La famille et ses proches
L’aménagement des territoires. Préface de Hervé Le Bras.
Collection : Cahiers
n° 143, 1999, 296 pages
La modernisation de la société s’est accompagnée de transformations majeures de la famille. Désormais, chaque génération dispose de sa résidence et la plupart des ménages de plusieurs personnes comprennent une seule famille. L’autonomie résidentielle entre les générations est donc devenue la norme même s’il subsiste des traces du passé dans la cohabitation rurale ou dans d’autres formes de corésidence. Cette situation, dans laquelle ménage et fa-mille constituent le plus souvent une même unité statistique, a sans doute été à l’origine de l’accent mis sur les ménages dans l’approche scientifique des évolutions de la famille. Elle a aussi nourri le discours sur le repli au sein de la cellule familiale de base.
Mais la vie de famille ne s’arrête pas lorsque les enfants franchissent le seuil du foyer pour fonder à leur tour un nouveau ménage. Aussi, doit-on se demander si le concept statistique de ménage ne masque pas toute une part de la réalité familiale et sociale. En particulier, certains choix de résidence, d’emploi, de mode de vie… ne sont compréhensibles qu’à la lumière d’influences exercées par la famille étendue.
L’analyse proposée ici s’inscrit dans un courant de recherches qui tente de réinsérer le ménage dans le groupe de parenté. Conjuguant les données d’une enquête et des entretiens, elle permet de cerner les modes d’organisation familiale dans l’espace urbain, d’en suivre la genèse et d’en saisir la dynamique.
L’examen attentif des configurations résidentielles montre que, au-delà de la séparation entre parents et enfants adultes, il existe un type de fonctionnement dépassant le cadre du ménage, fondé sur une logique familiale où vont de soi des liens d’affinités, des contacts fréquents, une entraide entre les différents membres de la parenté. Ainsi peut être mise en évidence la " famille entourage ", qui concerne 41 % de la population étudiée et témoigne d’un mode de " vivre ensemble " préservant néanmoins l’indépendance résidentielle.
Cette organisation de la parenté résulte de processus différenciés dans lesquels le resserrement ou le relâchement des liens familiaux interfère avec les contraintes de la mobilité professionnelle pour allonger ou raccourcir les distances entre le lieu de l’origine familiale, le lieu de naissance, les lieux de l’enfance et les réinstallations successives de la vie adulte. Une géographie dynamique de la parenté peut ainsi être esquissée.
L’étude de situations extrêmes apporte un éclairage particulier à ce mode de fonctionnement familial. Ce sont d’abord les situations où un individu est hébergé par un proche ou un parent, fortement révélatrices d’échanges et de liens. Ces hébergements, souvent limités dans le temps, sont plus fréquents qu’on ne le pense et apparaissent comme autant de petites dérogations à la norme, fondée sur l’ordinaire fragmentation des réseaux familiaux et amicaux en ménages dotés de logements distincts. Autre situation limite, celle des travailleurs indépendants, qui doivent combiner distance et proximité entre lieu de travail et logement, sphère familiale et professionnelle. L’analyse de leurs trajectoires montre que, si la logique professionnelle est souvent privilégiée, les appartenances familiales ou les attachements à des territoires peuvent aussi définir des priorités fortes dont vont dépendre leurs choix professionnels.
Se dégage en définitive de ce travail une conception de l’individu qui n’est plus considéré comme défini par des relations familiales conventionnelles, mais comme façonnant son entourage de parents et de proches en jouant sur l’espace, les distances et les proximités. Étudier comment l’espace – y compris celui de la vie professionnelle – est associé à la dynamique des liens d’affinité, c’est ainsi comprendre le rapport que les personnes entretiennent avec leur famille proche, celle qu’ils ont d’une certaine façon " choisie ".
Ainsi les ménages manifestent-ils leur volonté d’inscrire leur indépendance résidentielle dans un faisceau plus ou moins dense de proximités familiales et amicales, aménageant ainsi un territoire susceptible de devenir un " espace de référence " pour les générations suivantes.
- Anne Gotman
- Yves Grafmeyer