Félicitation à Agnès Hirsch pour sa thèse
« Statistiques professionnelles et lois sociales : l’invention de la mesure du travail (1880-1914) »
Résumé
À l’aube du XXe siècle, la réglementation naissante du travail et les balbutiements des systèmes d’assurance et de prévoyance sociales sont au cœur des efforts des réformateurs en France, comme le montre l’adoption en quelques décennies seulement de lois relatives à la durée et aux périodes de travail, à la protection des corps au travail, aux retraites ou encore à la liberté syndicale. La période 1880-1914 est également une période de développement de l’administration du travail mais aussi des statistiques et enquêtes sur le travail. De fait, à cette période, le travail devient un objet d’action et de connaissance pour les réformateurs sociaux, qui développent des manières d’en rendre compte, mais aussi un objet de revendications pour les organisations ouvrières et patronales, qui prennent l’initiative de produire des données chiffrées afin de se positionner sur ces enjeux. L’objectif de cette thèse est d’interroger la relation entre le développement des législations relatives au travail, à l’assurance sociale et à la prévoyance sociale et l’essor des statistiques relatives au travail en France entre 1880 et 1914.
Deux grandes questions servent de fil conducteur à la thèse. La première est relative au rôle des statistiques et des enquêtes sur le travail dans le processus décisionnel à cette période. En s’appuyant sur l’analyse des délibérations parlementaires relatives aux accidents du travail à la fin du XIXe siècle, cette recherche documente le caractère dispersé des statistiques mobilisées par les parlementaires, la prédominance des sources privées et des sources étrangères parmi elles, ainsi que le faible recours aux administrations de la statistique et aux administrations du travail. La seconde question est relative au poids des organisations ouvrières et patronales dans ces débats ainsi qu’à leur capacité à produire et à diffuser des données chiffrées. Cette thèse met en lumière l’influence considérable des organisations patronales relativement aux organisations ouvrières dans ces délibérations, qui parviennent à renforcer leur influence en tant qu’organisations « autorisées » en produisant de la documentation technique. En insistant sur la production d’enquêtes et la mobilisation de savoir-faire statistique, démographique et financier par plusieurs fédérations ouvrières, cette thèse nuance également l’approche fréquente de l’impuissance ouvrière en tant qu’impuissance à produire de l’action positive, qui contribue à reproduire les préjugés intégrés par certains enquêteurs sociaux et parlementaires quant à la parole ouvrière tout au long du XIXe siècle.
Le jury était composé de :
- Roser CUSSÓ, Directrice de recherche, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Rapportrice
- Lionel KESZTENBAUM, Directeur de recherche, Institut national d’études démographiques – Co-directeur de thèse
- Paul LAGNEAU-YMONET, Maître de conférences HDR, Université Paris-Dauphine – Examinateur
- Sylvain LAURENS, Directeur d’étude, École des hautes études en sciences sociales – Examinateur
- Isabelle LESPINET-MORET, Professeure des universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Rapportrice
- Bénédicte REYNAUD, Directrice de recherche émérite, Université Paris-Dauphine – Directrice de thèse
- Paul SCHOR, Maître de conférences, Université Paris Cité – Examinateur