Isabelle Attané - Ined

      Giovanna Merli - Sanford School of Public Policy et Duke Population Research Institute, Duke University

      Citer l’article

      Isabelle Attané, Giovanna Merli, Insertion et entre-soi : l’immigration chinoise est diverse, 2024, Population et Sociétés, n° 622

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